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Dialogue khorti ou une offre aux contours flous qui a tout d’une récupération

Tebboune

Qui peut croire que Tebboune veut réellement instaurer la démocratie ?

La promesse d’un dialogue national pour “tracer ensemble le chemin vers une démocratie véritable” donne l’impression d’un début de réponse aux attentes populaires et à l’immense mouvement de rejet exprimé le 7 septembre 2024.

Pourtant l’expérience et la raison indiquent qu’il n’en est rien. Comment un pouvoir qui a bafoué la souveraineté populaire au-delà de toute mesure pourrait-il s’amender de la sorte.

Le propos de Tebboune est une diversion sur l’exigence de changement

Sur le site al24news.com il est possible de lire :

“Un dialogue national ouvert sera lancé, nous permettant de baliser ensemble le chemin qu’empruntera notre pays en matière de consécration de la véritable démocratie, non pas celle des slogans, mais celle qui donne la souveraineté à ceux qui la méritent.”.

Cependant, une traduction plus fidèle offre une toute autre tonalité :

“J’en profite pour signaler que, durant ce second mandat, si Dieu le veut et si les conditions le permettent, nous aurons de nombreux contacts et consultations avec toutes les forces vives de la nation, qu’elles soient politiques, économiques ou issues de la jeunesse. L’objectif est de nous engager dans un dialogue national ouvert afin de tracer ensemble la voie que suivra l’Algérie pour concrétiser une véritable démocratie, non pas celle des slogans, mais celle qui donne la souveraineté à ceux qui la méritent.”.

Cette traduction plus proche du propos de Tebboune révèle deux éléments essentiels qui peuvent orienter la compréhension de sa démarche :

  1. Conditionnalité de l’engagement : L’utilisation de formules comme “si Dieu le veut” et “si les conditions le permettent” démontre une réticence certaine, des intentions bien plus que réservées du pouvoir. Ces expressions laissent entendre que l’initiative dépendra de facteurs externes, flous et incertains. Cette conditionnalité tend à diluer la promesse d’un dialogue, la reléguant à un projet soumis à des contingences divines ou sociales.
  2. Contrôle et consultation : L’engagement à “nombreux contacts et consultations” laisse présager une démarche contrôlée, encadrée par le pouvoir en place. Cela signifie-t-il une ouverture à un dialogue réel, ou seulement une série de rencontres pour établir des consensus limités et conformes aux lignes directrices du régime actuel ? La formulation soulève la question de la nature de ce “ dialogue national ” : sera-t-il inclusif, démocratique et axé sur les citoyens, ou simplement un exercice de façade ?

La démarche du pouvoir : continuité ou changement ?

En analysant ce discours dans le contexte politique actuel, il apparaît que cette démarche ne diffère guère de celle adoptée vis-à-vis du mouvement du Hirak. Le régime a tenté de contenir le mouvement en divisant le Hirak en deux entités : un Hirak authentique, inscrit dans le préambule de la Constitution, et un Hirak dévoyé, cible de répression. En agissant ainsi, le pouvoir a proclamé une dichotomie qui a permis, d’une part, d’institutionnaliser une forme de reconnaissance limitée du Hirak tout en légitimant, d’autre part, la répression de ses militants.

En promettant un “ dialogue national ” pour ce second mandat, il est probable que le régime réédite cette stratégie. La formulation officielle fait écho à un discours déjà entendu, celui d’une volonté affichée d’ouverture qui se traduit, en réalité, par une démarche conditionnée, encadrée et contrôlée par les autorités. Ce “ dialogue national ”, tel qu’énoncé, apparaît comme une promesse de façade, visant à légitimer le pouvoir en place plus qu’à réellement engager le pays dans une transition démocratique.

Limites et contradictions de la promesse de dialogue

Revenons à la traduction fidèle du discours présidentiel, plusieurs limites ressortent de la formulation : “durant ce second mandat, si Dieu le veut et si les conditions le permettent, nous aurons de nombreux contacts et consultations avec toutes les forces vives de la nation, qu’elles soient politiques, économiques ou issues de la jeunesse. L’objectif est de nous engager dans un “ dialogue national ” ouvert afin de tracer ensemble la voie que suivra l’Algérie pour concrétiser une véritable démocratie, non pas celle des slogans, mais celle qui donne la souveraineté à ceux qui la méritent.”

1. Dialogue conditionné à des circonstances vagues

La mention des conditions et de la volonté divine place d’emblée ce dialogue dans un cadre conditionnel. Cette manière de présenter les choses permet au pouvoir de justifier à tout moment une éventuelle absence de dialogue ou de restreindre sa portée. Il ne s’agit donc pas d’un engagement ferme, mais d’une promesse soumise à des circonstances qui restent à définir. En d’autres termes, cette formulation ouvre la voie à de potentielles manœuvres dilatoires ou à des refus ultérieurs, en invoquant des circonstances imprévues ou une situation politique changeante.

2. Un dialogue contrôlé par le pouvoir

Le terme “consultations” laisse percevoir un processus de dialogue sous la coupe du pouvoir. Les consultations suggèrent des échanges avec des représentants choisis par les autorités, et non un dialogue ouvert, démocratique et transparent. Cette approche, bien que portant le nom de “ dialogue national ” ouvert, semble plutôt s’orienter vers des discussions encadrées où la diversité des opinions sera filtrée, en vue de préserver les intérêts du régime. Le pouvoir maintiendrait ainsi le contrôle du processus tout en revendiquant une apparence d’ouverture.

3. L’ambiguïté de la “véritable démocratie”

La déclaration fait référence à la concrétisation d’une “véritable démocratie, non pas celle des slogans, mais celle qui donne la souveraineté à ceux qui la méritent.” Cette formulation renvoie une volonté de définir une démocratie sur mesure, conforme aux attentes et aux besoins du pouvoir. Elle peut sous-entendre que le régime actuel se réserve le droit de déterminer qui sont “ceux qui méritent” la souveraineté, excluant potentiellement toute forme de contestation populaire ou d’opposition. L’usage de la notion de mérite pose un problème majeur : en démocratie, la souveraineté appartient au peuple dans sa globalité, sans distinctions de mérite imposées par un pouvoir en place.

4. L’absence d’un cadre concret pour le dialogue

Rien dans la déclaration ne précise la manière dont ce dialogue sera organisé, les modalités de participation des différentes forces vives, ou les mécanismes de prise de décision qui en découleront. Cette absence de cadre concret laisse transparaitre l’insincérité de la démarche. Un “ dialogue national ” crédible nécessite des règles claires, une transparence dans la sélection des participants, et un mécanisme de suivi et d’évaluation. Sans cela, il risque de se transformer en une simple consultation sans portée réelle, servant à renforcer la légitimité du pouvoir en place qu’à engager des réformes profondes.

Un dialogue de façade ou une opportunité réelle ?

L’histoire politique récente de l’Algérie témoigne des difficultés du régime à accepter des processus de dialogue ouverts et inclusifs. Depuis le Hirak, les tentatives de négociation ont été systématiquement conditionnées, encadrées et réprimées. La promesse d’un “ dialogue national ” ouvert pour ce second mandat suscite une méfiance légitime. Comment un pouvoir qui s’installe malgré une abstention de 90% du corp électoral pourrait-il écouter et prendre en compte les aspirations des citoyens, tout au plus utilise-t-il cette initiative pour affirmer son contrôle tout puissant sur le pays ?

Les véritables exigences d’un “ dialogue national”

Pour que le “ dialogue national ” ait un sens et contribue à l’instauration d’une véritable démocratie, il doit être fondé sur des principes clairs et inclusifs :

  1. Transparence et inclusivité : Le dialogue doit inclure toutes les composantes de la société, sans exclusion. Les représentants doivent être choisis de manière démocratique, avec des mécanismes garantissant la liberté d’expression et la pluralité des opinions.
  2. Organisation en concertation libre : Le dialogue doit permettre aux citoyens de rédiger leurs cahiers de doléances et d’élire des délégués à tous les niveaux : local, régional et national. C’est en structurant ces échanges que le pays pourra tracer une voie constituante, permettant la création d’un nouveau contrat social.
  3. Absence de conditions préalables : Tout processus de dialogue conditionné à des “circonstances” ou soumis à des critères déterminés par le pouvoir en place perd de sa crédibilité. Le dialogue doit être un espace d’échange ouvert, où les revendications peuvent être librement exprimées et discutées.
  4. Mécanismes de suivi et de mise en œuvre : La simple discussion ne suffit pas ; des mécanismes clairs doivent être établis pour traduire les résultats du dialogue en actions concrètes. Cela inclut la mise en place d’un organe indépendant chargé de veiller à l’application des décisions prises lors des concertations.

Une promesse de dialogue illusoire

La promesse d’un “ dialogue national ” pour ce second mandat, telle que formulée, apparaît largement chimérique. La déclaration officielle ne peut masquer les intentions du pouvoir qui cherche à maîtriser le processus plutôt qu’à s’engager dans une véritable ouverture. Ce discours rappelle les stratégies précédemment employées, notamment vis-à-vis du Hirak, où des distinctions artificielles ont été établies pour contenir la contestation.

Pour que ce “ dialogue national ” soit porteur de changement, il doit être transparent, inclusif et libéré de tout contrôle du pouvoir. C’est seulement dans ces conditions qu’il pourra réellement contribuer à la construction d’une démocratie authentique en Algérie, une démocratie qui donne la souveraineté à tous les citoyens, sans distinctions.

Mohand Bakir

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