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Différence entre un mouvement populiste et un soulèvement populaire (I)

TRIBUNE

Différence entre un mouvement populiste et un soulèvement populaire (I)

Depuis quelques mois dans de nombreux pays (Venezuela, France, Hong-Kong, Algérie, Haïti, Équateur, Chili, Argentine, Liban, etc.), on assiste à des mouvements de protestation et à des soulèvements sociaux d’envergure, mobilisant une partie importante de la population, notamment la jeunesse urbanisée et, fait exceptionnel pour l’Algérie, la gent féminine (indice que le mode de production capitaliste et sa petite-bourgeoisie pléthorique s’implantent fortement dans la société algérienne en pleine mutation sociologique).

Ces mouvements, parfois spontanés et inorganisés, s’insurgent contre les différents pouvoirs aussi bien sur des thématiques politiques portant sur les « libertés individuelles et la démocratie bourgeoise » que sur des revendications sociales, culturelles, ethniques, éducatives, ou encore matérielles telles que les conditions de vie et de travail.

Toutefois, quelles que soient les revendications avancées, qu’elles soient de nature politique, sociale, idéologique, les motifs sous-jacents sont toujours économiques, en ce sens que ces mouvements de protestation dans la superstructure – au sein des rapports de production – reposent toujours sur les conditions de vie et de travail imposées aux classes sociales impliquées dans le procès de production. Postulat que la gauche a oublié depuis belle lurette.

Le plus souvent, au cours de ces récents soulèvements, la petite-bourgeoisie domine amplement ces mouvements spontanés. Tandis que parfois la classe ouvrière tente d’imposer sa présence, avec plus ou moins de succès. Outre les divergences en matière revendicative, ces deux tendances forgeant ces mouvements se distinguent par le choix des tactiques de lutte. Les mouvements démocratiques bourgeois expriment ordinairement leurs revendications par des manifestations-processions directement dans la rue, souvent de manière pacifique, parfois au moyen d’affrontements violents avec les appareils répressifs de l’État.

Par contre, les mouvements ouvriers se mobilisent sur leurs lieux de travail, notamment par des débrayages spontanés, des grèves, des occupations, mais aussi, depuis un certain temps, par le blocage des axes routiers et des moyens de transports des marchandises (ports, gares, aéroports), et des entreprises névralgiques assurant l’approvisionnement en énergie, vitale pour le bon fonctionnement de l’économie.

Analysons les divergences de lutte entre ces deux mouvements de révolte portés par deux classes sociales distinctes, aux intérêts diamétralement opposés et aux perspectives politiques, économiques et sociales antinomiques. De manière générale, depuis quelques années du moins, les mouvements démocratiques se singularisent par leur apparition spontanée, leur inorganisation politique, leur absence de structure de médiation, leur refus de promotion de quelque leader. Œuvres d’une accumulation de récriminations larvées et de colère contenue, fermentées par la paupérisation accélérée de la majorité de la population, ces mouvements explosent souvent de manière aussi soudaine qu’inattendue.

Parfois sur des prétextes mineurs. Dès leur éruption, ces soulèvements affichent une méfiance instinctive à l’égard des formations politiques traditionnelles, un rejet viscéral de la délégation de pouvoir, et corrélativement une opposition farouche à toute structuration organisationnelle. De surcroît, ils font reposer leur lutte sur une armature spécifiquement politique sur laquelle ils échafaudent, dans l’improvisation, des programmes minimalistes incohérents et décousus déclinés sous forme d’un catalogue citoyen dans lequel chaque membre formule ses doléances correspondant à ses intérêts personnels immédiats. Malgré leur surgissement spontané, chaotique et anarchique, ces revendications correspondent néanmoins concrètement aux besoins sociaux exprimés par cette classe sociale précarisée.

Les soulèvements ouvriers, quant à eux, fondent leurs activités combatives sur un substrat social homogène affirmé, à travers la cohésion de leurs doléances, et sur des revendications sociales et économiques élaborées et politiquement formulées au travers d’un programme collectivement adopté et unanimement validé. Du moins, ceci était vrai jusqu’à récemment, résultante de la longue expérience d’organisation militante prolétarienne sous divers appareils politiques et syndicaux historiques au XIXe et au XXe siècles. Contrairement aux mouvements démocratiques bourgeois, dépourvus de structures cohérente et pérenne. De là s’explique l’hétérogénéité de leurs mouvements, constitués de différentes catégories sociales populistes, aujourd’hui en proie à la précarisation et à la paupérisation générale.

Autrement dit, ces soulèvements constituent des mouvements interclassistes aux revendications hétéroclites, parfois insolites. Ces mouvements versent dans la fustigation hystérique irrationnelle mais jamais dans l’élaboration politique constructive, sinon pour obtenir des réformes qui, croient-ils, apporteront quelque solution à leur précarisation. Frustrés par leur déclassement social, ils se contentent de fustiger le système politique rendu responsable de leur dégradation économico-sociale, sans comprendre que c’est le système social tout entier (le mode de production capitaliste) qui en porte la responsabilité.

Cependant, ces mouvements petits-bourgeois réformistes se posent en alternative à la révolution prolétarienne, seule voie apte à renverser le mode de production capitaliste. Le plus souvent, ces mouvements de protestation bourgeois s’érigent comme une structure nébuleuse prétendument située au-dessus des classes sociales, défendant l’intérêt général civil citoyen (un remake des révolutions démocratiques bourgeoises anti-aristocratiques).

En réalité, ces mouvements démocratiques bourgeois vilipendent le despotisme politique de l’État du capital, mais ne remettent jamais en cause la dictature économique du capital sur la société en générale, ni ne questionnent l’incapacité de ce mode de production à satisfaire les besoins sociaux vitaux de l’humanité. La psychose hystérique du changement climatique est une parfaite démonstration du cul-de-sac politique dans lequel se sont fourvoyés ces mouvements démocratiques associés dans un même commun combat stérile avec les représentants du capital qui instrumentalisent ces mouvements. Aujourd’hui, si dégradation dramatique il y a, c’est celle des conditions sociales de l’ensemble des prolétaires.

Si lutte prioritaire il doit y avoir, c’est contre le capitalisme responsable de la dégradation généralisée des conditions de vie des prolétaires.

Au reste, avec les mouvements démocratiques bourgeois, bien qu’ils puissent adopter une certaine radicalité en matière de lutte, leur objectif demeure invariablement identique : devenir des interlocuteurs reconnus par l’État afin de jouer un rôle de médiation en matière de réformes, de restructurations économiques, de refonte politique cosmétique, dans le cadre du système économique capitaliste moribond, responsable de leur déclassement social.

Au vrai, ces aspirants politiciens vénaux sont dévorés d’ambition. Leur seule aspiration est de briguer les sinécures parlementaires et gouvernementales, de convoiter les fructueuses prébendes étatiques. L’institutionnalisation et la constitution du capitalisme vert autour de l’hystérie climatique en sont les parfaites démonstrations, illustrées par le gonflement hypertrophique des postes généreusement rémunérés mis à la disposition de cette élite bourgeoise verte, adepte du libéralisme écologique. A suivre

Auteur
Mesloub Khider

 




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