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Diplomatie : retour à Jean Antoine de Vera et à Abraham de Wicquefort

REGARD

Diplomatie : retour à Jean Antoine de Vera et à Abraham de Wicquefort

«En Algérie, nous n’avons rien vu venir » ! Cette phrase prononcée le 14 Juillet dernier, à l’occasion de la fête nationale française, par l’ambassadeur de France, en personne, a sonné dans la tête, comme le bourdon de Notre Dame d’Afrique.

Comment décrypter cette phrase du premier responsable de la diplomatie française en Algérie ? Il ne me semble pas que ce dernier ait avoué un problème ophtalmologique, malgré son âge avancé…  Il ne peut s’agir donc que d’une lecture politique de la situation générale de l’Algérie et bien entendu, des relations tumultueuses algéro-françaises depuis notre indépendance et dans ce cas d’espèce, elle faisait frémir plus d’un observateur averti, algérien mais également français.

En effet, le rôle essentiel d’un ambassadeur est justement de « voir » ce qui se passe dans le pays où il est en poste. Il est aidé, dans sa mission, d’une légion de hauts fonctionnaires (politique, économique, culturel, sécurité, presse…) sans compter ses relais locaux (1) et autres honorables correspondants.

Les synthèses périodiques sont envoyées au Quai d’Orsay et à l’Elysée (ou inversement) afin de permettre aux décideurs finaux de prendre les mesures qu’ils jugent utiles pour les intérêts, bien compris, de leur pays, remontant à leur niveau par ce conduit puissant. Jusque-là rien de plus normal puisque c’est ce qui se pratique dans tous les pays au monde, conformément à la Charte des Nations unies, signée le 26 juin 1945 à San Francisco qui régit les relations entre les états membres, à travers plusieurs sous structures.

Les synthèses envoyées, à qui de droit, sont-elles aussi « tronquées », pour amener le chef de poste à « lâcher » cette phrase, lourde de sens, en ce jour du quatorze Juillet 2019 ? 

Les politiques menées par la France en Algérie, dans tous les domaines, prennent-elles leurs sources à partir de ces synthèses et rapports « tronquées » ? La question mérite, à n’en pas douter, plus d’un détour ! L’analyse nous enseigne que depuis quelques années, les « diplômâtes » envoyés en Algérie sont des anciens patrons des services secrets français ou formatés dans ses officines, une espèce de réseau France-Afrique (2) new-look que l’on pourrait dénommer la « France-Maghreb », bien que dans cet espace géopolitique, l’Algérie est particulièrement ciblée, s’agissant de départements français alors que la Tunisie et le Maroc avaient le statut de « protectorat ».

Comment expliquer ce choix délibéré, alors que l’Algérie n’a jamais usé de son droit de réciprocité, strict dans le domaine diplomatique, en n’envoyant que des « diplomates » à Paris ? On peut nous rétorquer que l’Algérie aurait pu user de son droit d’agrément pour bloquer ces nominations.

En outre, notre pays a subi une « décennie noire » ce qui expliquerait ce choix… mais combien de pays au monde ont connu des événements similaires sans que la France n’envoie des « barbouzes de haut rang » en lieu et place de diplomates ? La sensibilité de nos relations sur laquelle pèse la première communauté en France, forte de quelques six millions de personnes entre binationaux, émigrés légaux et clandestins, peut-elle justifier de pareilles décisions ? La crainte des « people-boat » déferlants sur les côtes françaises, tellement redoutée par les divers think-tank et autres officines expertes, au cas où une guerre civile imploserait l’Algérie, a-t-elle eu raison des pratiques internationales en la matière ? 

Mais la question essentielle que personne ne semble se poser en France, c’est celle de savoir si ce choix est profitable pour les intérêts de la France en Algérie et ceux de l’Algérie en France ? Les services de sécurité français sont présents en Algérie et réciproquement, conformément aux accords classiques entre nos deux pays (3) comme d’ailleurs tous les autres pays mais jamais au niveau du chef de poste, pour la simple raison que le formatage et les centres d’intérêts de la diplomatie et des services secrets ne sont pas identiques, bien que la coordination soit de rigueur in fine ! Dès lors, un certain nombre de dérapages, anciens et actuels, qui ont empoisonné les relations entre nos deux pays, peuvent être imputés à ce mélange des genres, à cette complicité coupable et à cette parallaxe visuelle, issus de la confusion des missions (4) entre diplomatie et services secrets. La France en a-t-elle tiré les conséquences ?

Il semble que si puisque le nouvel ambassadeur présumé, de France en Algérie, ait été choisi dans le staff de la diplomatie classique et n’a pas été, à un moment de sa carrière, premier responsable des services secrets français. La nouvelle Algérie attend de la France une large coopération diligente, dans tous les dossiers pendants qui n’ont pas encore trouvé de réponses substantielles. En outre, il vient de se greffer un autre dossier sensible, qui est la poursuite des algériens et binationaux qui ont pillé notre pays et qui ont investi des fortunes colossales, entre autres, en France !

Cette mafia politico-financière semble jouir, pour l’instant, d’une impunité insupportable tant pour l’opinion publique nationale que celle française (5). Leur identification, la saisie conservatoire de leur fortune et de son rapatriement (6) ainsi que leur extradition en Algérie, après le passage de la justice française, à l’aune des conventions judiciaires algéro-françaises,  pour y être jugés, seront un curseur déterminant, dans nos futures relations, en plus de tous les lourds contentieux pendants (mémoriel, communauté algérienne émigrée, libre circulation des biens et des personnes, la sécurité et la stabilité de la méditerranée occidentale, la coopération…). 

Gageons que le futur ambassadeur présumé (7), François Gouyette (8), puisse insuffler dans les relations diplomatiques algéro-françaises, une politique sereine qui démine le champ de nos intérêts respectifs biens compris, de toutes les surenchères, d’où qu’elles viennent et qui les empoisonnent, en commençant par les débarrasser de la surdétermination barbouziaque, de ses prédécesseurs. Notre génération se doit de laisser aux suivantes un corpus relationnels, débarrassé des raccourcis et autres abcès de fixation, pour leur permettre de construire un vivre ensemble dans une mare nostrum de prospérité partagée, tant rêvée, par des personnalités politiques des deux côtés de la méditerranée (9) mais qui sont avérées être plusieurs occasions… ratées jusqu’à présent.

M.G.                

Renvois

(1) C’est ce que d’aucuns appellent en Algérie « hizb franca », formule lapidaire qui mélange sciemment les francophones, les binationaux, les diplômés des universités  françaises, les tenants du multilinguisme, ceux qui inscrivent leurs enfants au lycée français A. Dumas et fréquentent le centre culturel français, les écrivains d’expression française, les couples mixtes, la presse francophone… bref tous ceux et toutes celles qui ne s’inscrivent pas dans le panarabisme brumeux du début du siècle. 

(2) Jacques Koch Foccart, fils de G. Koch-Foccart (planteur-exportateur de bananes, en Guadeloupe), entre dans la vie professionnelle comme prospecteur commercial chez Renault. Au service militaire, il devient sergent de réserve mais il indique  avoir rejoint au mois d’Août 1944[] l’Angleterre comme lieutenant-colonel pour y rejoindre les services spéciaux alliés (cf. Pierre Péan), puis être affecté le 1er octobre 1944 à la Compagnie de services no 1 de la DGER, les services spéciaux qui deviendront la SDECE. En 1944, il est affecté au bureau de la Mission des liaisons de l’inspection des armées[], dirigée à Paris par J. Chaban-Delmas. []Homme de confiance du général de Gaulle, il est membre fondateur du SAC avec A. Peretti et C. Pasqua. Il est directement mis en cause comme principal responsable de l’assassinat de R. Boulin en octobre 1979, avec l’éventuelle complicité de J. Chirac. Dès 1952, Jacques Foccart est coopté pour participer à l’Union française, censée gérer les rapports de la France avec ses colonies. En 1953, il accompagne de Gaulle dans un périple africain. En 1958, il est nommé par de Gaulle conseiller technique, chargé des affaires africaines[]. En  []1970, il s’affirme comme « Monsieur Afrique » homme de l’ombre chargé d’organiser la politique africaine de la France. Il s’établit le Gabon et fait nommé un vice-président O. Bongo. Il est l’instigateur d’interventions militaires (politique du Jaguar), de conspirations et coups d’État dans les autres pays de l’ancien Empire colonial français en Afriqu[]e ( Guinée, Congo-Kinshasa, Biafra, centre Afrique…), par la livraison d’armes et de mercenaires interposés (dont Bob Denard et Jean Kay). Il restera de lui « le principe intangible qu’est la continuité de la politique africaine de la France » en utilisant  notamment les mêmes réseaux qu’il a mis en place et que l’avocat d’affaires franco-libanais, R. Bourgi, a prétendu succéder  par le « portage de valises ». 

(3) Il est commun d’avoir, dans toutes les ambassades, un attaché militaire (chargé des affaires purement militaires) et un attaché de défense (chargé des services secrets), sans compter les consuls et vice-consuls qui ont de fortes attaches avec la sécurité territoriale (police et gendarmerie).

(4) La codification du métier de diplomate (et plus précisément d’ambassadeur) a lieu au début du XVIIe siècle, notamment grâce à « le parfait ambassadeur » de Jean Antoine de Vera et à « l’ambassadeur et ses fonctions » d’Abraham de Wicquefo.

(5) Il est de notoriété publique qu’un certain nombre de dirigeants africains (Afrique de l’Ouest) ont fait l’objet de procès en France qui ont abouti à la confiscation des biens pillés dans leur pays respectif. Or, force est  de constater d’aucune procédure, à ce jour, n’a été enrôlée, s’agissant de ressortissants algériens ou binationaux, ce qui nous laisse pour  le moins dubitatif ! 

(6) L’Assemblée nationale française s’est illustrée, dernièrement, en votant une loi scélérate, qui affecte d’office les fonds pillés par des étrangers et binationaux, après le passage de la justice, à une fondation qui les allouera à des projets humanitaires et caritatifs en… France ! Gageons que cette loi pourra être battue en brèche par le recours à la justice européenne et onusienne. 

(7)L’ambassade  de  France  à  Alger  a  réagi  aux  rumeurs  concernant  la.nomination  de   François  Gouyette  comme  successeur  de l’actuel ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, qui partira à la retraite à la fin du mois de juillet prochain. Un départ qui, selon la même source, “était prévu de longue date”. Tout en indiquant avoir “pris  note de certaines rumeurs dans les médias s’agissant de l’identité de son successeur, rumeurs présentées comme des affirmations”, l’ambassade de France a rappelé que “la  nomination  d’un ambassadeur relève d’une décision du Président de la République française prise en Conseil des ministres. Cette nomination fait ensuite l’objet d’une demande d’agrément à l’Etat hôte… Aucune de ces procédures n’est intervenue s’agissant de la nomination d’un nouvel ambassadeur” en Algérie.

(8) Selon certaines sources, le nouvel ambassadeur F. Gouyette, marié à Halima Kheir d’origine marocaine ou de Sidi Bel-Abbès, a une trajectoire diplomatique sans faille puisque qu’il a servi, entre autres, dans le monde arabe (Lybie, Arabie Saoudite, Syrie, Turquie, Emirats arabes Unis, Chypre et la Tunisie) et à la centrale (Direction des affaires politiques, Direction Europe, Sous direction de la Presse) après un passage au Ministère de l’intérieur, puis ambassadeur chargé du processus euro-méditerranéen. Son cursus universitaire est également conforme à ses diverses missions, puisqu’arabisant et diplômé de Droit et de sciences politiques, titulaire d’un DESS de traduction d’arabe français et d’un diplôme supérieur d’arabe littéral et pour couronner le tout, grand amateur de musique arabe ancienne. Espérons qu’il appréciera la Zorna de Boualem Titiche, en Algérie !

(9) Ayant participé à des rencontres (à Rome et à Alger) relatives à « la paix et à la sécurité en méditerranée », j’avais rencontré messieurs R. Barre et M. Rocard, qui m’ont dit cette phrase qui me reste encore en tête : « Nos deux pays doivent construire ensemble un grand dessein, qui survivra à toutes les vicissitudes du moment » ! Dont acte. 

 

Auteur
Dr Mourad Goumiri, Professeur associé

 




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