Dans la nuit du 4 au 5 août, les flammes ont ravagé une partie de la maison Djamila Amrane-Minne à Bobigny (Seine-Saint-Denis), inaugurée à peine un mois plus tôt en hommage à une militante du FLN d’origine française.
L’incendie, ciblé et sans équivoque, s’inscrit dans une série d’actes de haine raciste qui visent aujourd’hui ceux qui rappellent que la France a été colonisatrice — et que certains de ses enfants l’ont combattue de l’intérieur.
Le feu a pris sous la terrasse en bois, au pied même de la plaque portant le nom de Danièle Djamila Amrane-Minne, figure de la guerre d’indépendance algérienne, arrêtée à 17 ans pour son engagement aux côtés du FLN, devenue ensuite universitaire et historienne des luttes de femmes. La baie vitrée a explosé sous l’effet de la chaleur. Il ne s’agit pas d’un simple acte de vandalisme, mais d’une attaque symbolique contre une mémoire que la République officielle peine toujours à assumer.
Une femme, une histoire, une cible
Ce bâtiment public avait été renommé par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, dirigé par la gauche, dans le cadre d’une démarche de reconnaissance mémorielle. Dès la mi-juillet, il avait fait l’objet de tags racistes : croix celtiques, slogans anti-Algérie, insultes visant le FLN. Autant de signes d’une extrême droite qui, confortée par le climat actuel, s’en prend désormais aux lieux de mémoire comme à des champs de bataille idéologique.
« Ce qu’on attaque, ce n’est pas une façade. C’est ce que ce nom représente : le refus de l’ordre colonial, la fraternité entre les peuples, l’insoumission. » – Collectif syndical Visa 93
Quand l’extrême droite s’autorise
Dans un communiqué clair et ferme, le collectif Visa 93, qui regroupe la CGT, SUD, Solidaires et d’autres organisations engagées, dénonce un climat de haine nourri depuis les plus hautes sphères de l’État. Les regards se tournent vers Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, dont les déclarations contre la coopération franco-algérienne ou les commémorations liées à l’indépendance ne cessent de légitimer les récits nostalgiques du colonialisme.
Cette séquence n’est pas isolée. Elle fait écho aux multiples atteintes aux plaques en hommage à Maurice Audin, aux menaces contre les lieux de culte musulmans, ou aux lois qui criminalisent les paroles anticoloniales dans l’espace public. C’est une vision fermée, autoritaire et rance de la France qui cherche à s’imposer. Et elle cible d’abord celles et ceux qui, comme Djamila Amrane-Minne, ont osé trahir l’empire.
Ce que la République oublie, la droite radicale détruit
Djamila Amrane-Minne, décédée en 2017, incarne tout ce que la République officielle peine à honorer : une femme, blanche, française, mais debout contre le colonialisme. Avec son livre Des femmes dans la guerre d’Algérie (1994), elle a mis en lumière des voix longtemps invisibilisées, étouffées par une mémoire sélective.
Le président du conseil départemental, Stéphane Troussel, a dénoncé « un acte digne des héritiers de l’OAS » et promis que la Seine-Saint-Denis ne céderait pas. Mais la question reste posée : que fait l’État face à cette escalade ? Où sont les condamnations nationales ? Où est le sursaut républicain qu’on invoque à chaque vitrine brisée… sauf lorsqu’il s’agit de l’Algérie ?
Ne pas se taire
L’incendie de Bobigny n’est pas un fait divers. Il est le symptôme d’une France malade de son passé colonial, et qui laisse l’extrême droite manipuler la mémoire collective. Ce n’est pas seulement une plaque qu’on a voulu noircir, c’est une passerelle entre les peuples qu’on cherche à couper.
Dans ce combat pour la mémoire, se taire, c’est déjà céder.
Djamal Guettala