Nous publions ci-dessous l’avant-projet de Convention de la diaspora rédigée par un ensemble de militants. Cet avant-projet de Convention sera débattu le 25 juin à Paris pour sortir avec une organisation de la diaspora.
PREAMBULE
Depuis l’accession de l’Algérie à l’indépendance et l’installation, par un coup de force, d’un pouvoir politico-militaire qui reste le fondement de tous les régimes successifs, le peuple algérien est toujours en quête de sa souveraineté confisquée.
L’histoire post-coloniale du pays est jalonnée de révoltes, de contestations et de revendications, le plus souvent réprimées dans le sang et la douleur. Le recours à la violence est systématiquement adopté comme mode de gestion pour répondre aux revendications des citoyens, dès lors que la recherche de la paix civile par la rente, la généralisation de la corruption et du clientélisme ne fait plus effet.
Ainsi la stabilité de façade mise régulièrement en avant par les différents clans du régime qui se sont succédé au pouvoir n’est en réalité qu’une manœuvre destinée aux partenaires internationaux du pays, l’Algérie officielle n’incarnant aucunement l’Algérie réelle.
A la faveur du déclenchement de la révolte historique et populaire du Hirak en février 2019, la plus massive et généralisée à l’échelle de tout le pays depuis l’indépendance, une volonté de rupture avec le système politique en place pour un changement démocratique a été clairement exprimée par des millions d’Algérien.n.es, particulièrement parmi les jeunes générations.
A travers les slogans scandés et les interventions publiques, le peuple algérien a mis en évidence son aspiration à se libérer de toutes les oppressions, de reprendre le fil rompu du message des révolutionnaires de la guerre de libération nationale et de vouloir s’affirmer maître de son destin.
En adoptant une démarche pacifique et en identifiant les raisons profondes à l’origine de la crise politique chronique depuis 1962, telles que la légitimité du pouvoir, les blocages structurels, la gestion patrimoniale du pays, les restrictions des libertés individuelles et collectives, les citoyens ont montré leur niveau de conscience politique et leur désir de refondation pour l’édification d’une « Algérie libre et démocratique ». En effet, réconciliée avec elle-même, riche de sa pluralité culturelle, linguistique et de ses potentialités naturelles, portée par la dynamique de sa jeunesse et dotée d’un État de droit démocratique et social, l’Algérie présente toutes les conditions d’un développement humain et économique réussi.
Face à l’ampleur de la contestation ainsi qu’à la justesse, la légitimité et la profondeur des revendications, le pouvoir réel a été structurellement incapable de se remettre en cause, préoccupé exclusivement par sa survie. Après avoir sacrifié certains de ses membres les plus en vue, une politique offensive répressive a été décidée avec un appui judiciaire par la promulgation de lois liberticides, dont l’article 87 bis constitue le faîte, en permettant d’incriminer de « terrorisme » toute expression ou acte s’inscrivant en dehors de la ligne des autorités. Une nouvelle Constitution a été validée, malgré le boycott du référendum par près de 80 % de la population. La loi fondamentale permet ainsi, pour la première fois, d’entériner de jure le rôle politique exercé jusque-là de facto par l’armée, de concentrer encore plus de pouvoirs entre les mains du président de la République et de rendre possible, par des subterfuges juridiques, l’application de lois liberticides en toute légalité.
Fort de sa logique répressive et de sa mainmise sur les institutions du pays, le pouvoir en place, par une politique du tout répressif et la déconstruction de tous les acquis démocratiques, mène avec acharnement une bataille globale depuis plus de trois ans contre le peuple algérien pour le contraindre à renoncer au changement politique revendiqué. La rupture avec le peuple est ainsi consommée et le résultat est un pays bloqué à tous les niveaux, sans vision, générant du désespoir touchant toutes les couches sociales et poussant nombre d’Algérien.n.es à ne trouver d’issue que dans la fuite du pays par tous les moyens, le vidant ainsi de ses compétences et de sa jeunesse.
Les activistes du Hirak, les militant.e.s politiques et les journalistes sont les cibles privilégiées du régime avec des conséquences édifiantes sur les droits humains : des centaines de détenu.e.s politiques et d’opinion parfois violenté.e.s ou torturé.e.s, ainsi que des milliers de citoyen.ne.s poursuivi.e.s et harcelé.e.s par la justice. La fermeture du champ politique et médiatique est menée méthodiquement avec tous les moyens de la répression, notamment l’instrumentalisation de la justice pour ne laisser aucun espace de liberté.
Dans un tel contexte, la communauté algérienne en France ne peut se contenter d’apporter seulement son soutien au processus révolutionnaire et rester observatrice de la dérive d’un régime qui ne se fixe aucune limite, faisant ainsi basculer la nature de l’État algérien d’autoritaire à une véritable dictature. L’appel du devoir et le sens des responsabilités
historiques imposent à la diaspora algérienne une refonte de l’action militante et l’amorce d’un débat de fond sur le rassemblement et la pertinence d’une organisation.
A l’effet de contribuer activement à desserrer l’étau autour des militants en Algérie et en droite ligne avec les revendications et aspirations exprimées, des membres de la diaspora activant dans le Hirak ont ainsi initié un processus de concertation, large et inclusif, sur les éléments constitutifs de la crise algérienne, ses origines et les facteurs qui freinent l’amorce d’une solution.
Ainsi, un premier appel datant du 11 décembre 2022 a été lancé pour un rassemblement sur la base des fondamentaux du Hirak que sont la démocratie, l’unité dans la diversité et la lutte pacifique. En répondant à cet appel, les adhérents à cette démarche ont jugé nécessaire de donner corps à une organisation dont le but sera de créer un prolongement organisé et politique à leur action militante en faveur du Hirak dans la diaspora.
Un premier cycle de débats a porté sur les contours d’une organisation diasporique ainsi que sur des questions jugées fondamentales qui se posent à la société algérienne et qui peuvent également être sources de conflits et constituer des leviers de manipulation entre les mains du pouvoir : la question nationale, la question démocratique et les problématiques sociétales.
Ces échanges constructifs ont abouti à une esquisse d’un projet démocratique qui se veut fédérateur sans pour autant prétendre porter l’ensemble des visions algériennes, ceci dans un contexte appelant aussi à une reconfiguration politique de l’opposition, suite au Hirak et à la nouvelle donne politique algérienne.
D’autre part, ces discussions ont eu pour but de déterminer les contours d’un cadre d’action et de concertation pour la diaspora, laquelle est définie ici comme l’ensemble des citoyen.ne.s algériens résidant en France qui se sont mobilisés par dizaines de milliers pour apporter leur soutien au Hirak et dont sa composante active œuvre quotidiennement à maintenir l’esprit du Hirak, à mener des actions de sensibilisation à l’international et à soutenir les victimes de la répression.
QUELLE ORGANISATION ?
La problématique de l’organisation de la diaspora s’articule autour de deux questions fondamentales : pourquoi s’organiser ? Comment s’organiser ?
La première question trouve une part de réponse dans l’appel à la réunion du 11 décembre 2022. Telle que stipulée dans ce document de base, la nécessité de doter la diaspora d’un cadre politique de concertation et d’action s’impose avec acuité. La conjoncture historique que traverse l’Algérie, marquée par une répression sans précédent, impose à la communauté algérienne établie à l’étranger de revoir son rôle et son apport à la Révolution pacifique en cours en Algérie depuis 2019.
Dans la continuité de son engagement et de son implication massive et soutenue dans le Hirak, la diaspora algérienne de France se doit de relever le défi de l’organisation et du rassemblement autour des valeurs de ce mouvement pour une alternative crédible face au discours de la dictature en place.
Une mission qui, loin d’être une sinécure, reste incontournable si la communauté algérienne établie en France souhaite exister en tant qu’entité soucieuse de peser sur l’évolution de la situation en Algérie. Pour ce faire, elle doit trouver une forme d’organisation qui reflète sa diversité et qui lui permettra de contribuer à inverser le rapport de force en sa faveur et pour l’avènement de la démocratie en Algérie.
De par son nombre et son poids économique, la diaspora algérienne de France se doit légitimement d’ambitionner le rôle d’acteur de liaison et d’interaction avec le pays et les autres diasporas algériennes à travers le monde ainsi que d’influer sur les politiques étrangères.
Pour ce qui est de la forme d’organisation à adopter, il ne s’agit pas de créer un nouveau collectif ou une nouvelle association, mais le modèle à retenir doit nous permettre d’aller dans le sens des objectifs que nous nous sommes fixés. Il est toutefois clair que le caractère politique de la prochaine structure sera dominant et veillera à ce qu’elle puisse jouer pleinement son rôle dans l’unification des forces politiques activant pour les objectifs tels que précisés dans l’appel du mois d’octobre.
En prenant en considération les réalités historiques, politiques et humaines de l’Algérie et de la diaspora, cette organisation à caractère politique aura deux objectifs :
- Celui du rassemblement des Algérien.ne.s de la diaspora en France qui adhèrent aux fondamentaux du Hirak et qui militent pour un changement démocratique en Algérie, en adoptant le texte fondateur de l’organisation.
- Celui de la défense des intérêts moraux, politiques et économiques de la diaspora en France.
Cette organisation sera mise en place à l’issue d’une Convention de la diaspora et de l’adoption des textes fondateurs. La structuration de l’organisation privilégiera l’horizontalité et la collégialité, mode de fonctionnement général actuel de la diaspora agissante.
Ainsi, cette organisation n’est ni exclusive ni caporaliste mais inclusive et audacieuse dans son projet en posant les problèmes de fond traversant notre société et les questions qui sont restées en suspens depuis l’indépendance. Par l’accumulation de luttes et d’expériences, ce processus qui s’inscrit dans le prolongement du Hirak, se doit d’être porteur d’espoir en élaborant un discours d’opposition politique constituant une alternative sérieuse pour les luttes ultérieures.
Aussi, un texte regroupant le résultat des débats autour des questions démocratiques et nationales est proposé dans un avant-projet à débattre avec toutes les citoyen.ne.s intéressé.e.s à donner un contenu politique aux aspirations du peuple algérien, exprimées depuis 2019, alors que ce même peuple est aujourd’hui muselé par une répression totale qui lui interdit toute expression
PROJET DÉMOCRATIQUE
La revendication démocratique constitue l’essence même du mouvement populaire que constitue le Hirak. « Djazayer hurra dimuqratiya », « Algérie libre et démocratique » avait ainsi figuré parmi les slogans fondateurs du Hirak et c’est par millions que les Algérien.ne.s de toutes les classes sociales et des différentes régions du pays l’avaient scandé. En ce sens, le Hirak avait clairement exprimé une volonté de changer radicalement de système politique : « yetnahaw gaɛ », « anedu, anedu, alama yeɣli udabu ». D’autres slogans en avaient précisé le contenu : la souveraineté populaire, excipée à travers le « 7 /8 », « Sha3b iqerrer », « bled bledna wa ndiru rayna » ; le caractère républicain de l’État, « djumhûriya mâshî mamlaka » ; la subordination de l’armée au pouvoir civil, « dawla madaniya mâshî ‘askariya », « ‘Abane khela ussaya, dawla madaniya » ; l’indépendance de la justice « ‘adala mustaqila » ; la « transition démocratique », « non au 102 », etc.
À travers ces slogans, les Algérien.ne.s, particulièrement les jeunes générations, ont manifesté un désir de démocratie et de communauté de destin, écrivant ainsi une page déterminante dans la construction et le raffermissement de la nation algérienne.
1- Fondements démocratiques
La souveraineté populaire
La souveraineté populaire, expression directe de la démocratie, a constitué une revendication essentielle du Hirak. Confisquée depuis l’indépendance, cette revendication pose la question de la légitimité du pouvoir installé depuis le coup de force de l’été 1962. Scandés lors des marches, les articles « 7/8 » renvoyaient à cette souveraineté nationale qui appartient exclusivement au peuple, à commencer par le pouvoir constituant.
Or, au-delà des apparences formelles, aucune constitution algérienne, depuis celle du cinéma Majestic (1963), n’a permis de matérialiser ce principe. Le peuple reste en effet impuissant à directement exprimer sa souveraineté, puisque la Constitution dispose qu’elle s’exprime par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne (art. 8, al. 2), de ses représentants (art. 8, al. 3) et du référendum (art. 8, al. 3), référendum que seul le président peut initier (art. 8, al. 4), puisque seul à l’initiative de la révision de la Constitution depuis 1976.
Le Hirak était ainsi incapable de révoquer le président Bouteflika en 2019, et c’est in fine le souverain réel, par-delà toute disposition constitutionnelle, c’est-à-dire l’armée, qui le poussa à la démission le 2 avril 2019.
La révocation des élus est une question qui avait été soulevée dans le passé et qui avait déjà figuré en mai 1962 dans le Projet de programme de la Fédération de France du FLN et en novembre 1962 dans les débats de l’Assemblée nationale constituante algérienne. La consécration d’un tel pouvoir permettrait au peuple d’exercer directement sa souveraineté contre des représentants qui dévieraient de l’expression de la volonté générale, en évitant ainsi l’arbitrage de l’armée.
L’expression de cette souveraineté nécessite en outre et avant tout de permettre au peuple d’initier de lui-même l’écriture d’une nouvelle constitution, à travers un référendum sur la convocation d’une Assemblée constituante ; d’initier de lui-même une révision de la Constitution, à travers un référendum constitutionnel ; d’initier de lui-même une loi, à travers un référendum législatif ; d’initier de lui-même un référendum de véto, afin de s’opposer à l’adoption d’une loi adoptée par le Parlement ; et d’initier de lui-même un référendum abrogatif, afin d’abroger une loi adoptée par celui-ci.
Sans s’opposer au régime représentatif, ces modes d’expression directe de la souveraineté, bien connus du droit comparé, doivent également s’adapter à la réalité multiculturelle algérienne, par l’exercice d’une démocratie consociative, pour une meilleure équité dans l’expression de la souveraineté populaire.
La démocratie directe ne s’oppose pas en effet au régime représentatif, mais permet d’en corriger les problèmes inhérents, en permettant toujours au peuple d’imposer son dernier mot, c’est d’ailleurs le sens de « la souveraineté nationale appartient au peuple ». Encore faut-il que cette représentation soit réellement représentative, ce qui pose la question du mode de scrutin.
Ainsi, le mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours, déjà expérimenté en Algérie, favorise la surreprésentation de certains partis politiques au détriment d’autres. Contre ce « miroir déformant », il conviendra donc d’adopter le mode de scrutin proportionnel, dont le droit comparé démontre qu’il figure parmi les standards de la démocratie. Ce scrutin proportionnel pourra être complété et corrigé par des éléments de démocratie réelle, tels que la parité entre hommes et femmes ou bien encore des quotas de jeunes en position éligible.
Enfin, pour éviter toute instrumentalisation de la souveraineté populaire, au risque du plébiscite, le référendum ne pourra jamais relever des représentants, hormis les référendums obligatoires en cas de révision constitutionnelle. En outre, le référendum ne pourra pas être instrumentalisé pour opposer une partie de la population à une autre. En ce sens, la remise en cause de certains droits et libertés, à l’image du pluralisme linguistique, ne pourra être acceptée qu’à la condition que l’ensemble des régions du pays s’y accordent.
L’État civil et l’égalité citoyenne : conditions de la démocratie
L’État civil, fortement revendiqué par le Hirak, est essentiellement entendu comme une opposition à l’État militaire actuel avec sa façade civile. Pour renforcer l’armée, dans ses missions majeures de défense et de sauvegarde des frontières du pays, celle-ci doit être subordonnée au pouvoir civil et non s’ingérer dans la vie politique du pays. Cette exigence démocratique peut être recherchée jusque dans le Congrès de la Soummam, en 1956, et le Projet de programme de la Fédération de France du FLN, en 1962. Pour matérialiser une telle exigence, il convient d’astreindre l’armée au respect des principes hiérarchiques et non-délibératif, sous l’autorité du gouvernement à travers un ministre civil de la Défense, responsable politiquement devant le Parlement, c’est-à-dire devant la représentation nationale.
L’État démocratique et social tel que souhaité par le Hirak doit garantir à la fois les libertés individuelles et les libertés collectives. Un tel État doit ainsi assurer le respect des libertés religieuses, de culte, de croyance, de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, tout en garantissant les libertés de réunion, de manifestation, d’association ainsi que la liberté syndicale. Il doit garantir à tous le droit à la vie, à la dignité humaine, à un environnement sain, à l’éducation, au travail, aux loisirs, au repos, tout en réparant les inégalités dues à la naissance, à la condition sociale ou au handicap.
Une clarification s’impose sur la place de la religion et son rapport à l’État, sujet de débat sérieux dans la société algérienne et dont la sensibilité est mise à profit par le pouvoir pour des manœuvres de division et de manipulation. Cette question renvoie d’ailleurs à une revendication ancienne et constante du mouvement national algérien. L’émir Khaled avait en effet déjà revendiqué la séparation du culte et de l’État en 1924, suivi en 1950 par l’Association des Oulémas musulmans algériens, puis encore à la veille de l’indépendance par la Fédération de France du FLN.
Aujourd’hui, en optant pour un État démocratique, des millions d’Algérien.ne.s, à travers le Hirak, ont clairement opté pour un État civil, ni militaire ni religieux, c’est-à-dire neutre, qui ne soit ni contre l’armée ni contre la religion. Cet État doit être fondé sur l’égalité citoyenne, en permettant à chaque citoyen.ne de s’y reconnaître représenté et de s’y sentir protégé, par la garantie des libertés de croyance et de conscience. C’est ainsi que pour assurer la fonction inclusive de l’État, préserver la religion de toute instrumentalisation et garantir ainsi la liberté religieuse, une séparation du religieux et de l’État s’impose dans les textes fondamentaux de l’État algérien. L’État civil n’a donc pas vocation à s’ingérer dans les affaires religieuses et à définir le dogme mais doit veiller au respect du pluralisme religieux, dans le cadre de l’ordre public et d’une société démocratique.
La question de l’égalité citoyenne requiert la prohibition de toute discrimination, notamment sur une base confessionnelle ou de sexe. Elle s’est d’ailleurs posée dès 1927, lorsque l’Étoile Nord-africaine avait réclamé l’élection d’un Parlement algérien au suffrage universel, sans discrimination de confessions et de « races », tandis que le 1er novembre 1954, le FLN appelait à la restauration d’un État algérien souverain, démocratique et social dans « le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions ». En outre, l’exigence d’une égalité entre les sexes, dans le statut personnel et les successions, avait déjà été revendiquée par la Fédération de France du FLN, en 1962, et dans les débats de l’Assemblée nationale constituante, en 1963.
A contrario, l’adoption d’un Code de la famille inégalitaire en 1984 suscita de forts mouvements de protestation, notamment parmi les femmes qui avaient participé à la Révolution et qui s’estimaient légitimement trahies à cette occasion. Si certaines dispositions discriminatoires du Code furent amendées en 2005, d’autres furent maintenues.
Conscient.e.s qu’il s’agit d’une question sensible, en raison de la prégnance religieuse dans la société, qu’elle est source de crispations et de divisions et qu’elle intéresse directement la moitié de la population, une réflexion à ce sujet s’impose pour trouver des solutions adéquates et adaptées à la réalité de la société.
Le principe –égalité dans la liberté- peut ainsi permettre à tout citoyen d’opter librement pour son choix de vie personnelle, par une conciliation de ces principes démocratiques.
Le principe d’égalité effective entre les femmes et les hommes, dans tous les domaines, y compris le statut personnel et les successions, doit être consacré comme fondement dans une société aspirant à la modernité et à l’émancipation de toutes ses composantes.
Cependant, il sera possible d’exercer cette égalité en respectant également la liberté individuelle des citoyen.ne.s qui voudraient opter pour un statut personnel d’ordre religieux, par l’instauration d’un pluralisme juridique, tout en veillant au respect des droits humains fondamentaux. Un tel pluralisme, lequel a déjà un ancrage dans l’histoire algérienne, est d’ailleurs reconnu dans plusieurs pays du continent africain où se mêlent et se côtoient droit civil, doit coutumier et droit musulman, notamment au Sénégal, pays très majoritairement musulman, laïque par sa Constitution et qui reconnaît néanmoins une liberté d’option en matière de statut personnel.
2- Séparation horizontale et verticale des pouvoirs : permettre l’unité dans la diversité
Dans un pays marqué depuis l’indépendance par un autoritarisme présidentialiste militarisé de facto, voire récemment de jure, la question du « changement radical de système » revendiqué par le Hirak nécessite une refonte du régime politique en place. Dans ce cadre, la question de l’instance détentrice de la légitimité et de la souveraineté nationale se pose.
Le présidentialisme est loin de relever du fatalisme, puisque l’Étoile Nord-africaine avait réclamé, dès 1927, en même temps que l’indépendance du pays, l’élection d’un Parlement national, et non l’élection d’un président de la République, tandis que les projets de Constitution de la Fédération de France, en 1962, et de Ferhat Abbas, en 1963, avaient prévu un gouvernement responsable politiquement devant le Parlement.
Le présidentialisme, par la confusion des pouvoirs qu’il accorde au profit d’un homme providentiel, a d’ailleurs largement démontré ses limites, tant sur le plan démocratique que socio-économique. Plusieurs exemples dans le monde montrent que l’élection d’un président de la République au suffrage universel direct, notamment dans les pays marqués par une tradition césariste, peut constituer un danger pour la démocratie, ce qu’a démontré récemment le cas tunisien.
Or en Algérie, l’exigence de la collégialité renvoie aussi bien à la gestion traditionnelle algérienne qu’aux statuts du Gouvernement provisoire de la République algérienne et ceux du FLN (1959), ce que la Fédération de France avait concrétisé par un présidium de onze membres, élu par le Conseil national. Afin de représenter au mieux les différentes sensibilités de la société algérienne, la solution serait un conseil exécutif directorial élu par le Parlement et dont le président serait élu parmi les membres de ce conseil pour le représenter, sans disposer néanmoins de pouvoirs propres.
Quant à la séparation verticale des pouvoirs, elle relève d’une exigence de démocratie locale et doit être fondée sur le principe de subsidiarité. Dixième plus grand pays au monde, l’Algérie étouffe d’une centralisation restrictive des initiatives locales. Voilà pourquoi il est nécessaire de décentraliser le pays à travers une politique de régionalisation, fondée à la fois sur les réalités économiques et culturelles locales. Dans ce cadre, l’institution du wali, héritée du colonialisme français (préfet) doit être supprimée, au profit d’exécutifs régionaux élus, issus des assemblées régionales, elles-mêmes élues au suffrage universel direct, en ce qu’elles sont plus à même de traiter des réalités régionales.
Cette séparation verticale doit permettre le libre épanouissement du pluralisme culturel, dans cet État algérien « où chacun aura sa place au soleil » que réclamait déjà l’Algérie libre vivra ! en 1949. À ce titre, il existe un plurilinguisme en Algérie, riche de sa diversité, comportant l’arabe, le tamazight et ses variantes, la dardja et ses variantes ainsi que le français.
Une politique linguistique nationale et régionale est à penser, en tenant compte de la réalité des usages des langues, de l’existence de « territoires linguistiques » ainsi que de la volonté des locuteurs, tout en veillant à l’intégration nationale, dans le respect de la diversité.
L’Algérie qui reconnaît à présent deux langues officielles se doit de rendre effectif ce bilinguisme dans les organes et institutions nationales, au niveau du Parlement national, du Journal officiel, des juridictions nationales, de l’Éducation nationale, etc., tout en favorisant l’usage d’autres langues de travail afin d’inscrire pleinement l’Algérie dans ses ancrages méditerranéen, africain et mondial.
PROJET NATIONAL
La question nationale est un sujet central de la problématique algérienne. C’est souvent à l’aune de ce sujet sensible que peuvent se comprendre plusieurs événements qui ont jalonné l’histoire de l’Algérie contemporaine. La nation algérienne, sa réalité, son identité, ses éléments constitutifs font toujours l’objet de batailles idéologiques sans concessions.
Ainsi, ce sujet qui a traversé tout le mouvement national a été posé avec acuité en 1949, période d’affrontement de deux visions de l’identité de l’Algérie indépendante, l’une idéologique et hégémonique et l’autre pluraliste, reconnaissant sa diversité. Étouffée en raison de l’impératif commun de libération, cette question est devenue un sujet tabou avec sa problématique toujours posée et non résolue à ce jour, expliquant nombre d’aspects délétères liés à la conception de l’État algérien.
L’État Nation algérien, tel que conçu aujourd’hui, s’est construit dans une nécessité historique de la Révolution algérienne, comme affirmé dans la déclaration du 1er novembre 1954, nonobstant les conflits qui ont traversé le mouvement national quant à sa nature.
Au lendemain de l’indépendance, les limites de l’État Nation tel que défini par les autorités en place sont apparues et beaucoup d’auteurs, sociologues et historiens étaient plus nuancés quant à son parachèvement et à son immunité. Certains ont parlé d’un État Nation en formation, et d’autres en mutation quand d’autres ont émis le regret de n’avoir pas su penser la Nation. Bien que dans les faits, l’aveu d’échec non-assumé, s’est manifesté par divers programmes économiques et sociaux, prônant « décentralisation et équilibre régional ».
Cet État fortement centralisé construit sur une base idéologique, apanage d’une élite et d’un courant politique, s’est installé en dépit de la réalité algérienne et en négation de la représentation des populations dans leurs diversités. Les trois dernières décennies dans le monde ont été marquées par la dislocation de beaucoup d’États prônant ce modèle d’État Nation post-indépendance, responsables de clivages et d’exclusions. Aucun État Nation ne peut résister à l’aspiration à la liberté des peuples qui le composent, car il ne peut se construire contre la liberté et dans la négation de soi et de l’autre.
Dans ses moments forts, le Hirak a exprimé l’attachement à l’unité nationale tout en assumant la diversité et la reconnaissance de chacun. L’emblème amazigh brandi aux côtés du drapeau national a constitué une symbolique puissante qui a marqué la nature de ce mouvement populaire assumant sa pluralité profonde inscrite dans une communauté de destin. Et il est remarquable que le premier acte de répression du pouvoir s’est manifesté contre cette expression de la réalité de la nation algérienne à travers le Hirak.
Au-delà des symboles, drapeau et hymne, ce qui maintient essentiellement l’unité et qui fait nation est l’attachement commun et profond à la terre algérienne, ainsi que les valeurs et les aspirations partagées, comme l’a montré le Hirak à travers ses fondamentaux.
La reconnaissance de la réalité des composantes de la nation, dans leur diversité et en les assumant concrètement dans l’organisation de l’État, ne constitue pas un danger pour la nation. C’est au contraire le ciment de son unité et l’assurance de se prévenir de tous les risques de partition et de dislocation. En revanche, la crainte réside dans la politique menée par les forces détentrices du pouvoir actuel qui continuent dans leur vision schématique et synthétique de la nation. Tout en déclarant défendre et préserver l’unité nationale, ces cercles décideurs s’emploient, pour se maintenir aux commandes, à exceller dans les manœuvres de division, à faire croire à l’existence d’ennemis intérieurs et à pratiquer la discrimination dans les politiques culturelles, linguistiques et socio-économique des territoires, ce qui peut conduire le pays à l’implosion.
C’est donc autour d’un passé et d’un présent aujourd’hui crucial dont dépendra un avenir commun, que doit se repenser la Nation et l’État algérien.
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La nation algérienne
La nation algérienne s’est forgée de luttes et s’est construite à travers celles-ci, jusqu’à sa cristallisation pendant le mouvement national et la guerre d’indépendance, aboutissant ainsi à sa forme contemporaine.
Cette nation, qui a été longtemps en état de gestation, s’est fondée par le combat pour la défense de la terre contre les nombreux envahisseurs, de façon localisée ou élargie par des
alliances entre les populations en révolte. La nation algérienne est aujourd’hui le résultat de son histoire qui plonge ses racines dans un passé multimillénaire, dans l’espace historique et géographique méditerranéen et africain. Tout au long des siècles et au grès des occupations étrangères, les populations autochtones amazighes ont intégré, composé et interagi avec les différents apports civilisationnels, notamment musulmans et occidentaux, en y imprimant pour les plus marquants leur personnalité et en apportant leur vision propre au monde, par la pensée, les savoirs et dans l’organisation socio-politique.
C’est cet héritage historique fondé sur un socle originel amazigh, en plus des liens tissés avec d’autres contrées, qui a construit la nation algérienne, expliquant sa personnalité et la réalité des vécus d’aujourd’hui et ce, sans les constructions idéologiques d’appartenance exclusive à des « mondes » au détriment de la personnalité nationale. Comme toutes les nations jamais figées, la nation algérienne sera encore appelée à évoluer en fonction de nos choix d’avenir.
La nation algérienne doit donc être assumée et reconnue dans sa propre réalité historique et anthropologique et ne pas être définie par une quelconque vision idéologique. Sur un fond commun, sa nature est incontestablement multiculturelle, multilingue, avec des composantes diverses formant des entités porteuses de fortes spécificités culturelles et linguistiques. Résultat de notre histoire mouvementée, ces différences qui font la richesse de l’identité algérienne sont à assumer et reconnaître et non pas à considérer comme des dangers à combattre et à exclure au nom d’une politique uniciste, laquelle est à l’origine de conflits et de tentations séparatistes.
Ainsi l’adoption du triptyque identitaire « arabité, islamité, amazighité » qui a eu, en son temps, le mérite d’avoir contribué à intégrer la dimension amazighe dans le préambule de la Constitution, procède tout autant d’une vision uniciste, niant la réalité de la complexité de l’humain et de son droit à la différence et ne peut se résumer à une opération arithmétique.
Être Algérien, c’est de se reconnaître et se retrouver pour l’essentiel dans l’Autre pour faire nation et c’est aussi vivre sa différence construite par son terroir, sa langue, son vécu, ses croyances et sa propre compréhension du monde.
Riche de cette pluralité, l’Algérie doit être définie simplement algérienne comme l’avaient déjà souhaité des militants du Mouvement national.
L’Algérie officielle doit incarner cette Algérie réelle. Que des Algérien.ne.s se revendiquent Amazigh.e.s ou Arabes, ou de différentes autres origines, c’est leur droit absolu et cela doit être respecté. Tous sont des Algérien.ne.s, aucun ne doit subir d’exclusion et tous doivent se sentir représentés par les institutions de leur pays. Tout en reconnaissant l’identité et l’histoire du pays, la citoyenneté algérienne doit se définir en toute neutralité. Elle est une adhésion libre à un contrat social, établi par la volonté populaire et inscrit dans une Constitution qui se doit d’être inclusive de toutes les entités, unies par un sentiment d’appartenance et d’amour du pays.
Au plan régional, l’Algérie fait partie naturellement de l’ensemble nord-africain de par les aspects anthropologiques, géographiques et historiques. Les peuples d’Afrique du Nord sont unis par des liens puissants, notamment historiques, identitaires, culturels et linguistiques.
Ils se doivent de repenser l’espace nord-africain et de construire des alternatives politiques d’intégration pour faire émerger un bloc régional puissant, développé dans le respect et au profit des peuples, et pouvant compter notablement dans la géopolitique mondiale.
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Refondation de l’État
L’État ne doit pas précéder la Nation. L’État incarne la Nation et se doit de représenter ses citoyen.ne.s dans leur diversité de façon égale et équitable.
Dans un pays aussi vaste que l’Algérie, le plus grand d’Afrique et le 10ème au monde en superficie, comportant une grande diversité géographique, culturelle et linguistique, la gestion très centralisée n’est aucunement adaptée et crée plus de problèmes qu’elle n’en résout.
L’État centralisé est plus un héritage du système colonial français qu’une aspiration véritable des Algériens qui ont des traditions de démocratie directe dans leur vécu avec des passages transitoires à des regroupements fédéraux lors d’événements menaçants.
D’autres formes d’organisation territoriale ont été utilisées pendant la guerre de libération nationale. L’organisation de 6 régions politico-militaires autonomes a été adoptée par le Congrès de la Soummam. Il est à noter également l’organigramme régionalisé de l’armée algérienne, toujours actuel.
Depuis l’indépendance, des idées ont circulé à ce sujet et ont été portées par différents acteurs : Le commandant Boubnider (mode fédéral), le FFS (régionalisation positive), le RCD (État régionalisé), les mouvements politiques et sociaux régionaux (revendication de statut particulier ou d’autonomie pour la Kabylie, autogestion pour les régions du Sud).
A noter que le régime algérien, sans aucune volonté politique de partager les leviers de pouvoir, a tenté de pallier la complexité de l’administration des territoires par des artifices divers et des projets de « déconcentration « et « d’équilibre régional » sans suite ou voués à l’échec.
La démocratie d’un système politique se mesure à la proximité de celui-ci avec les citoyen.ne.s, à l’écoute de leurs problèmes et de leur participation à leurs résolutions en leur apportant l’aide et l’assistance nécessaire. Il faudra pour cela favoriser l’usage de la démocratie directe et participative ainsi que la démocratie consensuelle ou consociative en raison de la pluralité existante, toutes ces formes de démocratie étant plus proches de nos valeurs ancestrales de gestion de nos sociétés, lesquelles persistent jusqu’à ce jour pour certaines.
Aussi un État algérien qui se veut au plus près des citoyen.ne.s ne peut le faire que par plus de décentralisation et de régionalisation, ce qui ne fera que renforcer la cohésion nationale, la pratique démocratique et permettre l’épanouissement individuel et collectif ainsi que le développement économique.
En conséquence, l’État algérien doit être refondé. Modèle majoritairement adopté par les nations multiculturelles et par les pays de grande superficie, il existe plusieurs formes d’État décentralisé de par le monde. L’essentiel étant de “sortir” de l’État centralisé avec ses
conséquences délétères, ce sera au peuple algérien de faire le choix adéquat en fonction des réalités de l’heure et le degré de décentralisation souhaité entre les différents modèles d’État décentralisé : État unitaire régionalisé, symétrique ou asymétrique ou système fédéral.
Les entités territoriales seront ainsi définies par des critères historiques, culturels, linguistiques, géographiques et socio-économiques et devront bénéficier de l’adhésion des populations concernées. Elles seront dotées d’un pouvoir législatif et exécutif pour toutes les compétences liées à la région et ce, en dehors des domaines régaliens relevant de la compétence exclusive du pouvoir central. Une forme d’asymétrie entre les régions peut s’avérer nécessaire en raison de certaines spécificités menacées et qu’il faut savoir sauvegarder comme le cas de la langue tamazight, dont des variantes sont en voie de disparition, et dont le salut passe nécessairement par la territorialisation linguistique.
Au plan économique, il est prouvé que cette forme de décentralisation donne une réelle dynamique économique aux régions en libérant leurs potentiels de savoir-faire et d’entreprenariat adaptés à leurs réalités. Il y aura nécessité de mettre en place des institutions dédiées pour favoriser l’intégration économique des régions avec un partage équitable des richesses nationales et la mise en œuvre d’un système de solidarité économique, ainsi que la facilitation des échanges dans tous les domaines.
TRANSITION DEMOCRATIQUE
Afin d’atteindre les objectifs du Hirak, une phase de transition démocratique s’impose, étape fondamentale dont dépendra la réussite et la solidité des fondements d’un État démocratique.
La Constitution algérienne en vigueur, y compris après la révision constitutionnelle de 2020, reste encore largement l’héritière de la Constitution de 1976, par la confusion des pouvoirs qu’elle organise au profit du président de la République, malgré l’« ouverture démocratique» de 1989, et par les multiples exceptions aux droits et libertés qu’elle permet, au risque de les vider de leur substance, dans un État de droit formel, mais autoritaire. Voilà pourquoi un « changement radical de système » nécessite un changement de constitution.
1- L’exigence d’une « petite constitution » de transition et l’élection d’une Assemblée constituante
Loin du mythe du « vide constitutionnel » soulevé par l’ancien chef d’État-major, le droit comparé offre de nombreux exemples de transitions démocratiques réussies par la mise en place de « petites constitutions » transitoires permettant d’organiser provisoirement les pouvoirs publics. En Tunisie, la chute du président Ben Ali fut l’occasion d’une première « petite constitution », par le décret-loi du 21 mars 2011, qui permit de dissoudre le Parlement et le Conseil constitutionnel d’Ancien régime, jusqu’à l’élection de l’Assemblée nationale constituante. Disposant de la légitimité démocratique, celle-ci adopta à son tour, par la loi constitutionnelle du 16 décembre 2011 organisant provisoirement les pouvoirs publics, sa propre « petite constitution », qui resta en vigueur jusqu’à la promulgation de la nouvelle Constitution en janvier 2014. Un autre exemple peut être recherché en Afrique du Sud, où l’abandon de l’Apartheid fut l’occasion de l’adoption d’une « petite constitution » à même d’encadrer l’élection de l’Assemblée constituante, en lui imposant le respect minimal d’un certain nombre de droits et libertés, qu’elle pouvait seulement approfondir, sous le contrôle d’une Cour constitutionnelle.
La transition démocratique en Algérie nécessite donc la rédaction d’une « petite constitution » transitoire à même de permettre des élections libres et la mise en place d’un gouvernement
de transition, chargé de mener à bien les réformes nécessaires. Dans ce cadre, il pourra s’adosser sur une assemblée représentative des différents courants de la société civile afin de revoir le Code électoral, la loi sur les associations, la loi sur les partis politiques, la loi sur la liberté de manifestation, etc. Cette première « petite constitution » pourra être légitimée par un référendum. Pour sécuriser le passage vers la démocratie, elle devra prévoir le respect d’un certain nombre de droits et libertés énoncés dans un Pacte républicain des libertés que l’Assemblée constituante devra respecter et approfondir, sous le contrôle d’une Cour constitutionnelle.
« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser, il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites ». Ce principe de bon sens, dégagé au XVIIIe siècle par Montesquieu et rappelé en 1963 par Abdenour Ali Yahia, dans les débats de l’Assemblée nationale constituante algérienne, implique de ne pas confier à un président et à son comité d’experts le soin de rédiger la Loi fondamentale du pays, au risque de le tenter à concentrer les pouvoirs à son profit, ce qu’a récemment démontré le cas tunisien, le 25 juillet 2022.
Le Mouvement national algérien a d’ailleurs toujours réclamé l’élection d’une Assemblée constituante, afin de donner au pays une constitution propre. Cet impératif démocratique avait été émis dès le programme de l’Étoile Nord-africaine de 1933, l’acte additif au Manifeste du peuple algérien de 1943 ou bien encore l’Appel au peuple algérien cosigné en 1976 par Ferhat Abbas, le cheikh Kheireddine, Ben Youssef Ben Khedda et Hocine Lahouel. Seule une Assemblée constituante est en effet à même de représenter l’ensemble de la population, tandis qu’un président ne représente généralement pas plus de 20 à 30 % de la population au premier tour d’une élection démocratique. A contrario, une Assemblée de plusieurs centaines de députés peut représenter toute cette diversité, par le mode de scrutin proportionnel, la parité entre femmes et hommes, des quotas de jeunes en position éligible, voire une part de tirage au sort afin de représenter les catégories socio-professionnelles défavorisées.
Quant au type d’Assemblée, les expériences de pays voisins montrant l’échec et la faiblesse des Assemblées ad hoc égyptienne de 2012 et libyenne de 2014-2017, face à l’ingérence de l’armée dans le premier cas et du Parlement national dans le second, nous enseignent d’opter de préférence pour une Assemblée nationale constituante, c’est-à-dire constituante et législative, qui contrôle le gouvernement. Disposant de la légitimité démocratique, cette Assemblée pourra élaborer sa propre « petite constitution », jusqu’à l’élaboration de la nouvelle Constitution.
Pour aboutir à une constitution de consensus et non à une constitution où une majorité pourrait opprimer une minorité, la règle de la majorité des deux tiers pourrait être adoptée pour le vote de la Constitution, après quoi suivra un référendum pour permettre l’expression de la souveraineté populaire.
Dans une transition démocratique, il peut survenir une phase de négociation entre l’ancien et le nouvel ordre politique. Considérant les expériences de transitions démocratiques dans le monde dans les régimes militaires (Portugal, Espagne, Chili), la question se pose dans le cas du régime algérien avec une institution militaire puissante dotée d’une bureaucratie ancienne et ancrée. En fonction des réalités, de la situation politique au moment de la transition et du rapport des forces en présence, des réponses seront apportées à ces questions : la transition sera-t-elle indépendante du pouvoir ? Sera-t-elle le résultat d’une négociation ? Quel rôle pour l’armée : observateur, acteur ou garant de la transition ?
2- La justice transitionnelle : regarder le passé pour mieux construire l’avenir
L’Assemblée constituante disposant de la légitimité démocratique, elle pourra ouvrir le chantier de la justice transitionnelle, afin de mettre sur la table tous les dossiers des différentes tragédies vécues lors notamment des événements d’octobre 1988, du printemps noir de 2001, des événements de Tkout, du Mzab et les nombreux crimes de la décennie noire, non dans un esprit de vengeance, mais de pacification de la société. L’Afrique du Sud pourrait ainsi servir d’exemple, par la mise en place d’une « Commission vérité et réconciliation », non pas afin de taire les crimes passés dans l’immunité, à l’image de la politique de paix et de réconciliation du président Bouteflika, mais afin d’encourager les anciens bourreaux à confesser publiquement leurs crimes et à obtenir le pardon de leurs victimes, à défaut de quoi la justice devra se saisir de leur cas.
Quant à la corruption, une politique d’amnistie pourrait être accordée à l’égard de ceux qui accepteraient de rendre l’argent public détourné, dans un délai à déterminer, à défaut de quoi la justice reprendra ici aussi son cours.
Pour ce faire, l’organisation de la magistrature devra être entièrement renouvelée. Une commission de l’Assemblée aura ainsi à charge d’élever, sur conditions de compétence, d’expérience et de probité, des avocats et enseignants universitaires au rang de magistrats, afin de mener à bien cette politique de réconciliation sincère, condition sine qua non pour que les Algérien.ne.s puissent tourner la page du passé, afin de mieux construire leur avenir commun.
3- La transition économique, condition de la réussite de la transition politique.
Il est établi qu’une bonne situation économique est un facteur important dans la réussite de la transition démocratique. Dans un contexte de crise économique mondiale touchant fortement une part importante des Algérien.ne.s, il faut se donner les moyens et faire en sorte d’éviter que le problème économique n’affecte la transition démocratique et sa consolidation comme cela a été le cas récemment en Tunisie. Ces deux transitions interdépendantes, transition démocratique et transition économique sont déterminantes dans la stabilité de la construction démocratique future. C’est en réussissant la transition économique par la mise en place de réformes économiques et sociales rapides qu’on donnera toutes les chances de réussite à la transition démocratique.
CONCLUSION
Ce projet consacre la réalité plurielle de la Nation algérienne qui devra être incarnée par un État à refonder, de nature civile, décentralisée, neutre et inclusive.
L’avenir est dans l’avènement d’un État algérien démocratique dans lequel aucun citoyen.ne algérien.ne n’est exclu, par la reconnaissance de toutes ses composantes, la promotion des cultures et des langues, le respect des convictions religieuses en séparant le champ politique du religieux, l’exercice de l’égalité dans la liberté permettant le libre choix des modes de vie par l’instauration d’un pluralisme juridique, l’expression de la souveraineté populaire actée par une Assemblée constituante et un mode de gouvernance traduisant ces réalités par l’adoption d’un régime parlementaire, associé à l’exercice d’une démocratie directe et consociative.
C’est cette vision du Hirak d’une Algérie algérienne, fraternelle et généreuse , qui sera en capacité d’assurer le développement humain et le vivre ensemble ainsi qu’une dynamique permettant un progrès socio-économique en capacité de relever les défis du monde d’aujourd’hui. Bridé par toutes les politiques contraignantes et destructrices du génie populaire, le potentiel créatif du peuple algérien, révélé par le Hirak, ne demande qu’à s’exprimer librement à travers ses différents talents et constitue la véritable richesse et la condition de tout réel développement du pays.
L’Algérie, dotée de ressources naturelles, d’une population jeune et d’une géographie avantageuse, pourra constituer une nation véritablement émergente en misant sur une bonne éducation avec une école publique non idéologisée, maîtrisant les savoirs et ouverte à l’universel; en favorisant l’épanouissement des intelligences et compétences; en redonnant l’envie d’entreprendre; en échangeant les savoir-faire; en veillant à la justice sociale et en instaurant le respect du droit ainsi qu’une bonne gouvernance.
C’est avec ce même esprit que doit être envisagé un avenir de paix et de prospérité partagés dans l’espace naturel nord-africain auquel appartient l’Algérie, dans l’intérêt de sa profondeur stratégique en Afrique et en Méditerranée.