Entre les déchirures de l’histoire et les élans du cœur, Le fils de la Française, odyssée d’un natif de Kabylie, publié par Dominique Hamdad-Vitré le 31 juillet 2025 dans la collection Graveurs de Mémoire — raconte bien plus qu’un parcours individuel : il révèle ce que signifie grandir dans les fractures laissées par la colonisation, l’exil et les identités qui se cherchent.
Dans ce récit courageux, Dominique Hamdad-Vitré ne se contente pas d’évoquer la Kabylie et la France comme deux territoires géographiques : il en fait deux forces qui tirent, bousculent, forgent, et parfois blessent.
Entre une enfance façonnée par les montagnes kabyles et un destin qui se déploie en Europe, il interroge les silences familiaux, les migrations forcées, les amours impossibles et les contradictions d’un pays qui accueille mais qui exige souvent qu’on se renie. Son livre s’inscrit dans cette zone sensible où la mémoire intime rencontre la mémoire collective, où l’on comprend que chaque identité née dans l’entre-deux est un combat quotidien, mais aussi un espace d’invention et de résistance.
Le Matin d’Algérie : Votre livre raconte un parcours entre la Kabylie et la France. Comment décririez-vous ce double enracinement et l’impact sur votre identité ?
Dominique Hamdad-Vitré : Je vis ce double enracinement comme une tension créatrice, mais aussi comme une source de richesse. Être à la fois kabyle et français, c’est vivre entre deux histoires, deux langues, deux imaginaires. Loin de me diviser, cela m’a offert une vision élargie du monde. J’ai longtemps cherché à réconcilier ces deux parts de moi avant de comprendre qu’elles ne demandaient pas à être unifiées, mais simplement écoutées et honorées.
Le Matin d’Algérie : Dans votre récit, l’enfance en Algérie occupe une place centrale. Quels souvenirs ont le plus marqué votre regard sur le monde ?
Dominique Hamdad-Vitré : Les souvenirs qui m’habitent encore aujourd’hui sont ceux de la terre et des odeurs. Je me souviens des longues journées rythmées par la lumière en été et par la neige sur les montagnes en hiver. Cette lumière organisait le temps et façonnait mon regard, m’apprenait à m’émerveiller des choses simples. Elle m’a aussi très tôt sensibilisé aux blessures de l’Histoire.
Le Matin d’Algérie : Vous évoquez les silences et les non-dits familiaux. Comment ces expériences ont-elles façonné votre rapport à la mémoire et à l’écriture ?
Dominique Hamdad-Vitré : L’écriture est devenue pour moi un acte de réparation, un espace où les ombres pouvaient parler. Écrire, c’est rendre audible ce que l’histoire familiale n’a pas su, ou pas pu, nommer.
Le Matin d’Algérie : L’adolescence et la découverte de l’Europe constituent un tournant. Que représente pour vous ce passage vers un monde plus vaste ?
Dominique Hamdad-Vitré : Cela a été un moment de vertige, mais aussi de libération. Découvrir l’Europe, c’était m’arracher à mes repères initiaux, élargir mes horizons, questionner mes croyances. C’était aussi prendre conscience de mon altérité. Ce déplacement géographique a provoqué un déplacement intérieur, me permettant de me confronter à moi-même autrement, avec plus de lucidité, mais aussi plus de tendresse.
Le Matin d’Algérie : L’amour et la rencontre en Autriche jouent un rôle important dans votre odyssée personnelle. Pouvez-vous nous parler de ce que ces expériences vous ont apporté ?
Dominique Hamdad-Vitré : C’est une histoire d’amour fulgurante, qui a laissé en moi une trace à la fois lumineuse et incandescente. Un amour interdit, traversé de contraintes et de choix douloureux, mais porteur d’une intensité rare. Il incarnait toute la complexité de ces rencontres qui bouleversent une vie, entre passion, beauté et souffrance. Cet amour m’a aidé à grandir, à aimer avec plus de justesse et de vérité. Il marque un point de bascule dans ma quête d’identité.
Le Matin d’Algérie : Votre parcours professionnel en France, entre enseignement et ingénierie, semble intimement lié à votre réflexion sur l’identité et la transmission. Comment conjuguez-vous ces deux dimensions ?
Dominique Hamdad-Vitré : Mon parcours a toujours gravité autour de l’humain et de la transmission. De conseiller d’éducation à enseignant, chaque étape m’a permis de comprendre que l’éducation dépasse le cadre scolaire : elle touche à la construction de soi. Ma formation scientifique m’a apporté la rigueur, mais c’est dans la relation pédagogique que j’ai trouvé ma véritable vocation. Transmettre, pour moi, c’est relier les savoirs, les cultures et les générations.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes un polyglotte et un passeur de cultures. Quel rôle la langue et la communication ont-elles joué dans votre cheminement ?
Dominique Hamdad-Vitré : Les langues ont été des clés. Elles m’ont permis de créer des ponts, de décoder les nuances, de faire entendre ma voix. Parler plusieurs langues, ce n’est pas seulement maîtriser des codes, c’est habiter plusieurs mondes intérieurs. Cela m’a permis de ne pas être prisonnier d’un seul récit. Chaque langue m’a apporté une manière différente d’aimer, de penser et de rêver.
Le Matin d’Algérie : L’exil et la résilience sont des thèmes récurrents dans votre livre. Comment avez-vous appris à transformer blessures et silences en force ?
Dominique Hamdad-Vitré : Par l’écoute, l’introspection et le refus de la victimisation. J’ai compris que mes blessures portaient une énergie qu’il me fallait orienter. La résilience est née du choix de ne pas renier mes douleurs, mais de les transformer en matière vivante. Les silences ne m’ont pas réduit au mutisme ; ils m’ont poussé à créer une parole habitée.
Le Matin d’Algérie : Votre écriture explore le lien entre mémoire et humanité. Comment percevez-vous le rôle de la littérature dans la compréhension des trajectoires personnelles et collectives ?
Dominique Hamdad-Vitré : Issu d’une formation scientifique, je ne viens pas du monde littéraire. Mon rapport à la langue s’est d’abord forgé dans l’exactitude, la logique et le concret. Ce n’est que plus tard, en m’ouvrant à la littérature et à la philosophie, que j’ai découvert une autre dimension du langage : celle de l’intériorité, de la nuance et du questionnement. C’est cette rencontre tardive avec les mots qui m’a donné envie d’écrire. Les langues que je parle – kabyle, français, arabe, anglais, allemand – m’ont permis de naviguer entre les cultures, de m’adapter, mais aussi de porter en moi plusieurs voix, plusieurs mémoires. La communication, pour moi, n’est pas qu’un outil : c’est un pont. Un pont entre les mondes, les générations, les blessures et les espérances.
Le Matin d’Algérie : Quels conseils donneriez-vous à ceux qui, comme vous, naviguent entre plusieurs cultures et tentent de trouver leur place ?
Dominique Hamdad-Vitré : Je leur dirais de ne pas chercher à trancher entre leurs identités, mais de les accueillir toutes, même lorsqu’elles semblent contradictoires. De transformer la fracture en ressource. La complexité n’est pas un obstacle, c’est une richesse. Il ne s’agit pas de choisir, mais d’harmoniser. D’oser être soi, pleinement, même si cela dérange les cases prédéfinies.
Le Matin d’Algérie : En écrivant ce récit, avez-vous découvert des aspects de vous-même que vous ignoriez ?
Dominique Hamdad-Vitré : Oui. L’écriture a été un miroir révélateur. Elle a fait émerger des émotions que j’avais enfouies, des souvenirs que je croyais oubliés. Elle m’a permis d’entrer en dialogue avec mes rêves, mes ancêtres et mes contradictions. J’ai découvert en moi une force de réconciliation que je n’imaginais pas. Et aussi une capacité à aimer le passé, même dans ses zones d’ombre.
Le Matin d’Algérie : Si vous deviez résumer en une phrase ce que vous souhaitez transmettre à vos lecteurs à travers Le fils de la Française, que diriez-vous ?
Dominique Hamdad-Vitré :Je dirais : il est possible de faire de ses racines un envol, de ses blessures une lumière, et de son histoire un pont vers l’autre.
Entretien réalisé par Djamal Guettala
Dominique Hamdad-Vitré
Ingénieur électronicien et enseignant à Paris depuis plus de trente ans, Dominique Hamdad-Vitré est issu d’une double culture franco-kabyle. Polyglotte et passionné par la transmission, l’écriture et la réflexion politique, il a été distingué par les Palmes académiques. Son œuvre explore les liens entre identité, mémoire et humanité.

