Dimanche 8 août 2021
Dr Fatiha Boucida : j’accuse !
J’ai perdu ma sœur ainée âgée de 66 ans, sans aucun facteur de comorbidité le 3 août. Dans mon deuil et ma douleur, j’ai la rage et le sentiment que la mort de ma sœur chérie est illégitime. Elle a été assassinée par les négligences, l’incompétence, l’absence de gestion et de gouvernance des responsables de la santé et du bien-être des Algériens.
Quand elle a désaturé la première fois malgré l’extracteur d’oxygène , on a cherché énergiquement une bouteille d’oxygène. Toute la famille et les proches se sont mobilisés mais hélas, dans tout Alger, pas d’oxygène pour le simple citoyen. Toute l’Algérie était en recherche…
C’est finalement grâce aux relations de mes frères et sœurs médecins qu’enfin une bouteille d’O2 arrive. On hospitalise alors ma sœur à Ain Taya et on la croit sauvée mais nouvelle grosse désillusion : à 4h du matin, ma sœur redésature encore gravement. Il n y avait plus d’O2 à l’hôpital !
Je crie, je cours dans les couloirs mais pas âme qui vive… Mes sœurs médecins arrivent encore avec un obus d’02 et la sauve.
Mais 2 crises d’hypoxie aiguës avaient grandement fragilisé ma sœur chérie dont j’étais la garde-malade 24 heures sur 24. Les nombreux garde-malades nous ont alors expliqué que ces pannes étaient quotidiennes et duraient plusieurs heures. Par contre, un camion de bouteilles d’O2, de temps en temps venaient à l’hôpital distribuer des bouteilles aux parents autorisés qui faisaient le guet jour et nuit dans l’espoir d’avoir cette bouteille et sauver un être cher en péril. Ce camion pouvait débouler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
On décide de la transférer à Parnet en réa Covid. Les médecins du service lui trouvent une ambulance SAMU et demande au directeur de nous prêter une des bouteilles d’oxygène (que mon neveu avait réussi à avoir, la veille du camion) juste pour le transport. L’oxygène du SAMU étant insuffisant. Le directeur de l’ hôpital de Aïn Taya a refusé, condamnant ainsi ma sœur . Elle a étouffé et continué à suffoquer même arrivée à Parnet. Cela a duré 7 heures .
Avant de rendre l’âme. Son cœur avait trop souffert du manque d’oxygène.. Dans l’ Algérie si riche de ses ressource naturelles, au 21ème siècle, la population meurt par manque d’oxygène, assassinée par l’incompétence, l’indifférence et l’ignorance des dirigeants .
J’ai oublié de dénoncer : tous les jours, les jeunes neveux se mobilisaient et allaient à la recherche (avec un dossier médical sérieux) et l’espoir de remplir les bouteilles vides empruntées et faisaient la queue devant les centrales d’oxygène de Réghaïa, Ouled Moussa et même Blida. Après plusieurs heures, ils revenaient bredouilles, chassés par les forces de l’ordre sous prétexte que seuls les pompiers et hôpitaux y avaient droit, condamnant ainsi à mort tous ceux qui n avaient pas trouvé de place dans ces hôpitaux mal équipés et hypersaturés. Des cliniques privées fermaient pour absence d’oxygène.
Le ministre se moque de vous, de nous tous quand il déclare haut et fort qu’il maîtrise la situation…Rien de rien… tous les jours, des centaines d’Algériens meurent en suffoquant par manque d’oxygène …j’accuse aujourd’hui les responsables dirigeants de non-assistance à population en danger!
Ma sœur était une sainte pétrie de douceur et de gentillesse. Ce que nous retiendrons de sa vie est qu’elle était née pour donner amour, tendresse et lumière à tous ceux qui avaient eu la chance de la connaître.. Pour finir, je reprendrai ce cri de colère et de douleur d’une jeune fille dont la maman est partie suffocante.
« J’ai perdu ma maman chérie le 01/08/2021. Je ne peux plus me taire dans cette immense indifférence. On a tué ma maman, purement et simplement. On me l’a prise.
Chaque soir on guettait le scope, afin de détecter le début d’une désaturation qui indiquait le début d’un nouveau cauchemar. La veille de son départ, l’oxygène a manqué à partir d’environ 21h, jusqu’à 16h du lendemain.
Une vérité que les responsables auront beau nier. Il n’y avait pas d’oxygène les gens !!! Rendez-vous compte !!! Levez-vous contre ces crimes organisés ! Ce génocide ! Ils sont en train de prendre nos mamans, nos papas, nos frères et soeurs et nos enfants dans la plus grande indifférence. Traités et considérés comme des rats dans ce trou à rats qu’on ose appeler pays.
Jusqu’à quand allons-nous accepter d’être traités ainsi dans notre pays ! Je ne me tairai pas, je dénoncerai même si je ne peux pas déloger les responsables. Je dénoncerai cet assassinat et tant d’autres, même si cela ne me rendra pas ma maman, il pourrait peut être sauver la maman de quelqu’un d’autre. »
* Cet écrit poignant a été publié sur Facebook par son auteur. De nombreux autres témoignages sur la dramatique situation des patients par le Covid-19 sont relayés sur les réseaux sociaux.