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Du fascisme au biberon à la respectabilité de Saint Cloud, l’impossible grand écart 

COMMENTAIRE

Du fascisme au biberon à la respectabilité de Saint Cloud, l’impossible grand écart 

Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement National, fille de l’ancien président populiste, Jean-Marie Le Pen, vient de subir une très lourde défaite aux élections.

La fifille du nonagénaire Jean-Marie Le Pen voulait « dédiaboliser » le parti de son père. Mais à vouloir renier une partie de l’identité profonde du mouvement, qu’elle avait assumée, pour s’allier des partisans d’une droite classique et conservatrice, on finit par perdre les uns sans convaincre les autres.

L’ampleur de la défaite est une catastrophe pour le parti d’extrême droite qui se voyait en route pour une victoire possible dans la grande bataille des présidentielles en mai 2022.

Pronostiqué vainqueur de plusieurs régions et départements, annonçant un déferlement dans les exécutifs locaux, il n’en fut le cas pour aucun. Pire encore, le parti perd des dizaines de milliers de voix en comparaison avec la même élection précédente.

L’abstention massive, d’un niveau record, ne peut expliquer à elle seule les raisons de la déroute. Le parti de madame Le Pen a, dans un premier temps, largement utilisé l’excuse mais la réalité s’est imposée très rapidement à tous les commentateurs politiques. 

Marine Le Pen avait écarté son père et avait choisi une stratégie de « dédiabolisation » du parti afin de pouvoir avoir des alliances à droite et pouvoir enfin accéder au pouvoir. C’est un échec sans appel.

On peut développer de nombreuses analyses, je m’en tiendrai à l’une d’entre elles au travers d’une question, Marine Le Pen pouvait-elle gagner son pari ? Ma réponse est négative, en tout cas le parti ne pourra jamais rejoindre la normalité républicaine avec la lourdeur du patronyme de sa leader et de son passé sulfureux. 

Le RN, fils du FN, petit-fils du fascisme des années 30’

Marine Le Pen a un beau pedigree familial puisque Jean-Marie Le Pen, son père, est le fondateur du Front National en 1972. 

Député d’extrême droite, il va réussir à fédérer des groupuscules de ce que compte encore le mouvement fasciste en France à cette époque. Son mentor en politique fut Tixier Vignancour, un des plus illustres adeptes du fascisme d’avant guerre qui réussira à ressusciter des décombres du régime de Vichy et de la déflagration européenne. 

Pour comprendre l’impossible tentative de Marine Le Pen, il faut remonter bien plus loin que son père, c’est-à-dire au terreau qui fait naître la « peste noire » (nom donné au fascisme, en parallèle avec celui du « danger rouge » qui qualifiait le communisme)  .

La doctrine d’extrême droite, née dans les années 30’, fut la pensée la plus détestable du XXème siècle, celle qui allait aboutir aux souffrances et aux millions de morts de la seconde guerre mondiale. 

Venu de loin, le fascisme s’était nourri du sentiment de venger l’humiliation subie par les nations vaincues lors du traité de Versailles, notamment l’Allemagne et l’Italie, au lendemain de la première  guerre mondiale (l’appellation de fascisme est la doctrine de Mussolini, elle est la mère de toutes les autres appellations qui suivirent, comme le nazisme ou le franquisme).

Tout cela n’aurait « peut-être » pas eu le même résultat si un autre fait historique ne s’était rajouté. Soit la dépression économique qui prenait origine de la crise américaine de 1929 et qui  allait s’abattre sur l’Europe pour alimenter toutes les frustrations, quelles que soient leurs origines. Un reflexe de repli identitaire qui aboutira aux partis et ligues d’extrême droite des années 30’ puis à  la guerre. 

Même un pays vainqueur comme la France se laissa, antérieurement, infiltrer par le poison de la « peste noire » qui aboutira au régime de Vichy. Puis, la perte des colonies donna, après la seconde guerre mondiale, un goût amer aux enfants de cette idéologie nationaliste, raciste et suprémaciste.

C’est ainsi que le mouvement d’extrême droite trouvera son terreau. Comme tous les autres fascismes, ses adeptes veulent renouer avec un mythique passé glorieux. Un passé qui les ferait, selon eux, retrouver la grandeur d’une nation désormais contrainte à l’humiliante décadence.

Ils veulent retrouver les références des grands hommes et leurs valeurs qu’ils pensent être ceux de la France éternelle, soit catholique, nationaliste, et suprémaciste, dans la lignée « blanche » de ses racines. Pour cela, un seul moyen, la force légitime d’un État qui œuvre pour la gloire retrouvée d’une nation. Donc, obligatoirement par un régime autoritaire qui ne laisse aucune place à ce qui est réfractaire et, encore moins, à ce qui s’écarte des normes identitaires qui fondent cette gloire passée.

S’il est exact que Jean-Marie Le Pen a réussi à faire renaître le mouvement  de ses cendres, en 1972, dans sa forme politique organique, réceptacle de tous les fragments d’extrême droite, il faut rechercher une source légèrement antérieure pour en expliquer entièrement la réussite.

C’est en 1969 que l’organisation « Ordre Nouveau » fut créée, soit l’origine la plus attestée du renouveau de l’idéologie d’extrême droite. Sans l’appui doctrinal d’Ordre Nouveau, nous ne savons pas si Jean-Marie Le Pen aurait pu fédérer les groupuscules de la nébuleuse d’extrême-droite.

Jean-Marie Le Pen a donc réussi à réunir des anciens du nazisme, du pétainiste, de l’OAS ou encore du mouvement Poujadiste, plus récent, et quelques autres nostalgiques d’une gloire passée. Le parti naissant proclame sans ambiguïté sa filiation par l’emblème d’une flamme, celle du parti fasciste italien.

Ainsi, Marine Le Pen est la plus directe des descendances de ce qui fut l’abomination politique de cette pensée mortifère en France. Vouloir « dédiaboliser » le parti, c’est déjà reconnaître sa filiation avec le diable. Peut-elle, pour autant, dégager sa propre responsabilité dans ce passé fasciste ?

Un passé et une idéologie du père assumés

Personne n’est responsable des opinions et des actes de ses parents, c’est une évidence. Mais pour opposer ce droit individuel intangible, il faut encore ne pas les avoir légitimés par ses propres opinions et actes.

Or, Marine Le Pen, membre du puissant clan familial qui a dominé le parti, ne s’était jamais écartée de sa filiation avec l’idéologie du père. Bien au contraire, elle a continuellement fait acte du plus zélé militantisme pour l’idéologie détestable de ce dernier et du parti. Et elle continue encore à prôner les principales valeurs idéologiques de son père, ne prenant ses distances, nous le verrons, que du point de vue stratégique.

Elle a assumé un rôle à la direction du mouvement et a participé à sa communication médiatique sans laisser nullement apparaître son souhait de le dédiaboliser. Marine Le Pen ne peut arguer d’une erreur de jeunesse et d’un amour légitime pour le père, cause de son silence.

Sa responsabilité dans un parti du diable est écrasante. Ce n’est pas possible qu’on puisse l’en exonérer, surtout qu’elle continue encore d’assumer ce lourd passif.

Et d’ailleurs, lui ferions-nous le crédit de la croire sincère dans cet objectif, en quoi a-t-elle « dédiabolisé » le parti de son père pendant les nombreuses années de sa mandature ? 

Nous y reviendrons après avoir rappelé la seule différence qui distingue le père de la fille ?

Deux visions différentes de l’accession au pouvoir

La seule chose que l’on pourrait accorder à Marine Le Pen pour la distinguer des positions du père est son véritable objectif de conquérir le pouvoir dans les conditions institutionnelles de la France. Ce que son père refusait, car il avait bien compris que la normalisation du parti dans le jeu démocratique détruirait entièrement sa stratégie d’être un mouvement « anti-système ».

Nous le savons, c’est avec un sentiment de grand soulagement qu’il avait accueilli sa défaite au second tour de la présidentielle de 2002, contre Jacques Chirac. Pour la première fois de son histoire, ce parti aux odeurs fascistes était aux portes du pouvoir. C’était sa perte promise s’il y avait accédé, car il n’aurait eu que deux choix possibles, soit un coup d’État autoritaire contre la démocratie, ce qui était impossible en l’état des forces, soit l’humiliation de se renier.

Toutes les accessions au pouvoir du fascisme ne l’ont été que lors de périodes troubles. Cette mouvance ne peut réussir dans une France relativement apaisée de son histoire, aux institutions démocratiques et avec une économie qui n’a rien à avoir avec un pays déliquescent, au point que son peuple accepte une révolution fasciste.

Il avait très bien compris que son accession au pouvoir ne pouvait se faire que si les français adhéraient majoritairement à l’idée d’une nation menacée gravement. Il fallait créer le chaos et attiser les peurs pour que l’idéologie nationaliste puisse être considérée comme un recours  impérieux. Jean Marie Le Pen avait donc pour objectif, on dirait même une passion, de faire mûrir ce sentiment de crainte des Français. 

Marine Le Pen n’a pas la même histoire, son enfance n’est pas baignée par les mêmes repères. Le conflit de l’Indochine ou de l’Algérie lui sont lointains et elle ne les a vécus que par les récits. Cela ne peut constituer un fond de culture idéologique et politique suffisant pour porter un mouvement qui se revendiquerait de cette histoire.

Née dans une France démocratique, d’un milieu social privilégié, elle a fréquenté les meilleurs établissements et suivi des études de droit avec les enfants de l’élite française, absolument hors du monde d’un père considéré par cette élite comme farfelu et dangereux. Elle a fréquenté les enfants d’une droite classique et conservatrice. Si les valeurs catholiques de cette dernière sont certaines, il y a un gouffre entre les opinions de ses adeptes et ceux de l’extrême droite. 

Pendant des décennies, cette droite classique et conservatrice, ne l’oublions jamais, comptait une majorité de gaullistes. Or, il n’a jamais échappé à personne que le général de Gaulle fut l’ennemi le plus criant du mouvement d’extrême-droite. Les dirigeants de l’OAS avaient même voulu l’assassiner et ont été proches de le faire lors de l’attentat du Petit Clamart.

Le monde nostalgique du père ne pouvait plus se concilier avec les positions stratégiques de la fille. Surtout que ce père turbulent insistait dans ses dérives langagières, condamnant ainsi toute chance d’accession au pouvoir.

Dédiaboliser le parti pour conquérir le pouvoir

Il a fallu à la fille une première étape pour arriver à ses fins, soit éliminer le père de la direction du parti. Puis, en faire de même pour l’ancienne garde, celle d’une histoire qui sentait le souffre.

Lors de cette dernière année, consciente de la crainte que nourrit ce parti, particulièrement auprès des plus âgés, elle a délesté le programme de plusieurs de ses bases. C’est le cas du rejet des accords de Schengen, aujourd’hui oublié, de même pour l’euro ou le projet d’éliminer l’Islam de la république ainsi que d’autres points, tout autant extrêmes et inquiétants.

En cela, elle a dérouté l’électorat traditionnel du parti. Pour autant, elle n’a reçu aucun soutien des partisans des partis de la droite classique et conservatrice, comme le parti Les Républicains. 

Seules quelques individualités de la droite classique, de moyenne envergure, ont rejoint le parti. Un bien maigre butin au regard de la grande stratégie mise en œuvre, au risque de déraciner le parti de ses fondements.

Le résultat des élections régionales est sans appel, Marine Le Pen a perdu l’ancien socle sans s’adjoindre un nouveau, plus élargi, nécessaire pour la conquête du pouvoir lors de l’élection présidentielle de mai 2022.

En conclusion, on ne modifie pas un passé sulfureux en changeant le sigle d’un parti, en ayant assumé, hier comme aujourd’hui, ses valeurs profondes et en portant le lourd handicap du patronyme Le Pen. C’est une mission impossible car les êtres humains sont crédités d’un radical changement seulement au prix d’une bien plus importante repentance.

La repentance de Marine Le Pen est à des années lumière de la rupture avec le diable.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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