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Du hirak et de la démocratie

REGARD

Du hirak et de la démocratie

«Le pouvoir émanant de la force de quelques-uns, remplacé par la tyrannie émanant de la faiblesse de tous. Voici le destin naturel d’une démocratie mal instruite.» « L’avocat du Diable », Philippe Bartherotte

Il faut une solide dose d’optimisme, et d’inconscience même, pour soutenir, semaine après semaine, les marches du hirak que ce soit à Alger, à Paris ou à Bruxelles. Ou oser se retourner vers un passé récent qui semblait s’évertuer à se perpétuer et réagir en se disant que l’on nous a conservé toutes les insuffisances et toutes les tares de l’ancien système, auxquelles on en a, d’ores et déjà, rajouté quelques-unes.

Les princes qui nous gouvernent ne sont pas les initiateurs de la saisie des journaux ou de l’emprisonnement des journalistes. Mohamed Benchicou en sait quelque chose, lui qui a goûté à la froidure des prisons de Bouteflika. La détérioration est antérieure au 12 décembre 2019.

Le nouveau président, que les généraux ont placé sur un fauteuil sur mesure, a amené dans ses bagages quelques fossoyeurs, et non des moindres, des principes républicains. Entre hier et aujourd’hui, on n’entrevoit pas toujours clairement la différence de degrés dans la violation des libertés fondamentales. La différence de nature est évidente : par sa naissance même, l’actuel système est la négation de la démocratie.

Pourquoi ne pas le dire nettement ? Ceux qui criaient très fort « Vive Bouteflika » nous ont, en fait, colonisés. Ils nous ont imposé par la force un régime qui n’est pas exactement celui dont on rêvait et continuent de rêver. En Algérie, certaines des libertés sont arrachées chaque jour comme celui de manifester malgré la répression qui s’abat sur certains marcheurs. Le pouvoir, par l’intermédiaire de ses tribunaux, a créé les conditions « légales » de l’instauration du jour au lendemain d’une dictature tandis que les hommes du 12 décembre réclament des peines de prison pour les journalistes non conformistes. Et les appliquent.  La menace du pouvoir personnel, plus ou moins paternaliste, en pouvoir totalitaire est permanente. 

Nous n’avons pas encore fini de payer les conséquences du 27 avril 1999, date de la prise de pouvoir par Bouteflika, car c’est ce jour maudit qu’a été blessée à mort la République algérienne. Les ultras ont alors remporté une victoire décisive qu’ils ont ensuite largement exploitée. Ce sont eux qui ont pardonné aux assassins de tout un peuple et leur ont permis de revenir sur le devant de la scène politique.

La cause principale de l’affaiblissement des combattants de la démocratie, c’est la capitulation de trop de républicains devant leurs adversaires, c’est la renonciation de trop de démocrates à leur rêve de démocratie.

Le pouvoir a négocié la « Concorde civile » avec les assassins et n’a pas rendu la justice qu’il fallait au nom du peuple algérien, c’est une des causes qui a provoqué une véritable désaffection du peuple pour le régime. Laisser faire un homme de clan qui décide absolument de tout, c’est engendrer le scepticisme universel et le découragement général. L’ancien président a fini, comme on le sait, dans l’abandon, le mépris et les scandales.

Beaucoup d’institutions sont en crise dans le pays parce que le pouvoir ne les a jamais mises en évidence. L’université et le domaine de la santé, par exemple, sont au fond de l’abîme. Ce n’est pas le hasard qui porte à vif les problèmes de l’université et de la Santé. Chacune, dans son ressort, a subi durement les abandons et l’incurie du régime, avec d’autant plus de ressentiment qu’elles regroupent la phalange résolue de la jeunesse. La seule défense possible que l’on puisse trouver face à ce régime est la poursuite des marches du hirak et la promotion de cette révolution qui ne peut se développer positivement qu’avec l’appui de tous les démocrates et en excluant, complètement, les islamistes. 

A Paris, à Bruxelles ou ailleurs, l’horizon historique est dégagé par les militants pour que s’établisse une démocratie exemplaire. Des figures prennent des initiatives et imposent leurs présences. Ici, Mohamed Benchicou ou Fewzi Benhabib, sont sur le terrain, dimanche après dimanche. Les rencontrer et discuter des problèmes concrets est déjà une sorte d’établissement d’un programme.

A Bruxelles, une militante hors-pair, Dora Amouche, a été à l’origine de l’organisation de la seule manifestation du hirak bruxellois et a pris l’initiative de créer le groupe facebook intitulé « Les Algériens Libres de Belgique ». J’y reviendrai bientôt. Voilà pour les actions et la détermination.

En fait, il n’y a pas eu affaiblissement de la démocratie en Algérie car la démocratie n’a jamais existé en Algérie. Le hirak est le moyen d’expression d’un veto populaire. Les causes de cette absence de démocratie sont multiples mais celle qui est assurément la plus importante tient au fait que ce sont les colonels du clan d’Oujda, sans aucune culture démocratique, qui ont pris le pouvoir au lendemain de l’indépendance. Ce cycle ne s’est jamais interrompu quel que soit le clan qui s’adjuge la prépondérance.

L’État, en Algérie, a toujours été une structure administrative gérée pratiquement par le même groupe — jacobins, réactionnaires, militaires — et non par une série d’institutions formant une communauté politique à laquelle participerait un grand nombre de citoyens. Le hirak, par ses revendications semaine après semaine, s’est donné comme mission de placer notre pays dans le cercle des pays où le mot République donne un sens à la politique.

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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