Le redressement du dinar et la restauration du pouvoir d’achat semblent figurer parmi les priorités du chef de l’État. Pour espérer atteindre de tels objectifs, il est essentiel d’accroître la production de richesses à l’échelle nationale. Cela implique inévitablement un développement économique soutenu par l’investissement, un processus exigeant à la fois du temps et des compétences, et qui ne peut être mené à bien que par un régime jouissant d’une légitimité populaire incontestable.
Cependant, certaines mesures peuvent avoir un effet immédiat et tangible sur le pouvoir d’achat. Parmi celles-ci, la lutte contre l’économie informelle, qui prospère en Algérie, revêt un caractère urgent.
L’économie informelle connait une pleine et rapide expansion dans le pays. Elle est en passe de dévorer le reste des activités. Des centaines de milliers d’acteurs y prospèrent, souvent dans l’opulence, tout en échappant à l’impôt. L’aptitude à échapper aux obligations fiscales se manifeste principalement dans des secteurs tels que le commerce, la spéculation immobilière, et, dans une moindre mesure, l’agriculture, où ils opèrent souvent en dehors de tout cadre légal. L’économie informel inclut également ces centaines de milliers de professionnels exerçant des professions libérales, qui falsifient honteusement leurs déclarations d’impôts pour afficher des résultats négatives.
Le commerce informel envahit l’espace public, occupant places et les trottoirs des villes, privant l’État d’une part substantielle des revenus fiscaux nécessaires au financement du budget national. Même les grands axes routiers se transforment en marchés improvisés. Cependant, ce commerce illicite se loge aussi des villas luxueuses et des vastes bureaux situés dans des immeubles de grand standing.
Dans le domaine des importations, des dizaines de milliers d’acteurs privés, pour la majorité, échappent presque totalement à l’impôt et aux cotisations sociales. Ces activités ne génèrent que du profit, et dans cette Algérie où la distribution règne en maître, il est très rare de voir un commerçant mettre la clé sous la porte en raison d’une faillite.
Ce secteur parallèle, souvent qualifié de « mafieux », emploie, selon les experts, un Algérien sur deux, tout en demeurant largement hors de portée des dispositifs de prélèvements obligatoires. Ce phénomène engendre un manque à gagner considérable pour le trésor public.
Les profits nets générés par ces activités informelles alimentent une accumulation inédite de richesses, permettant à leurs acteurs de vivre dans une opulence scandaleuse et d’encourager une frénésie de consommation. Une grande partie de cette fortune dort à domicile, empilée dans des sacs, tandis que l’autre s’évade à l’étranger ou est dilapidée dans des allers-retours incessants vers les lieux saints dans l’espoir d’expier leurs péchés.
Dans ce système économique, toutes les transactions se font en espèce, loin des circuits bancaires. Les montants en jeu sont si importants qu’il est courant de peser les liasses de billets plutôt que de les compter, tant la tâche serait fastidieuse.
Le manque d’intérêt apparent du gouvernement algérien pour ce phénomène est inquiétant. Le déficit de moyens de l’administration fiscale, les injonctions du politique, l’incompétence et l’absence d’une formation de qualité de ses agents, ainsi que les limites de leur champ d’action, frôlent la complicité des pouvoirs publics. Tant que l’économie informel ne perturbe pas l’ordre établi, c’est-à-dire tant que le fisc seul est lésé, elle est tolérée et considérée comme une composante normale de l’activité.
Cette activité, qui opère désormais en plein jour sous les yeux de tous, en s’affranchissant du statut d’économie souterraine, ne suscite plus l’indignation, malgré ses conséquences désastreuses pour l’économie nationale et les citoyens.
La moralisation supposée de la vie publique, orchestrée avec un grand tapage médiatique, ainsi que la prétendue guerre contre l’argent sale, ne ciblent pour l’instant que ceux impliqués dans les luttes de pouvoir entre factions.
Les répercussions de cette situation sont d’autant plus sévères pour les fonctionnaires, contraints de supporter le poids d’un déficit budgétaire croissant, directement lié à la fraude généralisée. Ils subissent de plein fouet l’inflation galopante, l’érosion continue du pouvoir d’achat et la dévaluation incessante de la monnaie nationale, qui, depuis 2010, a perdu plus de 100 % de sa valeur, aggravant ainsi la précarité des ménages.
Contraints de payer pour eux-mêmes et pour les autres, en comblant le manque à gagner pour l’Etat, les milliers de travailleurs qui sont ponctionnés à la source sont les véritables victimes de cette économie parallèle.
La prospérité du secteur informel est souvent le signe d’un régime autoritaire, lequel, faute de légitimité populaire, tolère un certain laxisme afin de préserver la paix civile. Marqué par les émeutes sanglantes d’octobre 1988, symbole de la contestation populaire en Algérie, ce laisser-faire généralisé est adopté de sorte à pallier à la défaillance et à l’incapacité du pouvoir en place à bâtir une économie réelle et durable.
Cette situation représente également une concession faite à l’idéologie radicale qui a déchiré le pays durant la décennie noire. Des mesures politiques concédées sous pression de cette mouvance ont fini par livrer toute l’activité de distribution à la cupidité de ses partisans, qui, au nom de la religion, s’opposent à toute réglementation du commerce. Motivés par la quête du profit, ils ont transformé le pays en refuge pour l’économie informelle, sapant dans leur opulence le pouvoir d’achat des travailleurs honnêtes.
La somme colossale d’argent ainsi captée leur confère aujourd’hui un pouvoir de corruption et une influence politique considérable, leur permettant de renforcer leur idéologie tout en échappant à toute forme de régulation.
Hamid Ouazar, ancien député