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« Edouard Brémond, l’anti-Laurence d’Arabie »

 

Modèle d’enquête historique, signée par le colonel Rémy Porte, HRD en histoire contemporaine et spécialiste de l’histoire coloniale et de 14-18, ce livre fera date. Il replace la carrière exemplaire d’un officier de l’Armée d’Afrique, blanchi sous le harnais, dans ses relations avec le monde arabo-musulman, qui l’a toujours passionné. 

En raison de son caractère entier, son sang-froid, son sens de la diplomatie et son courage physique, sa vaste culture du monde arabo-musulman, il mérite de retrouver toute sa place parmi les grands capitaines. 

De Madagascar à la Cilicie, via l’Algérie, le Maroc et surtout la campagne du Hedjaz où il apparaît en anti-Laurence d’Arabie, ce saint-cyrien breveté, organisateur hors-pair toujours près de ses hommes et à la pointe du combat, totalise un record de 94 années de campagne militaires. Et ce, en tenant compte des bonifications de guerre, dont celles de la Première Guerre mondiale. Ecrit dans un français rigoureux, qui bannit les néologismes, le seul défaut de cet ouvrage est son manque de cartes.

Fils d’un père négociant soyeux lyonnais venu s’installer à Paris, Brémond, 178 cm, cheveux châtains, né le 5 novembre 1868, bien que reçu à l’Ecole centrale en 1885, à cette époque de la Revanche contre d’Allemagne, il choisit Saint-Cyr qu’il intègre en 1888. Bien classé à la sortie de l’Ecole (22e sur 435), il choisit l’Algérie et le 1er RTA (régiment de tirailleurs algériens) à Blida.

Son estime pour ses tirailleurs est chez lui une constante tout au long de sa carrière. A l’inverse de trop d’officiers, il veut toujours le meilleur pour eux car il vit parmi eux. Lors de ses divers postes de responsabilité, ses tirailleurs se font remarquer par leur allant et leur bonne santé. Arabophone, Edouard Brémond se soucie des droits de ses subordonnés.

Il ira jusqu’à dire, évoquant les Berbères sous ses ordres : « N’ont-ils pas donné à Rome leurs plus grands empereurs ? ». Pour illustrer cette attention de tous les instants, Rémy Porte détaille l’expédition de Madagascar en 1895, où le lieutenant Brémond est affecté au 2e bataillon du Régiment d’Algérie, composé de tirailleurs et formé à Orléansville.

Il se distingue dans cette campagne difficile en se portant en tête de la colonne légère, qui marche sur Tananarive après une série de combats où les tirailleurs sont le plus souvent engagés. Ce sont eux qui enregistrent le minimum de pertes pour causes de maladies décimant le corps expéditionnaire (23% de morts par dysenterie, paludisme et typhoïde…). 

Avant et après l’Ecole supérieure de guerre (1899-1901), Brémond voyage beaucoup (Istanbul, Tunisie, Tripolitaine, Canaries, Maroc) et publie à Constantine, en 1902, le remarquable Notion sur le Maroc. En 1904, le capitaine Brémond, sous les ordres de Lyautey, commande une compagnie du 2e RTA sur les confins algéro-marocains. Il privilégie la diplomatie dans ses relations avec les tribus dites dissidentes.

Déjà titulaire de la médaille de bronze de l’Exposition coloniale de Marseille en 1906, il devient célèbre lors de la conquête graduelle du Maroc, de la défense de Casablanca (1907) à celle de Fez (1911 et 1912) où il protège le sultan grâce à son commandement de l’élite de l’armée chérifienne qu’il a formée. Il participe à maintes colonnes au centre du Maroc et est tenu en haute estime par Mangin et Lyautey.

En mai 1914, à Paris, Brémond épouse une jeune veuve et, à l’entrée en guerre, il est blessé par balle lors de la bataille de Guise, le 29 août. Lieutenant-colonel en novembre, il devient chef de corps du 64e RI. Il est cité à l’ordre de l’armée le 22 juin 1915 lors de la bataille de l’Artois.

Son régiment est rudement éprouvé en Champagne en septembre. Le 1er juillet 1916, il participe à la bataille de la Somme et est nommé, en août, chef de la Mission militaire française au Hedjaz au moment où le chérif Hussein de La Mecque prend la tête de la révolte des tribus contre la Sublime Porte. Brémond débarque à Djeddah le 25 septembre 1916 en accompagnant 600 pèlerins musulmans algériens, tunisiens et marocains. Il donne 1 250 000 franc-or à Hussein.

Il a sous ses ordres 42 officiers arabophones (dont Cadi, le seul officier supérieur algérien, chef d’escadron d’artillerie, polytechnicien), 983 sous-officiers et hommes de troupe, un parc d’artillerie et 396 animaux. Sa mission est à la fois politique, soutenir Hussein et ses quatre fils (dont Fayçal) aux actions désordonnées, tout en encadrant deux bataillons d’infanterie et quatre escadrons de cavalerie levés sur place.

Il a aussi une mission politique essentielle : manifester à la fois le soutien de la France à la Grande-Bretagne et coopérer avec Hussein, sans toutefois soutenir le rêve de « royaume arabe » cher au colonel de réserve fraîchement promu, Lawrence.

Les relations entre les deux hommes constituent un des apports essentiels de cet ouvrage-clef. Tout oppose le vieux soldat rigoureux à l’amateurisme romantique du « blondinet » médiatique vêtu de façon bizarre. Certes, Lawrence reconnaîtra plus tard que le colonel Brémond « était le seul soldat dans le Hedjaz », mais il s’attribue, en 1917, l’idée initiale de l’officier français : prendre par voie de terre Akaba et couper le chemin de fer turc jusqu’à Médine.

Hélas, Brémond n’est pas suivi par sa hiérarchie et tergiverse au Caire (délégation du capitaine Cousse) sans comprendre que pour les officiers anglais de l’Arab bureau l’Entente cordiale n’est qu’une parenthèse.

A chaque affrontement, notamment lors d’attaques de la voie ferrée, les cadres français de Brémond (nommé colonel en janvier 1917) se distinguent. Mais Fayçal, favorisé par les Anglais, ne coordonne pas ses actions avec les Français qui ne sont informés des accords Sykes-Picot qu’au début 1917.

Brémond a le sentiment d’être oublié et se voit refuser la livraison de canons de 75. Après 18 mois passés au Hedjaz, à l’issue d’une permission Brémond reçoit le commandement de l’infanterie de la 58e DI sur le front Ouest.

L’avant-dernier chapitre est consacré à la difficile mission du colonel Brémond en Cilicie à compter du 9 janvier 1919 comme chef du contrôle administratif. Contre les kémalistes qui progressent, Brémond ne parvient pas à obtenir du général Gouraud, haut-commissaire à Beyrouth et commandant en chef, des ordres précis. Les relations entre les deux hommes tournent court.

Le colonel a pourtant à son actif la protection des populations chrétiennes de Cilicie, dont l’ouverture d’une centaine d’écoles et l’encadrement de troupes supplétives après la dissolution de la Légion arménienne. Le 31 août 1920, aigri par cette campagne oubliée, Brémond est rappelé à Paris.

Sa fin de carrière en demi-teinte (chef de corps du 54e RI à Compiègne en 1921, général de brigade en septembre 1923 commandant le modeste 2e groupe de subdivision de Toulouse), Brémond est victime d’une campagne de presse orchestrée par Gouraud à propos de sa gestion en Cilicie. Veuf en 1927, il passe en 2e section et quitte le service actif.

En 1934, il est élu à l’Académie des sciences coloniales. Lyautey le salue en ces termes : « Le général Brémond a une des plus belles carrières coloniales que j’ai connues ». Il publie, à compter de 1935, trois ouvrages sur l’Arabie et le monde musulman, dont en 1942 édité chez Payot, Berbères et Arabes. Reclus chez lui à Paris pendant la Seconde Guerre mondiale, il meurt le 22 novembre 1948. Il aura été un des acteurs importants de l’engagement ultra-marin de la France. Il était donc tout à fait opportun de réhabiliter sa mémoire.

Jean-Charles Jauffret

Rémy Porte, Edouard Brémond, l’anti-Laurence d’Arabie, Chamalières, mai 2022, 260 p., 20 euros.

 

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