L’élection présidentielle du 7 septembre 2024 met au grand jour des tensions notables. Les trois candidats ont publiquement dénoncé l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE).
En vérité, cette mise en cause vise au moins certains décideurs influents qui agiraient en coulisses à travers cette institution. À l’instant présent, est-il possible d’analyser les éléments clés de cette situation et d’essayer d’entrevoir les possibles scénarios cachés et les intentions des décideurs dans cette phase ?
La dénonciation de l’ANIE : symptômes d’un malaise plus profond ?
Le communiqué conjoint des trois candidats traduit une défiance forte vis-à-vis de l’ANIE. Bien que cette autorité soit censée incarner, dans la logique des participants, la transparence et l’indépendance des élections, elle est ici accusée d’incompétence caractérisée. S’agissant d’Aouchiche et de Hassani, cette situation rappelle d’autres épisodes passés dans l’histoire politique algérienne où des institutions censées garantir l’intégrité électorale ont été vilipendées, à raison. Mais, pour ce qui est de Tebboune, le fait est nouveau dans la forme, bien que dans le fond, il reconvoque l’épisode Mihoubi de 2019.
Sous couvert d’un problème de forme, la critique adressée à l’ANIE risque bien de soulever un problème de fond. En d’autres termes, les candidats se contenteront-ils de continuer à viser l’ANIE en tant que structure, ou iront-ils plutôt vers la critique de ceux qui, en coulisses, prennent les décisions ? Dans sa forme, le communiqué semble rester sur la première approche.
Le post d’Abderrazak Mokri et sa suppression : une clé de lecture ?
L’ancien président du HMS, Abderrazak Mokri, a rapidement exprimé son étonnement face à l’ampleur de la fraude en faveur du président sortant, Abdelmadjid Tebboune. Mokri s’est interrogé sur l’utilité même de la trituration des résultats, alors que dans l’ensemble des 58 wilayas, Tebboune se trouve très largement en tête des résultats attestés par les PV électoraux.
Cette déclaration a été rapidement supprimée, comme si l’attitude des acteurs de cette élection était encore de rester sur les questions de forme. Peut-être même que ce post devait être rapidement supprimé et n’avait d’autre vocation que d’être un coup de semonce.
L’ANIE : instrument d’une partie ou de l’ensemble des décideurs ?
L’une des questions fondamentales soulevées par cette situation est la suivante : l’ANIE est-elle le simple outil de certains décideurs, ou incarne-t-elle réellement un consensus au sein de cette caste ? Pour le moment, la dénonciation de cette structure par les candidats ne donne pas suffisamment d’éléments pour lire une situation qui n’est pas nouvelle dans notre histoire politique, où, de façon récurrente, des factions au pouvoir s’affrontent en coulisses pour déterminer la direction politique à suivre.
Mais il ne faut pas se tromper : l’enjeu ici est plus profond qu’une simple contestation des résultats. Il s’agit de l’équilibre des forces au sein du régime et, par extension, de la configuration du jeu politique dans le pays et de sa stabilité même.
Quel scénario caché ?
Face à cette situation tendue, il est légitime de se demander si un scénario caché n’est pas en train de se dérouler à l’insu de l’opinion publique. Les dénonciations des candidats et les accusations de fraude pourraient indiquer que les décideurs, ou une faction parmi eux, travaillent à un total discrédit de la configuration politique actuelle en provoquant une crise de légitimité.
Le scénario optimiste serait celui d’un changement de cap au sein de l’élite dirigeante. Face à l’ampleur du rejet populaire et aux critiques croissantes, certains décideurs, excédés par la médiocrité de Tebboune, pourraient être tentés de revoir leur stratégie et de proposer une nouvelle offre politique aux Algériens. Cette hypothèse repose sur l’idée que le collège des décideurs n’est pas monolithique, mais qu’il est traversé par des divergences internes quant à la meilleure manière de gérer la scène politique.
Fermeture ou ouverture : quelles perspectives pour l’Algérie ?
Il faut tout de même rester prudent. Devant l’incertitude qui plane sur cette élection, deux voies semblent se dessiner pour les décideurs algériens : celle de la fermeture ou celle de l’ouverture.
La tentation de la fermeture pourrait germer chez les régents. Face à l’ampleur de la défiance populaire, seraient-ils tentés de resserrer encore davantage leur emprise sur le pouvoir ? Une telle stratégie accentuerait la défiance populaire et aggraverait les tensions sociales, déjà très présentes dans le pays. Cela accélérerait la montée d’une vague beaucoup moins silencieuse du Hirak. Elle pourrait aussi amener des situations dommageables qui ne sont pas à souhaiter.
À l’inverse, un changement d’évaluation au sein du collège des décideurs pourrait aboutir à une nouvelle offre politique, plus inclusive et plus en phase avec les attentes des citoyens. Ce scénario impliquerait une réforme en profondeur du jeu politique et une reconnaissance des limites du système actuel. Les résultats proclamés discréditent Tebboune et disqualifient la classe politique. Ce qui pourrait annoncer une politique de table rase en vue d’une profonde reconfiguration. Toutefois, pour que cette ouverture soit crédible, elle devrait s’accompagner de garanties solides qu’elle ne sera pas un retour à 1989. Il faudra donc nécessairement qu’elle soit la résultante d’une négociation entre les décideurs et la société.
Évacuer rapidement cette élection et aborder la question de la transition démocratique
Pour le salut du pays, il faudrait que la question de l’élection présidentielle du 7 septembre 2024 soit évacuée au plus vite. Il ne faut pas que le sort du pays continue à se jouer dans des scénarios cachés qui ne reflètent que les luttes d’influence au sein des décideurs. Le choix qu’ils feront d’aller vers plus de fermeture, donc vers l’affrontement avec la société, ou bien vers la formulation d’une nouvelle offre politique en direction de la société, constitue l’enjeu central du moment.
Il faut espérer qu’ils entendent la voix de la raison, telle qu’exprimée par la direction du RCD, qui souligne que « l’urgence est de redonner confiance par l’entame d’un processus de débat qui met au centre l’intérêt supérieur du pays ; à savoir son unité, la souveraineté de son peuple avec ses aspirations à la liberté, la sécurité et au développement ». S’ils s’engagent dans la voie de l’ouverture, il faudrait qu’ils prennent conscience que cette voie est nécessairement celle de la négociation avec la société algérienne.
Mohand Bakir