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Éloge au compagnon Jean Yahia

Hommage

Éloge au compagnon Jean Yahia

Jean Sénac, le poète du soleil algérien.

Enfin ! Après tant d’années de luttes, de larmes et de sang, l’intellectuel et écrivain  Mouloud Mammeri est reconnu officiellement comme une figure de la culture algérienne, dans sa composante amazighe.

Alors, pensons et rappelons une autre figure de la culture algérienne. Je sais que ses simplicité et modestie n’aimaient pas les éloges, mais, au fond de moi-même, le connaissant, il en sera néanmoins touché, avec le sourire si chaleureux et si sincère qui était le sien.

En évoquant cet homme, nous découvrirons que la politisation-idéologisation et le copinage clanique peuvent revêtir un aspect de racisme ethnique, ajouté à une occultation idéologique. Ces tares révèlent la bassesse de ceux qui se vantent de posséder un esprit éclairé.

Nous avons affaire à un auteur de plusieurs publications poétiques, en langue française (parce que la djazaïrbya – j’appelle ainsi la « darija »- ou le tamazight n’était pas sa langue maternelle, contrairement à tous les autres auteurs algériens). Parmi ses publications furent notées et appréciées, entre autres, Matinale de mon peuple, paru en 1961, et, plus tard, Citoyens de beauté

« Tu es belle comme un comité de gestion ».

Bien entendu, il s’agit de comité d’autogestion (ouvrière ou paysanne). Il faut être poète et libertaire pour penser et écrire ce genre d’image-idée.

L’homme en question prit partie, dès 1955, pour l’indépendance nationale, ben qu’il fut « pied-noir », comme on dit. À son propos, voici ce qui est généralement occulté :

« Parallèlement à son activité de journaliste de 1957 à 1960 à El Moudjahid, bulletin clandestin de la révolution en France, Sénac a réussi à conserver les premiers exemplaires de la plate-forme de la Soummam (20 août 1956), chez ses éditeurs parisiens et est en même temps parvenu à y installer une imprimerie pour la cause de ses frères combattants. De plus, sa démission tonitruante de la radio Alger en 1954 prenant fait et cause pour l’indépendance d’Algérie fut plus qu’une prouesse, sachant bien qu’une année auparavant il aurait permis grâce à sa revue «Terrasses» aux écrivains autochtones : Mammeri, Yacine, Dib, Haddad et autres de s’exprimer et de dénoncer le drame algérien. »(1)

Ce « pied-noir », patriote algérien des premières heures de la lutte pour l’indépendance, demeura dans le pays quand d’autres le quittèrent, comme Albert Camus, cet autre « pied-noir » ; ce prix Nobel de littérature préférait sa « mère à la vérité », refusant, ainsi, l’idée d’indépendance nationale du peuple algérien. Cela porta Jean Yahia à s’éloigner de Camus, bien qu’ils étaient liés par des relations d’estime réciproque, littéraires et même affectives. Jean Yahia préféra, au « père » spirituel qu’était pour lui Camus, l’indépendance du peuple colonisé.

Jean Sénac fit paraître certains de ses textes sous le nom Yahia El Ouahrani, peut-être à cause de sa naissance en Oranie, à Beni-Saf, ou de son enfance et adolescence vécues à Oran. En 1963, il fut l’un des fondateurs de l’Union des écrivains algériens, dont il assuma le secrétariat général jusqu’en 1967, c’est-à-dire à peine deux ans après le coup d’État militaire du colonel Boumédiène.

Le poète fut, aussi, l’animateur, à la Radio chaîne 3, d’une émission de poésie, largement suivie et enrichissante : « Poésie sur tous les fronts ». C’est par elle que je connus, personnellement, l’existence d’auteurs tels Djamal Amrani, Youcef Sebti, Maïakovsky, Nazim Hikmet ou Pablo Neruda. Cette diffusion encouragea des jeunes à devenir écrivains.  

« L’un des jeunes poètes qu’il avait formé au côté de Youcef Sebti, Hamid Skif, Imaziten, Abdoun en leur consacrant tout un créneau dans son ouvrage «Anthologie de la nouvelle poésie algérienne», qui fut en l’occurrence l’écrivain Tahar Djaout, aurait péri sous les balles des «ennemis de la liberté ». Lui, qui s’est d’ailleurs indigné en 1981 de l’assassinat de son maître. » (2)

En 1971, Jean Sénac vint voir ma première réalisation théâtrale, « Mon corps, ta voix et sa pensée », et m’encouragea fraternellement, en m’offrant un de ses recueils poétiques, avec une dédicace.

En janvier 1972, l’émission poétique à la radio de ce «maître» fut interdite par les autorités, alors « socialistes », lesquelles avaient lancé les trois fameuses (fumeuses) réformes, dont l’une était rien moins qu’une « révolution culturelle » (pour singer la chinoise, alors en cours).

« Depuis 1971, Sénac a dit à ses proches : « Ils me tueront ou bien ils me feront assassiner. Ils feront croire que c’est une affaire de mœurs. Mais je ne quitterai jamais en lâche ce pays où j’ai tant donné de moi-même. Ils feront de moi un nouveau Garcia Lorca. »

« L’heure est venue pour vous de m’abattre, de tuer
En moi votre propre liberté,
de nier
La fête qui vous obsède »(3)

Épilogue :

« Le jugeant menacé, certains de ses amis le pressent de quitter Alger. Le « poète qui signait d’un soleil » est assassiné dans la nuit du 29 au 30 août 1973, son meurtre demeurant non élucidé. » (4)

Il trouva la mort non pas dans un appartement offert par les autorités, mais dans une cave qu’il habitait dans un quartier populaire ; non pas « fameux », mais mis en ban par la majorité des membres de l’ « élite » algérienne, y compris celle « progressiste » (stalinienne) ; non pas chouchouté par le chef de l’État, comme certains autres intellectuels « révoltés », mais totalement banni.

Cet authentique patriote algérien, du coté du peuple, poète publié et reconnu, diffuseur de poésie et offrant son aide généreuse à la formation de jeunes auteurs autochtones, eh bien cet homme, les institutions l’ont ignoré et continuent à l’ignorer, à tel point que, durant son existence, la nationalité algérienne lui fut déniée. En outre, la presse en parle trop peu, et les intellectuels sont avares de colloques et de rencontres à son sujet. Bien entendu, sauf erreur, aucune institution ne porte son nom, et très peu d’intellectuels s’en offusquent. Contrairement à d’autres écrivains algériens, lui n’a pas été élevé au rang d’ « icône », de « monument » ni considéré « immense ». Quand, en Algérie, on évoque les victimes intellectuelles, combien rappellent celui qui les précéda dans la liste, Jean Yahia ? Croient-ils, comme lui-même l’avait prédit, à la commode thèse d’une affaire de « mœurs » ?

Comment expliquer cet ostracisme ?

Est-ce parce que Jean Sénac – Yahia El Ouahrani était d’origine espagnole, son grand-père étant arrivé de Catalogne pour travailler dans les mines de fer de Béni-Saf ? Est-ce parce Jean – Yahia  n’était pas musulman, mais chrétien ? Pas « socialiste » à la manière officielle, mais libertaire ? Pas membre d’un clan « ethnique », mais homme libre et solidaire de tout ce qui est opprimé sans ségrégation ? Ne faisait pas l’éloge de l’alors chef de l’État et de ses « révolutions », au nom d’un « soutien critique », mais rappelait et défendait l’autogestion ? Bref, parce qu’il ne consentit jamais de compromission avec quiconque, mais se vouait uniquement au peuple algérien opprimé et, au-delà, à ceux de la planète ?  

Cela a attiré et continue à attirer sur Jean-Yahia des ennemis implacables : tous les autoritaires, quelle que soit leur idéologie.

Cependant, Jean Sénac – Yahia El Ouahrani a la meilleure des reconnaissances : celles des personnes qui partagent son idéal de bonté et de beauté, autogestionnaire. Merci, frère et compagnon, pour le soleil que tu nous as offert, et qui continue à nous éclairer ! Toi qui dédaignes les « statues », tu reste vivant dans nos coeurs ! Jeunes et moins jeunes d’Algérie et du monde, lisez ses écrits et ses déclarations, vous en sortirez plus libres et plus solidaires !

K. N.

Email : kad-n@email.com

Notes

(1) Kamal Guerroua, Jean Sénac, l’Algérien blessé, Le Matin d’Algérie, 01.06.2012, Jean Sénac, l’Algérien blessé

(2) Idem.

(3) In https://www.revue-ballast.fr/jean-senac/. Là se trouvent d’intéressantes informations supplémentaires sur l’auteur.

(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_S%C3%A9nac_%28po%C3%A8te%29#cite_ref-16, vu 2.3.2015.

Auteur
Kadour Naïmi

 




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