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Élucubrations entre la vie et la mort

REGARD

Élucubrations entre la vie et la mort

« De tous les voyageurs qui ont pris cette route, qui donc est revenu, a rebroussé chemin ? Prends garde de ne laisser peine d’amour en route, car tu ne reviendras, jamais, ici, demain. » Omar Khayyâm

Toutes les religions sont victimes de l’idéalisme — elles sont les esclaves de l’utopie. Elles se caractérisent par leur subordination face à l’inaccessible. Seules les religions placent l’idéal dans la mort, ou dans l’après-trépas. Parce que personne n’est jamais revenu de la mort pour nous raconter ce qu’il a constaté dans les rues de l’au-delà. Parce que l’existence « terrestre » est l’ennemie numéro un des systèmes basés sur la croyance et même sur la crédulité, la belle vie vécue avec exultation et jouissance est donc caricaturée en tant que pure négation de la possibilité d’avoir une conscience sereine. 

La prouesse de la vie — où même l’amour physique ne suffit pas à abolir la fascination ou l’envoûtement pour la mort — réside en ce que les religions réfutent le plaisir et la sensualité comme principe d’organisation de l’existence, les délices n’étant accessibles qu’une fois que nous serons passés de l’autre côté de la frontière.

Qui nierait que ce mépris à l’égard du plaisir relève aussi de l’extase ? On oppose souvent la mort à venir et le plaisir, comme si la mort était, tout le temps, réelle et présente, permanente même — et le plaisir juste passager, frêle, fugace. L’art du plaisir affirme son indépendance absolue par rapport à la mort. Il attache de la valeur à la porte d’entrée quand on est encore enfant. Il attache de la valeur au long couleur de l’adulte que nous sommes devenus.

Il attache de la valeur aux escaliers que nous escaladons quoi qu’il puisse se passer à un moment donné de notre vie quand des dizaines d’années ont été traversées. La vie s’occupe de la vie et laisse la mort à la mort. Dans tous les cas, qui peut prouver que la vie dans la mort est réelle ? Certains font comme si elle était réelle, ils s’efforcent d’y croire.

Le fait que soient si nombreux ceux qui persistent à croire à la fiction de sa réalité n’entre pas un seul instant dans mes préoccupations. 

Aisance de tout paradis fantasmé dont le croyant n’est pas ignorant. Richesse de toute description des rivières de vin et des houris lascives dont le fidèle n’est pas désabusé, cette boisson tellement rejetée et ces femmes tellement méprisées pourtant ici-bas… Parce que ceux qui savent sont sûrs de leur passage par l’auguste porte. Parce que ceux qui savent se frottent les mains en jetant l’opprobre sur ceux qui ne savent pas, les ignorants, qui ont toujours été animés d’une attention laide et méprisante. 

L’art de la vie aspire à la nudité morale. Il est l’antithèse de l’attente d’une récompense espérée. Cette dernière personnifie l’habillage d’un frein appliqué aux prises de responsabilités, pollicitation d’un essoufflement sous des costumes éthiques.

On parle trop des gages à venir. Comme si on était sûr que l’attente était un signe de distinction. Alors que c’est un signe de remise à plus tard d’un plaisir auquel on s’interdit de participer, un geste d’impuissance, une mise en quarantaine d’une vie terrestre évacuée comme ça, pour rien, bêtement.

A l’inverse de la mort, la vie se présente non pour des assistés par une mesure divine prise à leur place et en leur nom mais comme une combinaison d’épanouissement et de ravissement. Mais c’est compliqué. Dans sa décadence, la mort accuse la vie d’être criminelle.

Le problème n’est pas de croire ou de ne pas croire mais de s’engager à vivre et à jouir de ce qui nous est accordé, quelle que soit sa durée de notre séjour, paisiblement.

 

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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