Par un coup de poker inattendu le Président Emmanuel Macron vient de dissoudre l’Assemblée nationale, la chambre basse du Parlement, en activant l’article 12 de la constitution. Un séisme qui a provoqué la stupeur du milieu politique et des citoyens à l’exception des partisans du parti fasciste, le Rassemblement national, qui l’avait exigé en cas de victoire aux élections européennes.
C’était en fait un premier cataclysme qui a provoqué celui qui secoue le pays depuis ce week-end, l’écrasante victoire du parti d’extrême droite aux élections européennes. La probabilité est très forte pour que ce parti accède à la majorité absolue dans la prochaine assemblée.
Pour la première depuis le régime de Vichy, l’extrême droite est aux portes du pouvoir. Par deux fois le parti de la peste noire (c’est ainsi qu’on avait appelé l’extrême droite lors de son apparition dans les années trente) était arrivé au second tour de l’élection présidentielle. Une fois avec le papa, une fois avec la fille, un vrai clan des Borgias qui règne sur une secte que suit une foule de militants convaincus.
Mais à cette époque la menace était moins grande car la certitude de la solidité du front républicain ne faisait aucun doute ou très peu. Cette fois-ci il en est autrement et la réalité des chiffres laisse peu de place à un optimisme.
L’article 12 est un article qui existe dans à peu près toutes les constitutions en des termes et contenus voisins, y compris dans les régimes autoritaires. La dissolution d’une Assemblée nationale est l’un des leviers que possède le pouvoir exécutif en cas de blocage des institutions ou de crise de régime.
Le problème est dans le cas actuel de son utilisation pour lequel la conviction de sa légitimité est unanimement remise en cause. Essayons de remettre tout cela en ordre pour une compréhension globale d’une telle panique générale.
La déflagration électorale
Le Président Macron a joué un coup de poker stupéfiant car les résultats aux européennes laissent à penser maintenant avec une quasi-certitude le déferlement de députés RN à l’Assemblée nationale et la nomination comme Premier ministre du leader de la campagne électorale, le très jeune Jordan Bardella.
Il s’agit bien d’un raz-de-marée inédit. Regardons les résultats des principaux partis et regroupements. La conclusion est sans appel, le parti présidentiel s’est écroulé, le Rassemblement National écrase tous les autres et la gauche dans son ensemble a du mal à suivre.
Les partis de droite et extrême droite
Rassemblement National 31,37 %
Les Républicains 7,25 %
Reconquête 5,47 %
(Eric Zemmour et Marion Maréchal)
Le centre, la gauche et l’extrême gauche
Renaissance, Modem et autres 14,6 %
(Centre et parti présidentiel)
EELV (écologistes) 5,5 %
Place Publique (PS) 13,7 %
LFI (extrême gauche) 9,89 %
Mais c’est pire que cela, la sociologie du vote du Rassemblement National est historique et fait froid dans le dos. Dans toutes les strates des électeurs et géographiques le parti d’extrême droite gagne considérablement en puissance.
Cette mouvance politique qui avait du mal à convaincre la majorité des jeunes, des personnes âgées et des cadres diplômés, obtient aujourd’hui un score très inversé. Le Rassemblement National a donc une base électorale très élargie avec un socle très solide.
Mais aussi, son implantation géographique couvre la totalité des régions de France. La carte électorale présentée dans les médias est stupéfiante, la France est monocolore. Habituellement l’implantation se situait dans le Sud-ouest et dans le Nord, ce dernier étant le bastion des anciennes industries disparues et d’une population ouvrière qui s’est sentie déclassée et qui s’est donnée en grande partie aux thèses de l’extrême droite.
Deux zones géographiques ont particulièrement surpris les analystes, soit la Bretagne, terre historiquement de gauche et l’Est auparavant profondément ancré dans le radicalisme socialiste. Il est de même des principales grandes villes qui étaient jusque-là hostiles aux appels du RN et parmi lesquelles beaucoup ont inversé la couleur sur cette carte effrayante.
Alors que le moment est historique, le Président Macron joue un coup de Poker très dangereux. Quelle est la base juridique de la décision solitaire du Président français ?
Le joueur qui « fait tapis »
Dans la quasi-totalité des constitutions du monde, y compris dans les régimes autoritaires où elle n’a aucune signification, quelques leviers constitutionnels sont disponibles pour gérer une situation exceptionnelle.
Ce sont l’état d’urgence, l’état d’exception, le référendum et la dissolution. Seuls les deux derniers concernent l’appel au peuple pour trancher une situation exceptionnelle.
L’article 12 avait été déclenché par le général de Gaulle deux fois, le peuple avait confirmé son adhésion aux élections, particulièrement après les manifestations de 1968 qui avaient engendré beaucoup de peur face à la violence. Il bénéficia d’une majorité plus écrasante qu’elle ne l’était auparavant.
Par contre la dissolution avait été un séisme lorsque le Président Chirac tenta sa chance. Alors qu’il avait déjà une majorité qui le soutenait, il voulait assoir sa garantie avec l’élargissement de celle-ci par crainte d’un risque de grogne en son sein. Le peuple lui a renvoyé une majorité contraire en l’obligeant à une cohabitation avec un Premier ministre issu d’un mouvement politique opposé.
C’est à partir de cette dissolution, jugée inutile et stupide que la classe politique, qui le savait déjà, a définitivement acté que l’article 12 est un pari risqué avec une mise de départ qui peut être lourde de conséquence.
Les résultats des précédentes élections européennes font donc assimiler le Président à un joueur de Poker (expression largement reprise par tous les commentateurs) qui n’aurait dans son jeu qu’une paire de deux et qui risque tout sur le tapis. Soit il rafle la mise par la défaite du Rassemblement National, soit il aura été celui qui lui a donné les clés de la citadelle républicaine. Même pour le premier cas, le risque ne s’éteindrait pas pour autant avec la prochaine élection présidentielle.
L’appel au peuple, une arme de dissuasion aléatoire
La dissolution déjà présente dans les deux précédentes républiques a été reconduite par les concepteurs de la cinquième république, donc par le Général de Gaulle. C’est un article qui convenait très bien à son projet institutionnel, il n’y avait pas de raison de l’éliminer.
Il est l’un des attributs souverains de la puissance du monarque républicain. La raison invoquée qui justifie l’article 12 est qu’il permettrait de mettre à disposition du pouvoir exécutif un outil de sortie d’un blocage institutionnel ou d’une crise de régime, au même titre que ceux que nous avons déjà cités.
La souveraineté populaire est la véritable détentrice du pouvoir républicain. Il est logique qu’elle intervienne dans des élections pour que le pouvoir politique institutionnel trouve sa légitimité. Mais lorsqu’on se trouve en dehors des échéances prévues par la constitution, le caractère exceptionnel peut raidir les positions et attiser la menace de blocage ou d’hégémonie menaçante d’une idéologie, ce qui est à l’inverse du résultat voulu par l’appel au peuple.
Le Président devra attendre un an avant d’être éventuellement autorisé légalement par la constitution à le déclencher de nouveau si le blocage est persistant. En fin de compte l’article 12, conçu pour éviter un blocage en serait à provoquer un autre, encore plus important.
La menace est encore plus forte lorsque le parti qui menacerait la république est populiste dans son discours comme le sont tous les partis européens de cette mouvance et qui connaissent la même montée fulgurante.
Car le ressort principal du populisme est l’argument du danger des « élites » qui menacent la nation et qui conduisent le peuple au déclassement et à la disparition de sa puissance, identitaire, militaire et économique. Les institutions comme les hommes au pouvoir seraient les responsables, il faut donc les chasser et détruire les anciennes institutions.
On imagine ce que cela produit lorsqu’on donne la parole à un peuple dont une bonne majorité est chauffée à blanc par le discours populiste. Et cela risque de durer pendant au moins un an, encore plus si l’élection présidentielle place Marine Le Pen au sommet du pouvoir exécutif.
Il existe pourtant un espoir
Un certain nombre d’échappatoires à la défaite annoncée existent même si la probabilité est mince.
Il s’agit cette fois-ci de 577 élections réparties dans les différentes circonscriptions électorales à travers le territoire national. Les considérations électorales dépendent beaucoup des critères locaux et du rapport humain direct avec les élus. Certes l’effet politique national des partis et l’adhésion à un courant politique restent encore primordiaux mais ils peuvent être contrebalancés par des choix qui s’éloignent des clivages partisans.
Puis, le scrutin majoritaire à deux tours est radicalement différent au mode proportionnel de l’élection européenne. Cette fois-ci l’effet est à l’avantage de ceux qui sortent du premier tour et peuvent nouer des alliances électorales avec des reports de voix suffisants pour l’emporter.
En corrélation avec ce point précédent, la situation politique s’est transformée dès l’annonce de la dissolution. L’alliance des gauches, improbable avant le choc, a été possible avec la création du Front Populaire. Certes, dès le départ les chamailleries ont recommencé, comme du temps de la tentative de la première alliance, la NUPES, mais on sent bien que la majorité des participants veulent y croire et font tout pour mettre la poussière sous le tapis. Pour l’instant…
Dans cette ambiance, on a constaté immédiatement des sondages qui redonnent un petit espoir en annonçant des prévisions déjà assez éloignées des résultats des élections européennes. Si cela persiste et se concrétise dans les urnes, l’effet majoritaire qui nécessite des alliances se manifestera à l’avantage des partis qui s’opposent fermement au Rassemblement National.
Un autre allié possible, la bataille pour convaincre le plus gros parti de France, l’abstention, afin qu’il rallie le camp des républicains. Un électeur inscrit sur deux ne se déplace pas pour voter et ce chiffre ne s’est pas amélioré depuis plusieurs décennies.
Or il existe une constante dans la sociologie des élections qui nous apprend que les partis extrêmes font toujours le plein de leurs électeurs dès le premier tour. Ce fut le cas pendant très longtemps du parti communiste puis maintenant du Rassemblement National.
Cela s’explique par le fait que dans ces partis la discipline de vote est à l’image de la structure verticale de commandement interne. Ajouté à cela que ces partis sont beaucoup plus forgés par une pensée doctrinaire qui les poussent à cette discipline du vote.
Le réservoir de voix serait alors peu important pour le Rassemblement National dans le vivier des abstentionnistes alors que celui des partis républicains est encore existant. Cependant il faut atténuer cet espoir car dans la population abstentionniste il y a des couches populaires dont la participation au vote est très difficile à espérer.
C’est hélas beaucoup le cas des populations issues de l’immigration. Un profond problème que la mobilisation des partis de gauche qui leur sont favorables n’a jamais pu réellement résoudre. Je ne peux personnellement que m’en désespérer et même retenir ma colère.
Puis enfin, il y a les rebondissements journaliers qui nous apprennent que le Rassemblement National détricote les points forts son programme. Pour la TVA, on verra, pour le projet de la retraite à 60 ans, ce ne sera que plus tard et ainsi de suite.
Plus extraordinaire encore, Jordan Bardella a déclaré qu’il attend la majorité absolue ou rien. C’est-à-dire plus clairement, en cas de majorité relative il ne briguerait pas le poste de Premier ministre qu’il s’est attribué depuis l’annonce de la dissolution.
La crainte du saut dans le vide est bien là car le risque que les promesses viennent se fracasser sur la réalité compromettrait définitivement l’élection présidentielle à venir La preuve irréfutable de cette peur de la déception des électeurs est dans la plus vielle des astuces de ceux qui accèdent au pouvoir après une démagogie débordante. Il demandera un audit sur la situation économique de la France avant de mettre en œuvre ce qui a été promis. Une situation qui est censée être connue puisque c’est notamment sur elle que se sont portées les critiques du Rassemblement National depuis très longtemps.
L’obsession française du centre et la responsabilité du Président
Tout cela est en grande partie une conséquence de la stratégie du Président Emmanuel Macron qui a accédé au pouvoir en 2017 en démolissant les structures partisanes classiques. Son objectif, parfaitement réussi, était de faire exploser le parti socialiste (ce qu’il en restait) et la partie centriste du parti Les Républicains en captant leur électorat et certaines de leurs grandes figures. La liste est longue comme les plus connus, son ancien Premier Ministre, Édouard Philippe, et les actuels ministres de l’intérieur, Gérald Darmanin, de l’économie et des finances, Bruno Le Maire parmi bien d’autres.
Il a parfaitement réussi et s’est installé dans un centre tant convoité en France. Ce centre est l’obsession politique française depuis la IIIème république car on estimait, selon la célèbre formule du Président Giscard d’Estaing, que la « France se gouverne au centre ». Un projet politique toujours incertain car sociologiquement l’électorat français est réellement à droite après la disparition progressive du parti radical, à l’exception de quelques sursauts des partis de gauche.
On a retrouvé cet objectif de positionnement politique avec le fameux « en même temps » du Président Emmanuel Macron. Il est le premier à avoir réalisé depuis longtemps ce fantasme du centre qui a toujours été le « ventre mou » du spectre politique. Oui mais à quel prix ?
En élargissant le centre, le résultat a été l’anéantissement des partis classiques de gouvernement. Ainsi le Président Emmanuel Macron a créé et renforcé les extrêmes qui ont été les seules oppositions réelles.
Il n’a cessé de faire du Rassemblement National son concurrent direct, au détriment des partis républicains qui ont été desséchés de leurs principaux cadres et électeurs. Le résultat, nous le voyons aujourd’hui, le centre s’est effondré par la puissante poussée des deux extrêmes. La pression a été forte pour les repousser, elle s’est retournée pour l’écrasement de ce centre dont il ne reste plus rien après la déroute du parti présidentiel aux élections européennes.
Voilà donc le coup de Poker qui a été tenté et que le jouer ne peut maintenant qu’espérer que le tapis soit raflé. Or le tapis, au Poker ne pardonne pas en cas d’échec, soit la France est offerte à la domination de la peste noire soit elle en échappe mais terriblement fracturée.
En conclusion, rappelons que l’article 12 est un fusil à un coup, il ne pourra être tenté une seconde fois pendant une année comme l’impose la constitution. Nous nous imaginons la situation de blocage institutionnel, celui qui était censé être évité par l’article 12.
Un outil constitutionnel prévu pour contrer les crises politiques et institutionnelles. C’est gagné !
Boumediene Sid Lakhdar