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Entre restriction et suspicion : le citoyen rationné

Mohcine Belabbas

Mohcine Belabbas

La Banque d’Algérie a tranché. Depuis le 15 juillet, l’allocation touristique de 750 € est officiellement en vigueur. Présentée comme une avancée pour les citoyens désireux de voyager, cette mesure n’est ni une ouverture, ni une réforme.

C’est une aumône en devises, servie au compte-gouttes à quelques Algériens autorisés à franchir les frontières. Une concession minimaliste, assortie de conditions kafkaïennes. Une permission de respirer, un instant, hors d’un pays à l’économie verrouillée.

Longtemps figée à 15 000 dinars – à peine une centaine d’euros – l’allocation a été revue fin 2024, après vingt-sept ans d’immobilisme. Mais ce rattrapage n’efface ni le retard accumulé, ni le caractère arbitraire du dispositif.

Car même à 750 €, une fois par an, sous mille conditions, l’allocation n’est pas un droit : c’est une faveur.

Le citoyen algérien est ainsi rationné dans son propre accès à la monnaie étrangère. Il doit prouver son mérite, justifier sa sortie, déclarer ses liens familiaux, son emploi, son retour. Et lorsqu’il franchit enfin les barrières administratives, il se retrouve à faire la queue dans les rares agences bancaires habilitées, tandis que le change informel – notamment au square Port Saïd – continue de fixer la véritable valeur du dinar, bien loin du taux officiel.

Ce contraste est brutal : d’un côté, un pouvoir qui prétend réguler l’accès à la devise pour préserver sa souveraineté monétaire ; de l’autre, un marché parallèle qui dicte sa loi à l’économie réelle. Le dinar est ainsi humilié deux fois : par sa faiblesse structurelle, et par l’incapacité des autorités à garantir aux citoyens un accès libre, régulier et égal à la devise étrangère.

Cette allocation ne vaut pas seulement par ce qu’elle accorde, mais par ce qu’elle révèle : une hiérarchie implicite entre le dinar et les devises fortes, consacrée par le pouvoir lui-même.

À force de conditionner l’accès à l’euro, on finit par acter une forme de dévaluation symbolique : celle qui ne passe pas par un taux officiel, mais par une politique de restriction.

La monnaie nationale n’est plus un outil de souveraineté, mais un fardeau que l’on contourne, ou que l’on subit.

La Banque d’Algérie parle de régulation. Mais que régule-t-on, au juste, quand les véritables opérateurs économiques sont bridés par une paperasse absurde, et que les particuliers doivent mendier une allocation dans un circuit bancaire asphyxié ? Ce n’est pas une politique monétaire : c’est une gestion de la rareté. Une mise en scène de la discipline budgétaire sur le dos des citoyens.

Dans la même logique que la légalisation du commerce du cabas, cette mesure participe d’un même théâtre économique : on normalise l’informel à défaut de construire du réel. On administre des dérogations là où il faudrait garantir des droits. On met en scène des gestes de libéralisation sans jamais s’attaquer à l’ossature fermée du système.

Et surtout, on entretient une illusion : celle d’un pouvoir qui aiderait ses citoyens à voyager, alors qu’il se contente de leur céder, au forceps, un droit fondamental devenu exception administrative.

Le problème, ce n’est ni l’allocation ni son plafond. Le problème, c’est qu’en Algérie, acheter des devises reste un privilège, pas un droit. Tant qu’il faudra supplier pour changer sa propre monnaie, le dinar restera dévalorisé, et le citoyen suspect.

Mohcine Belabbas, ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie.

Tribune publiée par son auteur sur les réseaux sociaux.

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