Vendredi 1 juin 2018
Espagne : le coup de force des socialistes
Mariano Rajoy et Pedro Sanchez, le nouveau chef du gouvernement.
Pedro Sanchez, le jeune leader de 46 ans du parti socialiste (PSOE), vient d’être nommé Président du gouvernement en remplacement du puissant chef du parti de droite, le parti populaire (PP), Mariano Rajoy. Une situation impensable il y a encore quelques semaines.
Alors que le gouvernement de droite avait une assez large majorité et que les résultats économiques favorables, parfois miraculeux, se succédaient dans un pays qui sortait à peine d’une crise économique foudroyante, le voilà désavoué subitement.
Il faut dire que ce surprenant coup de théâtre a été possible suite à des événements majeurs dans la péninsule ibérique.
Le premier est celui de la Catalogne où le succès relatif de la fermeté de Mariano Rajoy a fait grincer des dents. La crise catalane est résolue en surface mais nous voyons bien, avec les interventions des élus de cette région, que la plaie s’est agrandie et que le problème ressurgira tôt ou tard.
Puis, le coup de grâce est venu, celui qui fut pris comme justification de la motion de censure initiée par Pedro Sanchez. Nous savions de longue date que la corruption était massive en Espagne. Et même si le parti socialiste n’a pas tout à fait les mains propres, le parti populaire n’arrêtait pas ces dernières années à être entaché d’affaires judiciaires scandaleuses.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase et rendu la position de Mariano Rajoy intenable est le récent procès gigantesque, du nom de Gürtel, qui a vu la condamnation cumulée de plusieurs siècles d’emprisonnement de cadres et d’élus du parti populaire.
Tout cela fut accompagné ces derniers mois par une fronde sociale très importante dont celle des retraités, descendus massivement dans la rue, qui ont fait parler d’eux par leur revendication d’obtenir une « pension digne ». Nous savons que sociologiquement, dans toute l’Europe, cette catégorie d’âge est plutôt dans une adhésion des mouvements de droite.
Il ne restait plus qu’à Pedro Sanchez de trouver une opportunité pour jouer la carte du retour d’un PSOE bien mal en point ces dernières années avec l’apparition de deux grandes formations politiques, Podemos à sa gauche et Cuidadanos au centre droit.
Le choix des armes fut trouvé en une motion de censure très improbable pourtant dans un système totalement proportionnel où le PSOE était isolé et critiqué pour ses échecs précédents. Le miracle s’est produit avec l’accord très surprenant du parti d’extrême gauche Podemos qui était jusque là dans une position fondamentalement opposée au PSOE.
Mais cela n’aurait pas suffi s’il n’y avait pas eu le coup de massue asséné par le mouvement national Basque (PNV) qui a déclaré son appui à la motion de censure. Dès cet instant, la partie était jouée et Pedro Sanchez avait la voie libre vers le Palais de Moncloa, résidence officielle du Président du gouvernement.
Tout cela nous paraîtrait curieux si on se réfère aux traditions constitutionnelles françaises. C’est qu’il faut bien se repérer avec quelques points de constitution.
C’est le Roi d’Espagne qui est le chef de l’État car nous sommes en présence d’une monarchie constitutionnelle. Il ne s’agit donc pas d’un Président au sens de la constitution française mais d’un chef de gouvernement comme on dirait Président du Conseil en d’autres temps en France, Premier ministre au Royaume-Uni ou Chancelière en Allemagne.
Il y a donc une inversion de majorité par un vote d’une motion de censure qui légitime le changement à la tête de l’exécutif du royaume ibérique.
Mais Pedro Sanchez a joué avec la constitution espagnole, à la limite de la légalité. Il ne serait pas surprenant de constater dans les semaines à venir un rappel à l’ordre du Tribunal Suprême espagnol à propos de l’interprétation des conditions de la motion de censure.
Celle-ci est autorisée dans les cas très restrictifs d’une situation grave ou d’un blocage institutionnel, nous en sommes vraiment loin dans l’Espagne relativement apaisée de nos jours.
Et puis, le jeune leader de la formation socialiste sait, plus que quiconque, la fragilité de sa situation puisque le PSOE ne possède que 84 sièges à la chambre basse. Le résultat de la motion de censure n’est absolument pas pour lui une garantie de survie politique.
Ainsi, les Espagnols retourneront aux urnes, ce qui a été promis par Pedro Sanchez, dans un avenir proche. La société espagnole commence à être fatiguée d’une situation où le gouvernement avait été introuvable pendant une très longue époque lors des dernières élections législatives.
Mais pour autant, faut-il souhaiter aux Espagnols la survenance d’un système stable, avec un mode de scrutin majoritaire, comparable à la Vè république française ?
Ce serait troquer un diable contre un autre.