Vendredi 28 février 2020
Est-ce la fin du temps des «zerdates » ?
La chute du pétrole, la crise économique, faut-il s’en inquiéter ? Oui, disent ceux qui pensent que l’État vit au-dessus de ses moyens et que cela ne peut plus continuer ainsi. Selon ces derniers, l’État dépense trop pour une politique qui n’est pas efficace.
Dans le camp du pouvoir, on soutient, bien évidemment, le contraire en affirmant qu’ « il faut être, vraiment, de mauvaise foi pour ne pas reconnaître les énormes efforts déployés par l’Etat pour doter le pays en infrastructures de base, barrages hydrauliques, voies ferrées, routes, métro-tramway, logements, etc ».
Dans l’opposition, on persiste à dire que l’Etat, « ce grand dépensier », vit au-dessus de ses moyens ; nous fabriquons, aujourd’hui, les freins à la croissance de demain, en ne comptant que sur le pétrole.
Il est plus que temps de cadrer les dépenses de ce « mastodonte » qui nous coûte cher. Ces mots, le personnel politique de l’opposition ne cesse de les répéter. Ils sont repris par une bonne partie des éditorialistes de la presse, notamment privée, qui n’hésitent, jamais, à rappeler qu’«il est plus qu’urgent de réduire les dépenses du pays, crise du pétrole oblige ».
Le discours des pouvoirs publics, renouvelé à chaque fois, faisant part de la volonté de diversifier l’économie nationale pour échapper à la dépendance éternelle aux hydrocarbures a été battu en brèche, la réalité nous a rattrapé : le baril a perdu 50% de sa valeur. Et par ricochet, les réserves de devise du pays sont passées sous la barre fatidique des 100 milliards de dollars.
Les plus raisonnables parmi les experts, prédisent au pays exportateur de pétrole que nous sommes, des années insupportables. Il en serait de même concernant beaucoup de pays producteurs qui ont besoin d’un cours de l’or noir élevé, pour financer leurs dépenses, a affirmé l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) dans son dernier rapport.
Notre pays, selon les mêmes experts, a besoin d’un baril de plus de 100 dollars pour maintenir ses équilibres budgétaires et préserver sa position financière extérieure, sérieusement fragilisée par la diminution des rentrées du pétrole et du gaz, lequel gaz est indexé au pétrole et à sa chute.
Si les pouvoirs publics ne changent pas de vision, l’Algérie ne pourra pas éviter le recours à l’endettement extérieur.
Mis à part le peuple qui, à la lecture notamment des journaux, s’inquiète de la chute du prix du pétrole, la sphère dirigeante manifeste une espèce d’indifférence, singulièrement, effrayante ; des déclarations contradictoires émaillent la scène médiatique, des propos scindés entre ceux qui affichent un optimisme factice, en dépit de cette menace économique qui tient en haleine le pays, et ceux qui exposent un pessimisme, réellement, tangible.
Si l’Algérie a su, jusque-là, faire face au choc induit par la baisse du prix du pétrole, il n’en demeure pas moins que les équilibres financiers du pays pourraient être affectés si les cours du pétrole se maintiennent au même niveau.
En fin de compte, tous ces débats, donnent le tournis au citoyen lambda, qui pense que « l’Etat ne dépense pas trop, au regard de tout ce qu’il a réalisé jusque-là, mais qu’il se fait voler ! ».
Les Algériens s’attendent, néanmoins, à des perspectives difficiles, d’autant plus qu’ils se perdent en conjonctures, malgré les sorties optimistes des ministres les plus en vue du gouvernement, et en l’absence d’une communication officielle du Premier ministre sur le sujet. L’heure est grave, disent les plus pessimistes, mais c’est à l’Etat qu’il revient de prendre les mesures qui s’imposent et à Abdelaziz Djerad de parler et d’affranchir la population sur ce qui l’attend.
Sans la leurrer ou lui faire peur, inutilement !
Il doit le faire, à la télévision nationale, pour rassurer les uns et les autres et leur dire, par exemple, qu’il est temps pour le pays « d’aller vers une économie de production, casser la dynamique routière, c’est-à-dire libérer l’investissement et l’initiative de création d’entreprises et stopper, aussi, la tendance à l’ »informelisation » de notre économie ».
Est-il besoin de rappeler que le préjudice causé par l’informel a été chiffré, par des experts, à 6000 milliards de dinars ?
Ne pas capter l’impôt de l’informel, par encore une fois, la bancarisation, l’emprunt obligataire ou toutes autres formules adaptées, c’est rééditer l’exemple de la Grèce qui a payé cher son « laisser aller » en la matière. C’est une des solutions admises, à même de faire face à la réduction des recettes suite à la chute du baril de pétrole. La Turquie, contrairement à la Grèce, a réussi à s’extirper du poids du circuit de l’informel grâce à des mécanismes proactifs de recouvrement de l’impôt, des réformes macroéconomiques, notamment concernant les entreprises.
Des politiques à prendre en modèles, selon des avis autorisés. Les mesures prises par le gouvernement jusque-là sont isolées en ce sens qu’elles touchent, différemment les secteurs, alors que la solution passe par des décisions globales ; on ne peut pas, par exemple, développer l’agriculture si les autres départements ne suivent pas !
Pour l’heure, la seule question qui vaille est de savoir où est-ce qu’on a besoin de mettre le peu d’argent que nous engrangeons, encore, grâce au pétrole ? En attendant, ce qui est attendu du gouvernement actuel, c’est la réduction du train de vie de l’État et en la matière, il y a à faire.
Il n’est pas rare, aujourd’hui, de voir le directeur central d’un ministère ou d’une entreprise publique, disposer de 5 ou 6 véhicules de service, avec leur dotation en carburant, pour son usage personnel et celui de sa famille.
Il y a aussi, tous ces bâtiments et cette foultitude d’annexes dont l’entretien coûte « les yeux de la tête », pour des objectifs insignifiants. Pourquoi ne pas s’en délester et partant, soulager le budget de fonctionnement de l’Etat ?
Ailleurs, en situation de crise, on a vendu les « bijoux de famille », voire même des casernes. On n’en est pas là, mais il n’y a pas de petites économies et il faut débusquer toutes les niches fiscales possibles, qui sont autant de recettes pour le Trésor public.
Aux membres du gouvernement et autres patrons d’entreprises publiques, de réduire au maximum leur train de vie, de s’abstenir de créer toute nouvelle Epic, de baisser la cadence des journées d’étude, séminaires et autres manifestations budgétivores.
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a donné des instructions fermes aux walis concernant « le recours injustifié aux longs cortèges officiels observés lors des visites sur le terrain des délégations wilayales et ministérielles ainsi que les zerdates organisées traditionnellement pour l’occasion, tout en appelant à bannir la tentation à la ripaille et à la folklorisation devant laquelle succombe nos responsables ».
La chute du prix du pétrole n’est plus une vue de l’esprit, mais une réalité désormais présente et pressante. La crise affole médias et experts de tous bords. Tout le monde s’accorde à le dire, l’heure est grave : déflation, récession, chômage accru et nouvelle tempête financière sur l’Algérie ne sont pas des menaces en l’air.
Le pays, en ces moments difficiles, a besoin de toutes ses énergies y compris celles de l’opposition. Personne, d’ailleurs, n’imagine un grand gouvernement où tout le monde se tiendrait, tendrement, la main pour le plus grand bonheur possible. Ce serait ridicule et même malsain, car la démocratie, c’est aussi la bagarre et l’alternance. Et passé le plus dur, le jeu de massacre pourra recommencer, gaiement.
Bien entendu, ce n’est pas facile, car cela revient, pour chaque camp, à brutaliser son aile la plus conservatrice. « Gouverner, c’est tendre jusqu’à casser tous les ressorts du pouvoir », disait Clémenceau, figure française de l’Union sacrée pendant la grande guerre, mais qui n’a jamais cessé de boxer, férocement, ses adversaires politiques.
Pour l’heure, il est attendu du Premier ministre et de son gouvernement d’œuvrer à la moralisation de la vie politique et publique et le renforcement de la bonne gouvernance, car il s’agit du 4ème engagement électoral du président de la République, ce qui suppose :
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Une gestion saine des deniers de l’Etat ;
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La transparence dans la gestion des finances publiques ;
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Une meilleure traçabilité de la décision publique et des actes et procédures liés à la gestion des deniers et des marchés publics
Pour en finir, peut-être, un jour, avec les brebis galeuses qui alimentent, quotidiennement, ce sentiment de « tous pourris » !