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Et la diaspora dans tout ça ?

OPINION

Et la diaspora dans tout ça ?

Ces milliers d’Algériens qui partent vers l’étranger, en direction notamment de la France et du Canada, ont vidé l’Algérie de sa matière grise. Ces départs ont pris, notamment au cours de ces cinq dernières années, des proportions alarmantes, jusqu’à faire partie de notre mémoire collective.

C’est un drame au ralenti que le pays vit, au lieu et place d’une révolution en douceur, comme cela se passe dans certaines nations du monde.

Les Algériens sont de moins en moins nombreux à espérer un changement démocratique chez eux. Tous les horizons sont brouillés et les perspectives de changement ne sont pas pour le moyen terme, encore moins pour le court terme. Malheureusement, ce sont des milliers de jeunes, hommes et femmes, universitaires majoritairement, qui n’ont de projets que pour quitter le pays et partir s’installer ailleurs.

Nous les voyons se précipiter à longueur de mois vers les représentations étrangères pour espérer obtenir un visa, leur permettant de s’expatrier. Qu’il soit touristique, d’études, de travail ou de résident temporaire, peu importe la couleur de ce visa; le plus important c’est de le décrocher. C’est le seul rêve de la grande majorité des jeunes algériens. Quand ça ne marche pas, ils se rabattent alors sur la deuxième option, bien qu’illégale et dangereuse : « La harraga » comme ils l’appellent eux. Dans ce cas de figure, c’est pratiquement l’asile humanitaire qui est alors visé. Une fois de l’autre côté de la Méditerranée ou de l’atlantique, ces ‘’traverseurs des hautes mers’’ s’empressent pour demander le statut de réfugié. C’est comme pour donner une chance au hasard, tout est bon à prendre et à accepter; à commencer par braver la houle à bord d’embarcations de fortune, le froid, l’inconnu, la séparation de sa famille, l’abandon de son emploi ou encore le risque de mourir en mer… sauf retourner au point de départ.

L’Algérie est devenue désormais aux yeux de ses enfants une ligne de départ d’un grand et risqué marathon, pour un ‘’one way’’ un allé simple, ni plus ni moins.

Avant 2016, les routes migratoires passent surtout par le Maroc et la Libye.

Ces dernières années, l’Algérie est devenue un passage de choix pour les maghrébins et pour certains africains issus des pays voisins.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils nous donnent le vertige :

Si lors de la seconde guerre mondiale, le nombre d’algériens à l’étranger ne dépassait guère la barre de 80.000 personnes il s’est approché, après vingt années d’indépendance, à un peu plus de 700.000 personnes; pour atteindre, à fin 2018, un pic inimaginable de huit (8) millions de personnes et tous les démographes et statisticiens qui se sont penchés sur la question, l’ont confirmé. Huit millions de personnes dis-je bien. Un vrai gâchis! C’est l’équivalent de la population totale de 8 pays africains (Gabon, Gambie, Guinée, Mauricie, Comores, Cap-Vert, Sao-Tomé et Seychelles).

La France demeure la principale destination des flux migratoires algériens avec près de 84% du total de la diaspora. Les autres pays européens constituent le second espace avec 10% de cette émigration. 4.4% sont dans les pays arabes, alors que 1.6%, soit 150.000 personnes sont répartis entre l’Amérique du Nord (Canada en particulier avec 130.000) et le reste du monde.

C’est surtout une grande perte pour l’Algérie. La particularité, de la diaspora algérienne partie au cours de ces 15 dernières années, est sa sommité intellectuelle, managériale et entrepreneuriale.

Il est certain que l’Algérie perd beaucoup à laisser partir sa matière grise. Ce qu’elle perd, économiquement, en tournant le dos à ses enfants établis à l’étranger, est inimaginable.

La question c’est de se demander si elle s’est inquiétée et si elle a cherché à localiser les raisons de cette ruée vers « l’horreur », afin de corriger le tir et en tirer profit.

Il y a matière à douter car les politiques de connexion; autrement dit ‘’le contact’’ entre les représentations algériennes à l’étranger et la diaspora est pratiquement inexistant; encore moins entre les gouvernants algériens et leur diaspora. Des rapports respectables et responsables doivent être définis entre les uns et les autres.

L’Algérie ne doit pas se limiter seulement à fournir du gaz et de la matière grise et à servir de bouclier sécuritaire, pour l’Europe. Elle doit s’imposer et poser les jalons d’une vraie stratégie globale, par la mise en place d’une coopération rigoureuse sur toutes les questions et migratoires aussi. Elle doit passer à la vraie négociation avec ses partenaires étrangers et négocier adéquatement. On dit ‘’qu’un bon accord est celui dans lequel les différentes parties voient leur intérêt’’; c’est un peu cela la formule ‘’win-win’’ gagnant-gagnant que le gouvernement algérien doit avoir à l’esprit.

Nous comprenons que durant les années 1960 et 1970, les Algériens en France étaient, à plus de 95%, des ouvriers cantonnés aux travaux durs, d’égouts et affectés aux postes de simples manœuvres pour le bâtiment et l’industrie. Aujourd’hui la réalité du terrain est tout autre.

Il faudra donc en tenir compte : Les algériens arrivés à l’étranger au cours des 15 dernières années sont majoritairement jeunes et diplômés des universités. Ils sont ingénieurs, entrepreneurs, scientifiques, intellectuels…

Plus de 75% de la diaspora algérienne installée en Amérique du Nord (Canada et USA) sont constitués de hauts diplômés et d’anciens cadres démissionnaires des entreprises algériennes, avec un capital d’expérience extraordinaire.

En Europe, la France notamment, des centaines d’entrepreneurs, d’origine algérienne, sont propriétaires d’entreprises diversifiées, qui activent, produisent, emploient et recrutent du personnel et apportent une plus-value au pays d’accueil.

Il faudra souligner, qu’en ces moments de pandémie, près de 15.000 de nos meilleurs médecins algériens exercent dans les hôpitaux français et d’autres au Canada.

C’est une diaspora grandissante, hétérogène et dynamique qui est complètement oubliée. Elle aurait pu, pourtant, représenter une ressource majeure pour l’économie algérienne et jouer le rôle d’un vrai lobbying économique et financier très profitable pour le pays. Les tenants du pouvoir doivent prendre conscience de l’importance et de la force de cette diaspora et aussi du manque à gagner inestimable pour le pays. Ils devront en prendre acte et se saisir de cet enjeu. Cependant, pour pouvoir mobiliser les compétences et les talents de ces émigrés, il faudra inévitablement les questionner et bien cerner leurs aspirations, leurs besoins et leurs attentes.

La place est donc à la raison, à la rationalité économique et à la considération et inclusion de notre diaspora, si nous la voulons actrice importante et partenaire incontournable pour la construction du pays. L’Algérie ne pourra avancer sans sa matière grise. Séparer le pays de sa diaspora, c’est comme amputer un de ses membres à une personne.

La diaspora doit avoir un droit de regard sur tous ce qui conditionne l’avenir de son pays, comme elle a droit aussi à des sièges au cœur du pouvoir législatif en Algérie (APN et Conseil de la nation).

C’est antinational et malhonnête en même temps que de tourner le dos à la diaspora et de la regarder, de loin, en train de faire les beaux jours des pays étrangers, alors qu’une crise multiforme souffle sur notre pays.

La balle est, en tout cas, dans le camp des gouvernants, car tout est question de volonté politique; sans quoi rien ne sera possible.

L’Algérien, là où il se trouve, aime son pays et veut y contribuer mais faudra t’il lui donner cette chance et oser le consulter, l’impliquer, le sécuriser et le rassurer par des facilitations administratives, par la mise en place des règles de jeu démocratique, une justice sociale et la transparence à tous les niveaux.

Il faudra rappeler qu’au cours des cinq dernières années, la diaspora a transféré prés de 10 milliards $ (une moyenne de 2 milliards par année) en plus d’avoir réalisé et financé par ses fonds propres une cinquantaine de projets en Algérie. Elle est capable de transférer jusque à 6 milliards $ par année, ce qui représenterai près de 7% de notre PIB, si toutes les conditions seraient réunies, à commencer par établir un climat de confiance avec elle.

Ces algériens de l’étranger, vivent aujourd’hui dans une démocratie de proximité et ils ont suffisamment appris aux-côtés des professionnels de l’industrie, de managers et spécialistes étrangers. Ils ont capitalisé des connaissances et expérience inestimables. Leur rêve c’est de mettre tous ces atouts et leur savoir-faire au profit de leur pays d’origine, dans une dynamique orientée davantage vers un retour progressif au pays.

C’est pour toutes ces raisons que la flamme de notre révolution pacifique (le Hirak), est entretenue et maintenue allumée par la diaspora. Les émigrés sont convaincus de l’extraordinaire intelligence du peuple algérien. Cette belle révolution pacifique, que ce peuple mène, ne peut en aucun cas être réduite à une manœuvre politicienne ou à un quelconque chahut de rue. Elle révèle clairement la grandeur de la catastrophe que le pays vit et la gestion calamiteuse et anarchique des gouvernants.

C’est une révolution qui pousse toute l’Algérie et son peuple vers la modernité; raison pour laquelle elle a le soutien inconditionnel de la diaspora.

Auteur
Hsèn Moussi, président Mouvance Migratoire Ô Canada 

 




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