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Et si les Turcs n’étaient « finalement » que des colons comme d’autres ?

 

Du point de vue anthropo-historique, tous les peuples qui étaient passés par « la terre berbère » en général et « algérienne » en particulier furent soit des « envahisseurs », soit des occupants ou des colons.

Autrement dit, dans notre cas précis, des Romains jusqu’aux Français, nous étions sous occupation étrangère. Maintenant certains pensent que « l’occupation » turque ou ottomane est un cas à part, c’est-à-dire une forme de « aânaya » (protection) demandée par les notables locaux pour se protéger des Espagnols. Une protection justifiée sous la bannière d’un Islam unificateur.

Ce qui est « relativement » faux de mon point de vue. L’adverbe « relativement » a bien sûr toute son importance dans ma phrase. Car, si cette « aânaya » était temporairement acceptée comme telle, sa durabilité dans le temps ne pourrait être expliquée que comme « occupation étrangère ».

Avant l’arrivée des Turcs, au début du XVIe siècle, les royaumes du Maghreb, autrefois appelés Tafarka (Afrique du Nord), étaient contenus dans des frontières presque « théoriques », dans la mesure où les populations, bien que divisées en tribus insoumises (environ 516 à l’arrivée des Français en Kabylie vers 1857), partagent, avec quelques exceptions près, le même legs culturel, linguistique et religieux.

Cela dit, comme les Etats d’Europe au XVIIIe siècle, l’idée de l’Etat au sens moderne n’a jamais existé en terre berbère. Donc, seul ce sentiment d’appartenir à une même « oumma » (communauté religieuse) étant à même d’expliquer l’acceptation des populations locales de la prise du pouvoir par les Turcs à Alger, Tunis et Tripoli. Ces dernières voyaient le remplacement de la féodalité locale par celle des Turcs comme un fait normal, qui ne risquait pas de perturber leur stabilité, du moins du point de vue religieux.

Autrement dit, la notion de la « Oumma » n’étant pas en cause et il n’y a pas lieu de déclarer la « guerre sainte » à ceux que l’on pourrait considérer sociologiquement comme « occupants ».  L’Islam fut, de ce fait, durant toute la période ottomane , l’objet d’un réel respect, et si les Deys puis les Beys ne furent pas prosélytes, l’édification des mosquées et l’entretien des Habous, furent des préoccupations importantes.

Toutefois, si les heurts et les révoltes connus par les premiers Turcs étaient « gérables », la dissidence berbère aura posé problème par la suite. Rappelons que, de 1617 à 1818, date du soulèvement de quelques tribus kabyles (les Guetchoula et les Béni Sadra en particulier), sur les trente Deys qui s’étaient succédé aux postes de responsabilités, quatorze d’entre eux seront imposés par l’intervention directe de l’armée. L’évolution de la situation n’en différait pas trop de ce qui s’était passé entre les iketammen (les Berbères Kotama) et le Royaume des Fatimides quelques siècles plus tôt.

Autrement dit, s’il y avait eu collusion et entente au départ entre les Berbères et les Fatimides, c’était surtout sur la base du partage du pouvoir et dès que les Berbères furent écartés des postes de responsabilités, la révolte avait commencé à ébranler les assises du royaume, lequel fut obligé de partir pour le Caire vers 973. En partie,si les Turcs, étaient affaiblis à leur fin de règne, c’était parce qu’il y avait défaut de légitimité et de consensus.  Le régime d’Ojak qui était aux commandes avant 1830 fut très répressif, voire très anti-populaire.

Il fut contesté par les habitants de la Régence. Celle-ci, pourtant forte de ses courses en Méditerranée, fut en plein chamboulement. L’exemple d’Ahmed Bey, dernier Bey de Constantine jusqu’à 1836, de mère algérienne de la famille Bengana, lequel s’était allié aux grandes familles constantinoises, après s’être débarrassé des Janissaires et avoir créé une armée algérienne, participe de cet élan « algérien » contre l’occupation turque. Et puis, ce « grand homme malade » que fut l’Empire ottoman, commençait déjà à s’attirer les foudres des puissances européennes qui s’acharnaient contre lui et ses « protectorats » dont l’Algérie.

Déjà, le 29 août 1808, Napoléon Bonaparte, le premier Consul de France, avait envoyé une lettre « prémonitoire » au tsar de la Russie, dont voici un extrait : « L’existence de ces pirates [Les Turcs] est une honte pour toutes les grandes puissances de l’Europe, et il serait à désirer de s’entendre pour les faire vivre en honnêtes gens. Puisque la croix ne fait plus la guerre au croissant, pourquoi souffrir que la réciprocité n’ait pas lieu ? Les côtes de la Berbérie sont fertiles, leurs habitants pourraient vivre tranquilles et cultiver leurs terres sans commettre de piraterie. » Ce fut au lendemain de cette déclaration épistolaire qu’il y avait eu la visite secrète du chef de bataillon, un colonel du génie de la grande armée, du nom de Vincent-Yves Boutin à Alger. Celui-ci venait espionner la Régence pour le compte de Napoléon.

Sa mission consistait à faire des plans en vue d’une probable invasion. A cette occasion, Boutin avait établi un document secret intitulé : « La reconnaissance générale de la ville, des forts et des batteries d’Alger », lequel aura servi à l’expédition de 1830.  L’instabilité relative de la Régence a donné la chance aux Français de la dynamiter de l’intérieur, après l’avoir dynamitée de l’extérieur au lendemain de la fameuse Bataille maritime de Navarin de 1827 et le blocus qui s’en était suivi.

Kamal Guerroua

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