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États-Unis, la démocratie à l’épreuve du trumpisme

REGARD

États-Unis, la démocratie à l’épreuve du trumpisme

À la lumière de ce qu’il s’est passé le 6 janvier dernier, avec la prise du Capitole, beaucoup se demandent encore comment se fait-il que cela ait pu se produire. Comme si c’était là un coup de tonnerre dans un ciel serein.

Comment se fait-il que la plus grande démocratie occidentale en soit arrivée là, ait atteint un tel point de déliquescence ? Comment est-ce possible que le pays, donneur de leçons de démocratie au monde, ait tombé aussi bas ? Renvoyant une piètre image de soi à l’opinion, suscitant consternation et condamnation dans la communauté internationale.

Et surtout, comment expliquer l’inexplicable, le fait que des nervis de l’extrême droite, des suprémacistes blancs  arborant des armes de guerre, tous inféodés au président sortant Donald Trump, aient pu prendre d’assaut aussi facilement le Capitole que l’on croyait jusque-là inexpugnable ?

Le bâtiment néoclassique, emblématique à plus d’un titre, de l’Administration américaine, abritant le Congrès des États-Unis, symbole de pouvoir et de superpuissance à l’échelle planétaire, fut mis à rude épreuve ce jour-là. Le président élu, Joe Biden, parle de « l’un des jours les plus sombres » de l’histoire des États-Unis. Le chef de la police du Capitole, Steven Sund, sujet de vives critiques pour son manque d’anticipation, démissionne.

Dans un monde de plus en plus globalisé, à l’ère de l’internet et de la mondovision, où les distances tendent à se réduire un peu plus chaque jour, l’information circulent à une vitesse des ultrasons. Le monde entier, un tantinet abasourdi, avait les yeux rivés sur ce qu’il s’y passait. Les agents de police du Capitole, censés veiller sur l’intégrité de la bâtisse la plus chaperonnée, et sur celle des serviteurs de la nation s’y trouvant, seraient dépassés en nombre. Qui pis est, ce jour-là n’était pas un jour comme les autres.

« Le hasard n’existe pas », comme dirait Karl Otto Schmidt. Encore moins en politique. Le monde entier attendait voir, en temps réel, comment ce que l’on considère la plus grande démocratie allait mettre fin au feuilleton de mauvais goût qui l’assombrissait, mené par l’antagoniste Donald Trump. Au Capitole, Washington DC, ce jour-là, comme le veut la tradition américaine, on s’affairait à ratifier l’élection du président élu Joe Biden, ainsi que sa vice-présidente Kamala Harris, puis le proclamer sereinement 46ᵉ président des États-Unis, qui devrait prendre ses fonctions le prochain 20 janvier. Comme le stipulent l’article II et le 12ᵉ amendement de la Constitution. 

Le président Donald Trump fait le vide autour de lui

Le président sortant, en mauvais perdant, multipliant les déclarations et les appels de « résistance » à ses inconditionnels, refuse à se déclarer vaincu. Même si les chiffres et le réalisme des faits sont têtus, démentant pour ainsi dire son mantra de victime de ce qu’il appelle l’« État profond » (« the deep State »), il continue à se barricader derrière ses fausses allégations. Incapable de porter la moindre preuve sur ce qu’il qualifie de « fraudes massives », lors des élections du 3 novembre dernier, il continue de se battre contre des moulins à vent. Il a essuyé 60 rejets devant les tribunaux, pour absence de preuves. Si bien qu’il finit par faire le vide autour de lui, chaque jour un peu plus. Ses  plus proches collaborateurs quittent le navire, l’abandonnant à son triste sort. 

William Barr, le procureur général que Donald Trump lui-même avait nommé, n’ayant pas trouvé d’indices de fraude électorale, claque la porte et démissionne en décembre de son poste en signe de protestation. Adam Kinzinger, élu républicain de l’Illinois à la Chambre des représentants, est le premier de son parti à avoir exhorté à suivre l’appel de Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre, pour le démettre en vertu du 25ᵉ amendement de la Constitution. Le jugeant « inapte » et pour « le bien de la démocratie américaine ».

Mitch McConnell, le chef des Républicains au Sénat et sénateur du Kentucky, affublé de « tacticien impitoyable », et son allié difficile – pour ne pas dire « contre-nature », deux alliés que tout sépare – depuis 2017, avertit : ne pas reconnaître la victoire de Joe Biden risquerait de précipiter la démocratie américaine « dans une spirale mortelle », lors de la ratification du résultat électoral au Sénat, le 6 janvier. Peu après les violences survenues à Washington, constatant les dégâts, il se montra défiant dans l’hémicycle : « Le Sénat américain ne se laissera pas intimider. » Son épouse, Mitch McConnell Elaine Chao, ministre des Transports depuis l’ascension de Trump au pouvoir, « troublée » par la tournure tragique des événements, remit sa démission le lendemain. Betsy Devos, ministre de l’Éducation, lui emboîte le pas. Elle fulmine dans une lettre adressée au président sortant, reproduite dans plusieurs médias : « Il est indéniable que votre rhétorique a eu un impact sur la situation, et c’est un point de bascule pour moi. » On dit que Mitch McConnell et Donald Trump ne se seraient pas parlé depuis.   

Son vice-président Mike Pence, condamnant avec vigueur les violences qui se sont produites au Capitole, prend ses distances. Même s’il ne cautionnera pas son « impeachment », le 14 janvier, craignant que la situation ne s’aggrave davantage.  Quelques heures ayant précédé le « squat » violent de la bâtisse la plus emblématique du pays, il avait laissé entendre qu’il ne s’opposerait pas à la validation des résultats électoraux, entérinant Joe Biden prochain président de la nation. Trump, voyant rouge, déclare dans un tweet : « Mike Pence n’a pas eu le courage de faire ce qu’il aurait dû faire pour protéger notre pays et notre Constitution. »

La réponse de ses inconditionnels, des milices constituées de membres des mouvements « Proud Boys », « America First », de la mouvance conspirationniste « QAnon », entre autres, se trouvant ce jour-là à l’affût aux alentours du siège du Congrès, ne se fit pas attendre. C’est l’assaut. Le New York Times rapporte comment ils couraient dans tous les sens dans les halls et vociféraient que le vice-président était un « lâche ». D’autres vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent un groupe agglutiné, aux portes du Capitole, qui scandait : « Pendez Mike Pence ! ».

Des images surréalistes qui ont fait le tour du monde, et qui resteront dans l’histoire, où l’on voit des centaines de manifestants prendre d’assaut le majestueux Capitole, escaladant les murs, des fenêtres et des portes défoncées, des policiers en civil arme au poing, des élus portants des masques à gaz, des bureaux squattés… On dénombre 5 morts, dont un agent de police. Des scènes tristes qui ternissent la réputation d’un grand pays comme les États-Unis. Très tard dans la nuit, lors d’une session extraordinaire des deux chambres du Congrès, le vice-président Mike Pence ratifie la victoire de Joe Biden. 

La très influente Fox News Channel, une chaîne câblée d’information en continu, la plus regardée aux États-Unis, connue pour son alignement de façon ostentatoire sur les politiques conservatrices des Républicains, ne serait plus en odeur de sainteté non plus. Donald Trump critique la télévision, regardée par plus de 80 millions de téléspectateurs, et qui a rendu possible son élection en 2016. Il l’accuse d’avoir changé de camp après l’élection du 3 novembre dernier. Il ne peut pas digérer qu’une chaîne très conservatrice comme Fox News, qui a toujours été à ses côtés, avant et durant son mandat, puisse lui tourner le dos en validant la victoire de Joe Biden dans l’Arizona. Et qu’elle ait silencé son attachée de presse qui protestait sans preuve.

Dès le début de décembre, Twitter, qui n’était pas en reste, mettait en garde le président, même s’il lui concédait un traitement de faveur pour son statut, contre ses messages provocateurs infondés et ses dérapages. Le 7 janvier, le cofondateur du réseau social Facebook, Mark Zuckerberg, annonce avoir banni, « pour une durée indéterminée » (Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook, dit qu’ils ne comptent pas lever de sitôt la suspension), Donald Trump de Facebook et sa filiale Instagram.

Vendredi soir, 9 janvier, Jack Dorsey, le patron de la plateforme aux 88 millions d’abonnés, met sa menace à exécution. Il le bannit de Twitter, en fermant son compte de « façon permanente ». Il dit redouter de diffuser de « nouvelles incitations à la violence ». Amazon, fait de même pour saborder le réseau conservateur et vivier de l’extrême-droite « Parler », en l’expulsant de ses serveurs. Emboîtant ainsi le pas aux mastodontes de la « hight-tech », Google et Apple, qui retirèrent de leurs plateformes de téléchargement d’applications « Parler ». John Matze, le fondateur du site, se plaint dans une interview à Fox News : « Tous nos partenaires, ceux qui gèrent les textos, les courriels, nos avocats, nous ont laissé tomber le même jour. »

Mardi 12 janvier, You Tube, filiale de Google, suspend pour « risque de violence » la chaîne du président Trump, « pour au moins sept jours ». Rick Wilson, un stratège politique américain, ancien membre du Parti républicain, cofondateur de la plateforme The Lincoln Project où s’activent des Républicains anti-Trump, pense que sans Facebook et Twitter, Donald Trump aura du mal à communiquer avec l’ensemble de ses fans. Même s’il prédit un avenir sombre pour le pays, avec un probable retour du trumpisme sous forme d’un nouveau parti¹.

On peut difficilement supporter ses sautes d’humeur, ses coups de tête, tellement il devient de plus en plus imprévisible. Voire incontrôlable, d’où les dérives de l’invasion en règle du Capitole par des centaines de ses fans de « QAnon », « Proud Boys », « America First » et MAGA (Make America Great Again), «venus des quatre coins du pays, prêts à en découdre avec les institutions. Quelqu’un qui est capable d’ameuter, la veille, les foules avec ses « I love you », « You are special »…  Et le lendemain, de condamner ces mêmes foules en se disant « scandalisé par la violence ». Et d’ajouter qu’ «il faut se calmer ».  Il parle aussi de « transition de pouvoir ordonnée et sans accrocs ». Même si, quelques heures plus tard, il fera savoir, dans un message, qu’il n’assistera pas à la prestation de serment de Joe Biden, le 20 janvier. Autant dire qu’il souffle sur le chaud et le froid. 

Porté au pouvoir par le Reality-show en 2016, contre toute attente, le grand magnat new yorkais de l’immobilier créa alors la surprise.  Les observateurs les plus avisés le connaissaient certes, mais ils ne lui donnaient pas du crédit. Ils pariaient plutôt pour Hillary Clinton, celle qui ambitionnait de briser le fameux « plafond de verre ».  « Breaking the glass ceiling », en référence à une expression américaine qui fit son apparition dans les milieux de la sociologie féministe, à la fin des années 1970*. A priori, tous les sondages, ou presque, la donnaient première femme présidente des États-Unis.

Avec le premier président noir, Barak Obama, on commençait à rêver tout éveillés d’une Amérique qui se serait apaisée et réconciliée avec ses enfants, son histoire. En laissant loin derrière les vieux démons d’un passé tumultueux. Avec une femme candidate au destin de la nation, Hillary Clinton, on rêvait de pulvériser le maudit « plafond de verre », pour faire réparation à la femme américaine, longtemps ségréguée et ravalée au rang de subalterne. Il était plus que temps qu’elle devienne l’égale de l’homme. 

Victoria Woodhull, première femme à ambitionner la présidence américaine, en 1872

Peut-être qu’on voudrait aussi, dans le même sillage, faire réparation à la mémoire de l’« hérétique » et la ô combien controversée Victoria Woodhull, pourquoi pas, celle qui fut – avec sa sœur cadette et suffragette Tennessee Celeste Claflin – première femme agent de change à la Bourse de New York, et première candidate à la magistrature suprême américaine, en 1872. La loi électorale exigeait d’avoir au moins 35 ans pour pouvoir se présenter aux élections. Victoria en avait 34. Elle décida tout de même de se présenter, aiguillonnée par ses adeptes. Elle avait comme colistier Frederick Douglass, un ancien esclave affranchi qui militait pour l’abolitionnisme. La passionaria du Gilded Age [« période dorée », après la guerre de Sécession]  prônait  l’égalité raciale, le droit de vote des femmes, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, entre autres. Et l’amour libre, pour considérer le mariage comme de l’esclavage social, ce qui était en soi un sacrilège à l’époque, dans une Amérique du XIXᵉ siècle où le puritanisme faisait encore des émules. Il fallait attendre jusqu’à 1920, soit 48 ans après, pour que la femme américaine ait le droit de voter.

Les États-Unis étaient alors le 27ᵉ pays au monde à accorder ce droit aux femmes.  Elle continuait à haranguer les foules partout où elle allait. Elle fonda, toujours avec son inséparable sœur, un journal hebdomadaire, Woodhull and Claflin’s weekly, où elle dénonçait sans ambages la morale sexuelle et les faux culs des milieux religieux, conservateurs très à droite.

Les révélations de nature à choquer l’opinion, sur les relations extraconjugales d’un pasteur très connu pour ses idées tranchées et véhémentes contre l’amour libre que professait Victoria, Henry Ward Beecher, avec la femme de son ami, furent la dernière ligne rouge à franchir. Le point de non retour. Elle se fera arrêter, avec Tennessee, pour publications  jugées obscènes, et autres prétendues affaires de mœurs, avant les élections.

Les bulletins de vote en sa faveur ne seront pas pris en compte. Frappée d’ostracisme, l’on ne saura jamais sa réelle cote populaire. En 1878, excédée par sa triste situation, elle partit en aller simple pour l’Angleterre. Où elle continuera son combat avant-gardiste. En 1892, devenue Mme Woodhull Martin, elle créa un journal, The Humanitarian, avec le concours de sa fille Zulu-Maud. Convertie au catholicisme, et avec le temps, elle modéra ses idées sur l’amour libre, entre autres. Elle décède le 10 juin 1927, à Bredon, dans le comté du Worcestershire (à l’Ouest de l’Angleterre). Si les hommes et les femmes de son époque, qui l’admiraient pour la force et le courage de ses idées, n’étaient pas à la hauteur pour l’accompagner dans son combat, l’Histoire non plus ne lui a pas épargné son ingratitude. C’est à peine si on entend parler, aujourd’hui, de Victoria Woodhull.

La candidate malheureuse Hillary Clinton face à l’outsider Donald Trump

Hillary Clinton, qui se déclare donc faussement « première femme candidate à la présidentielle américaine », obtient le quitus d’investiture de son « camp » du Parti démocrate, lors de la convention tenue à Philadelphie fin juillet 2016, en vue de la présidentielle. Mais, c’était sans compter sur l’affaire de ses e-mails fuités par Wikileaks en octobre, soit à quelques jours seulement des élections. L’affaire remonte à 2009, alors secrétaire d’État jusqu’à 2013, lorsqu’elle décide de maintenir sa boîte e-mail personnelle pour recevoir et échanger des messages qui peuvent revêtir un caractère confidentiel, au lieu d’utiliser une messagerie du département de l’État, comme le veut la loi. Le 4 mars 2015, un article paru dans The New York Times éventa l’affaire. C’est là que tout a commencé. La descente aux enfers d’une candidate malheureuse. Puis, il y eut la faconde d’un candidat atypique qui surgit pour ainsi dire de nulle part, d’un personnage difficilement classable politiquement. Un candidat qui axa son discours sur l’insulte et le mensonge, en jetant le discrédit sur ses adversaires politiques. Un candidat qui promettait des solutions faciles aux problèmes complexes, tels le protectionnisme et le repli sur soi dans un monde de plus en plus interactif. Abandonnant les alliés traditionnels des États-Unis, rompant avec les engagements passés, rejetant le multilatéralisme… Rompant avec tous les canons traditionnels, Donald Trump, en candidat hurluberlu et outsider, parlait d’en finir avec  le même  « système » qui allait faire de lui le  45ᵉ président des États-Unis. Au soir du 8 novembre 2016, jour de l’élection, alors que le décompte n’avait pas encore terminé, mais le donnant déjà gagnant, il s’impatiente et déclare : « En plus d’une victoire écrasante au sein du collège électoral (des grands électeurs), j’ai gagné le vote populaire si vous déduisez les millions de gens qui ont voté illégalement. » Même s’il avait obtenu 304 grands électeurs contre 227, Hillary Clinton le devançait en réalité de 2,1 point (presque 3 millions de voix) en suffrages populaires, soit de 48% des voix contre 46,09%.

Le butinage politique de Donald Trump

L’homme d’affaires new-yorkais avait fait ses premiers pas dans le monde politique, dans les années 1980, en surfant sur la vague tantôt du Parti démocrate, tantôt du Parti républicain, ou sur celle du Parti de la réforme (Reform Party of the United States of America). Ce dernier fut fondé par le milliardaire texan Ross Perot, en 1995, qui renvoyait les deux partis traditionnels dos à dos (« refer the parties back to back »). Les jugeant corrompus, il considérait le microcosme politique d’alors en général à l’origine du désenchantement de l’Américain lambda, au sujet de la chose politique. En plus d’avoir  toujours surfé sur la vague, au gré de ses intérêts du moment, changeant allègrement de parti, Donald Trump usait aussi de son statut de nanti pour se projeter sur une autre rampe de lancement qu’est la Télévérité ou le Reality-show. Jusqu’à récemment encore, de 2004 à 2015, il animait la non moins célèbre émission The Apprentice, diffusée sur la chaîne câblée NBC. 

En décembre 2011, Trump quitte le Parti républicain (the GOP, Grand Old Party), après maintes tergiversations sur son intention de se lancer dans la course présidentielle de novembre 2012, pour se présenter en indépendant, évitant ainsi le filtre des primaires républicaines.

Connu pour sa hargne anti-Obama, il déclarait, huit mois auparavant, dans une interview au Wall Street Journal : «Je hais ce qui arrive à notre pays, Obama fait un boulot terrible». Il ajouta : « Notre pays est mis à mal et a besoin d’aide […]. Moi, je suis très bon en politique étrangère et je suis un excellent homme d’affaires. » Poussant le narcissisme à son paroxysme, il asséna déjà dans le même journal, en septembre 1999 : « America needs a President like me [les États-Unis ont besoin d’un président comme moi]. »² Affaibli par sa polémique sur le président Obama, mettant en doute sa nationalité américaine, il n’ira pas au bout de sa candidature en indépendant. Il retourna au Parti républicain et apporta son soutien au candidat malheureux Mitt Romney, du Parti républicain. Ce dernier, en pleines primaires de 2016, le traitera d’« escroc », de « malhonnête et misogyne ». Il appellera les autres républicains à faire bloc contre sa candidature. Anti-Trump, il déclara : « Je ne veux pas d’un président des États-Unis qui dise des choses qui changent la nature des générations d’Américains à venir […] Les présidents ont un impact sur la nature de notre nation et diffuser le racisme, l’intolérance et la misogynie, toutes ces choses sont extraordinairement dangereuses pour l’âme et la nature de l’Amérique. »³ 

Dans le même sillage, George Will, un célèbre éditorialiste du Washington Post et conservateur, claque la porte du Parti républicain, disant ne plus s’y reconnaître : « This is not my party » [« Ce n’est plus mon parti »]⁴. Le prix Pulitzer, passé dorénavant dans les listes électorales comme « sans affiliation », exhortait les Républicains à ne pas voter pour lui. Pire, il lui préférerait de loin la candidate démocrate, Hillary Clinton, même si pour cela il fallait « serrer les dents » en attendant les prochaines élections. «Sauvez votre parti, ne donnez pas [d’argent] à Trump», érira-t-il dans le The Washington Post⁵. Le même Mitt Romney, le 7 novembre 2020, sénateur républicain de l’Utah, est le premier de son parti à féliciter dans un tweet Joe Biden et Kamala Harris : « Ann et moi adressons nos félicitations au président élu Joe Biden et à la vice-présidente élue Kamala Harris. Nous les connaissons tous les deux comme des personnes de bonne volonté et de caractère admirable. Nous prions pour que Dieu les bénisse dans les jours et les années à venir. »⁶ 

Le trumpisme a la peau dure

Ce qu’il s’est passé le 6 janvier, au Capitole, n’était pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Les événements fâcheux et graves, en ayant découlé, doivent interpeler tous les acteurs politiques en premiers. Et toute la société ensuite, pour une profonde réflexion pourquoi cela a été rendu possible, et agir en conséquence. L’heure est au diagnostique et au bilan de l’état des institutions du pays. Le trumpisme a fait plus de mal qu’on ne le pense. Il a surtout creusé les divisions, déjà existantes dans la société américaine, en réveillant les vieux démons de « racialisation » et de stigmatisation que l’on croyait appartenir au passé. Il laisse un Parti républicain plus divisé que jamais, infiltré par des individus aux tendances complotistes, en proie à un schisme qui le mine de l’intérieur. Soit le « GOP » des Républicains se ressaisit et reprend le contrôle pour en finir avec l’ogre du trumpisme, soit ce dernier finira par le phagocyter. Dans un autre cas de figure, comme le prédit le stratège politique, en ancien Républicain, Rick Wilson, il est à craindre une irruption « trumpiste » sous forme d’un nouveau parti aux relents tyranniques. 

Le trumpisme ne sera pas prêt de s’estomper avec la fin du mandat de Donald Trump à la Maison-Blanche. Un peu plus de 74 millions d’Américains ont voté pour lui, pour autant ils ne vont pas disparaître du jour au lendemain de l’échiquier politique du pays, comme si de rien n’était. 2 à 3 tiers de ses votants continuent à croire qu’il y a eu vraiment des fraudes massives, et que leur leader a été privé de sa victoire, même s’ils sont incapables de démontrer quoi que ce soit de ce qu’ils avancent. Même s’ils sont déboutés 60 fois, dans leurs recours, devant les tribunaux, pour absence de preuves. Même si la différence séparant Donald Trump de l’élu Joe Biden est de 7 millions, est sans appel. Ils trouveront toujours à redire.

Leur gourou n’a pas attendu le 3 novembre 2020 pour voir le loup dans la bergerie. Déjà en 2012, Barack Obama étant réélu avec 51,06% des voix contre 47,2% pour Mitt Romney, Donald Trump s’enflamme dans ses tweets : « Cette élection est une imposture et une mascarade. Nous ne sommes pas une démocratie ! » En 2016, lors des primaires républicaines, il s’en prend à son adversaire du parti, Ted Cruz, de n’avoir pas été clean après sa victoire dans l’Iowa. Il accuse le Parti républicain de vouloir bloquer sa nomination. Il parle de « règles truquées ». Puis, en candidat républicain, face à Hillary Clinton, il se plaint des démocrates qui voudraient « voler » la présidentielle. Il prévient sur Fox News : « Croyez-moi, il faudra qu’on fasse attention le 8 novembre, car cette élection sera truquée. »⁷ Puis, sur Twitter, il anime ses partisans à surveiller « certaines zones », spécialement les quartiers noirs d’obédience démocrate, pour textuellement : « empêcher Hillary la crapule de truquer cette élection ! » Le 20 octobre 2016, lors du dernier débat électoral télévisé, questionné sur son engagement à accepter les résultats des élections, il surprend les téléspectateurs avec sa réponse : « Je verrai à ce moment-là ». 

La mouvence de « QAnon », qui a poussé à l’ombre du trumpisme, continue à faire des ravages avec ses théories complotistes, jusqu’à faire de ses adeptes des écervelés et des radicalisés qui cultivent une vision messianique sur la personne du rédempteur Donald Trump. Un président qui part en croisade contre l’« État profond », le système et les élites de son pays, laissant la vie politique et la diplomatie américaines sens dessus dessous.

D’autres mouvements tels MAGA (Make America Great Again), Proud Boys, America First, alt-right et Boogaloo, ne sont pas non plus pour rassurer dans un pays où le nombre d’armes dépasse celui des citoyens. Concours de circonstances, la pandémie du Covid-19 qui bouleverse le monde, depuis un an, apporte aussi de l’eau au moulin des conspirationnistes de tous bords. Le trumpisme, dilué dans les théories du complot, déborde les frontières américaines pour étendre ses tentacules un peu partout dans le monde, où le populisme fait des émules. Dans un monde de plus en plus globalisé, nul pays ne peut prétendre être à l’abri d’une probable pandémie, dont les répercussions seraient incalculables, idéologiques cette fois-ci. 

Toutefois, il y a lieu de souligner que parmi les « trumpistes », il existe aussi une frange considérable de la population américaine qui se sent, depuis des années, abandonnée face à la mondialisation et ses retombées. Peut-être que l’espoir et un début de solution se trouveraient de ce côté-là. Tout n’est pas perdu, même si le trumpisme a la peau dure. La démocratie et les institutions américaines sauront retrouver leurs marques et reprendre ainsi le dessus sur le populisme.

Mohamed Ziane-Khodja

Notes :

*Carol Hymowitz et Timothy D. Schellhardt ont été les premières à avoir utilisé le terme «plafond de verre» dans leur article du 24 mars 1986, dans The Wall Street Journal : «The glass ceiling : why women can’t seem to break the invisible barrier that blocks them from the top jobs» [«Le plafond de verre: pourquoi les femmes ne semblent pas pouvoir briser la barrière invisible qui les empêcheraient d’accéder à des postes d’emploi plus élevés. »]

**Hillary Clinton, le 9 novembre, dans son discours de félicitation à Donald Trump pour sa victoire, au lendemain des élections 2016. Elle s’adressait à ses partisans : « Je sais à quel point vous êtes déçus, je le suis aussi. Comme des millions d’Américains qui ont projeté leurs espoirs et leurs rêves dans cette élection. C’est douloureux, ça le sera pour très longtemps, mais je veux que vous vous souvenez d’une chose : le sujet de notre campagne n’était pas l’avenir d’une personne, mais bien le pays que nous aimons. »

Références :

  1. Rick Wilson on Republicans after Trump: I’m worried about « more competent » version, DW (Deutsche Welle), 23 décembre 2020

  2. Donald Trump, « America needs a President like me », The Wall Street Journal, 30 September 1999

  3. Mitt Romney ne votera ni Trump ni Clinton, 24heures, 11 juin 2016

  4. « This is not my Party »  : George Will goes from GOP to unaffiliated, PJMedia, 24 juin 2016 

  5. « Republicans: Save your party, don’t give to Trump », The Washington Post, 22 juin 2016

  6. Message de Mitt Romney, sénateur républicain de l’Utah, rapporté par les principaux médias américains, le 7 novembre 2020.

  7.  « Croyez-moi, il faudra qu’on fasse attention le 8 novembre, car cette élection sera truquée », prévient-il sur Fox News, le 1er août 2016

Auteur
 Mohamed Ziane-Khodja

 




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