La sortie d’Abdelmadjid Tebboune sur la place accordée à l’opposition dans les médias publics a marqué les esprits. Interrogé, lors de sa rencontre périodique avec la presse nationale, sur les critiques d’exclusion et de fermeture du champ médiatique, le chef de l’Etat a eu une réplique étonnante.
Ne cachant pas son agacement, il a lancé : « Je ne comprends pas. La télévision nationale est ouverte à tout le monde, mais si le directeur de la télévision estime que le passage d’un invité ne génère pas d’audience, on ne peut pas l’y contraindre. Dans ce cas, le procédé ne serait pas démocratique. Il n’y a exclusion que lorsque quelqu’un recourt à l’invective ou à l’insulte. Ces comportements ne contribuent ni à la construction de l’État ni à celle de la démocratie. Nous ne sommes pas opposés aux observations ni aux critiques objectives. »
Cette justification, qui laisse la responsabilité de la pluralité aux seuls responsables de rédaction, suscite de vifs commentaires dans un contexte où de nombreux opposants dénoncent leur marginalisation dans l’espace audiovisuel national.
Selon plusieurs observateurs, cette réponse laisse perplexe et contraste fortement avec la réalité. Ils estiment que la présidence, via sa direction de la communication, exerce un contrôle étroit sur l’ensemble de l’écosystème médiatique national, allant même jusqu’à lancer une véritable « OPA » sur l’espace numérique . Une opération destinée à mobiliser une armée d’influenceurs au service de la communication officielle.
Ainsi, estiment ces analystes, Abdelmadjid Tebboune s’illustre une nouvelle fois dans l’art du « mentir vrai » : l’usage d’une rhétorique qui, en travistissant la réalité, donne l’illusion d’une situation plus ouverte qu’elle ne l’est. Le paradoxe est d’autant plus frappant que le chef de l’État a déjà été accusé, à plusieurs reprises, de présenter des chiffres approximatifs ou de s’aventurer dans des déclarations difficilement vérifiables, soit par calcul politique, soit par méconnaissance des dossiers.
Un programme économique et politique chargé
Au-delà de ce passage controversé, le chef de l’État a présenté un large programme de réformes. Il a indiqué avoir passé ses 18 jours de congé d’été en Algérie – un aveu tardif qui a surpris plus d’un, nombre de citoyens s’étant interrogés sur l’absence d’annonce officielle. Le chef de l’Etat n’a d’ailleurs pas expliqué cette discrétion, alors qu’entre-temps la chute accidentelle d’un bus de transport de voyageurs dans le lit de l’oued El Harrach avait provoqué une tragédie humaine qui, aux yeux de l’opinion, aurait justifié une présence physique, même via la télévision, de sa part.
Par ailleurs , il annoncera que près de 470 000 Algériens ont voyagé à l’étranger, générant une dépense estimée à 400 millions d’euros. Une annonce difficile à vérifier au demeurant, comme la plupart des chiffres lancés à l’emporte-pièce par le chef de l’Etat.
Sur le Mali, Tebboune a égratigné ce pays et la Russie auquelle il reproche d’armer des pays qui ont « besoin surtout de pain ».
Sur le plan économique, il a fixé l’achèvement de la numérisation de l’administration avant la fin de l’année, promettant des mesures « radicales » en cas de retard. Il a dénoncé une « résistance acharnée » à la généralisation du paiement électronique, la qualifiant de « bataille politique » entre « un État organisé et des réseaux parallèles ». Des augmentations de revenus pour étudiants, chômeurs et retraités sont prévues dès 2026, avec une poursuite en 2027. Abdelmadjid Tebboune a également annoncé une rencontre prochaine avec les opérateurs économiques pour concrétiser les engagements algériens dans le commerce intra-africain.
Gouvernance et processus électoral
À l’approche des législatives, Abdelmadjid Tebboune a réaffirmé son engagement en faveur d’élections « démocratiques », insistant sur la séparation entre argent et politique et menaçant de sanctionner les acheteurs de signatures. Il a également souligné la nécessité d’un dialogue institutionnel ou populaire avant toute réforme de la loi sur les partis.
Diplomatie et action gouvernementale
Saluant le travail de la diplomatie algérienne, le président a annoncé l’attribution de l’ordre du mérite à l’ambassadeur auprès des Nations unies, Amar Benjama. Il a défendu ses choix de nominations, qualifiant le Premier ministre Sifi Ghrieb d’« homme de terrain », plaidant pour une agriculture modernisée et une plus grande participation des femmes, tout en jugeant insuffisant le nombre actuel de neuf ministres.
Société et consommation
Enfin, Tebboune a noté l’attrait des jeunes pour les marques étrangères, appelant à leur disponibilité locale à des prix abordables pour stimuler la consommation et limiter la fuite de devises.
En centrant son intervention sur des réformes économiques et institutionnelles, tout en minimisant les critiques sur la place de l’opposition dans les médias, le président algérien relance le débat sur le pluralisme et la liberté d’expression dans le champ audiovisuel national.
Samia Naït Iqbal