« L’humanité n’est pas un état à subir. C’est une dignité à conquérir.” Vercors
Le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Sammy Mahdi, a retiré le 5 octobre 2021 le titre de séjour de Mohamed Toujgani, imam en chef de la mosquée Al Khalil de Molenbeek, la plus grande mosquée belge en termes de fréquentation. Selon Sammy Mahdi, les informations des services de sécurité montrent que Mohamed Toujgani, qui vit en Belgique depuis 40 ans, constitue une menace sérieuse pour la sécurité nationale à cause de l’extrémisme de ses propos. De plus, il est soupçonné d’espionnage.
Cette expulsion a suscité l’incrédulité parmi les musulmans bruxellois. Lors de mon immersion parmi eux, les fidèles de la mosquée El Khalil que j’ai rencontrés m’ont soutenu précisément le contraire, que leur imam était un bon citoyen qui recherchait constamment le dialogue avec les autres communautés religieuses, un homme avec un sens de l’humour qui a toujours défendu la coexistence et la tolérance.
Pourquoi donc ce discours ne m’a-t-il pas étonné une seule minute ? Je l’attendais, je pouvais même l’écrire avant qu’il ne me soit débité.
Bien sûr, il y avait sa fameuse déclaration que chaque Bruxellois connaît lorsqu’il a appelé à brûler les juifs, mais il s’était abondamment excusé pour cela. Ce n’était qu’un « lapsus », bien évidemment. Le problème pour lui, c’est que la Sécurité de l’État belge a pris ces mots très au sérieux. Et les services belges se sont retrouvés face à un coup de pouce inattendu : Mohamed Toujgani, après des décennies de résidence à Bruxelles, a décidé de déposer une demande de naturalisation fin 2019 auprès de la commune de Molenbeek. Le jugement du tribunal de première instance francophone du 1er octobre 2021 devait décider si Mohamed Toujgani pouvait devenir belge mais le procureur du Roi a donné un avis négatif.
Dans cet arrêt, le ministère public cite abondamment la Sûreté de l’État. Il dit, entre autres, que les sermons publics de l’imam sont le plus souvent modérés lors des prêches du vendredi, mais qu’il continue à répandre des opinions extrémistes dans un petit cercle.
Il a également eu des contacts avec des personnalités extrémistes, dont le prédicateur haineux de Londres, Abu Qatada, qui a des liens avec Al-Qaïda, et avec Mohamed Fizazi, qui a été emprisonné pendant 30 ans (mais gracié plus tard) pour les attentats de Casablanca, ainsi qu’avec Abu Ishaq Al Huwayni, l’imam égyptien dont le gouvernement d’Al Sissi a demandé à retirer de toutes les mosquées du pays tous les écrits de ce chef de file des salafistes. Il est surtout connu pour sa défense des marchés aux esclaves.
Les idées totalement obscurantistes de l’ancien imam de la mosquée de Molenbeek ont également fait friser des poils. Selon la Sûreté de l’État, en 2000, il a déclaré à une station de radio communautaire qu’il n’approuvait pas le projet des institutions marocaines d’augmenter l’âge du mariage des jeunes filles à dix-huit ans – certaines filles sont sexuellement matures dès l’âge de neuf ans, a-t-il objecté – et il a plaidé pour la polygamie.
L’imam est lui-même marié avec deux femmes. Avec la première, il a conçu sept enfants et il est père de quatre autres avec la deuxième. Ne serait-ce que pour cette raison, il aurait dû avoir la sagesse de ne pas déposer sa demande d’obtention de la nationalité belge puisque de toutes les façons, elle lui aurait été refusée à ce titre.
En outre, cet imam ne parle ni le néerlandais ni le français, les deux langues du pays, ce qui est l’une des conditions pour obtenir la nationalité belge. Dans la même optique, il considère les élections comme illicites parce que les musulmans européens qui votent collaborent à mettre en place des gouvernements d’athées ou d’incroyants.
Les services de renseignements de l’État belge ont signalé également une possibilité d’espionnage. Mohamed Toujgani espionnerait les Marocains de Belgique. Il avait tenté aussi de prendre le contrôle de l’islam belge. Il a pu le faire en tant que président de la Ligue des imams marocains de Belgique et membre du conseil des théologiens qui forme les imams. Enfin, lui-même aurait semé la haine contre les chiites, les juifs et les occidentaux.
« La vidéo de 2009 dans laquelle il appelait à brûler les juifs ne faisait pas exception », déclare la Sûreté de l’État. À titre d’exemple, ils citent un sermon de 1988 dans lequel il décrit comment la trahison, la jalousie et l’hypocrisie sont des sentiments exclusivement juifs. En 2004, il aurait dit que les Juifs sont en fait une insulte à Dieu.
Mohamed Toujgani lui-même, face à ses détracteurs, a nié avoir approuvé l’interprétation salafiste et radicale de l’islam et a déclaré n’avoir eu aucun contact avec le milieu djihadiste. Résultat, le titre de séjour a été retiré à l’imam et il a été expulsé avec interdiction d’entrer sur le territoire belge pendant dix ans. La seule question qui vaille la peine que je me pose, c’est pourquoi, avec de tels comportements et de telles déclarations, cet apôtre sectaire de la haine n’a pas été jugé pour ses paroles et pour ses agissements.
Kamel Bencheikh