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Faites-les taire, Monsieur Louber (*) !

TRIBUNE

Faites-les taire, Monsieur Louber (*) !

Aux exégètes amateurs qui comblent leurs lacunes par des préjugés et à ceux de mauvaise foi pour qui le soupçon tient lieu de raisonnement, il faut opposer une analyse dépassionnée du droit (J.-Jacques Urvas) 

Le président Tebboune a mis en garde contre «tout dépassement sous le couvert de la liberté d’expression ». Il a instruit, dans ce sens, les départements ministériels concernés à l’effet de « lutter quotidiennement contre les campagnes de désinformation, par la diffusion de données scientifiques de manière intégrale sur l’évolution de la propagation de la pandémie, en y associant des spécialistes et des experts dans l’opération de sensibilisation, afin de rassurer les citoyens».

Tout se passe en effet comme si les télévisions, surtout privées, se mettaient en devoir, en ces temps de crise sanitaire, d’inviter « au pied levé », une ribambelle d’ « experts », « docteurs de la foi » et autres « stratèges sanitaires ». Ils sont sur tous les plateaux télé en ces temps de Covid-19. Ils sont à la fois incontournables et… horripilants !

Tout le monde l’aura remarqué, des hommes plutôt que des femmes, censés, soi-disant, apporter au large public leur savoir et leur décodage des évènements.

Mais, au fond comment les médias audiovisuels sélectionnent-ils leurs experts ?

 On sait peu de choses sur ces «bons clients », inscrits sur les tablettes des présentateurs télé ; choisis sur une short liste.  Dès que survient le moindre événement sur la scène politique,économique ou sociale, généralement gonflé à escient par certains animateurs des télévisions privées, on a le droit à tous les pseudo-connaisseurs du sujet . Et fatalement, les chaînes en question, nous ressortent « ad nauseam » les mêmes experts prémâchés et prédigérés qui pullulent, dans les formations politiques, les universités, les institutions publiques et les syndicats, sans originalité ni épaisseur. 

Et souvent ignorant tout de la thématique dont ils parlent en direct live ! 

Pour les responsables des émissions de débats, indiquait quelqu’un au fait du sujet, faire appel à ce type d’expert, habitué des plateaux c’est s’éviter par exemple de lui recommander qu’il devra arriver à temps pour passer par la loge maquillage ; c’est aussi lui rappeler qu’il doit bien se tenir, ne pas ronger ses ongles ou tapoter son micro cravate. S’il en a une de cravate déjà ! 

Quand est-ce qu’ils apparaissent, ces experts de l’expertise ?

Une grève dans le secteur de l’éducation ? Dans les hôpitaux ? Un fait divers ? Le Covid-19 ?  Allumez une des télévisions privées et vous les verrez rappliquer. Toujours les mêmes. Compétents, peut-être, mais de là à ce qu’ils soient les seuls à commenter l’événement, c’est à voir ! 

A propos justement du Coronavirus, un astrophysicien de formation,Loth Bonatiro, ex-candidat à la présidence, connu pour ses théories sur la planète Terre et les séismes, pour le moins bizarres a affirmé  avoir trouvé le remède contre le Covid-19 ! Cela nous rappelle à bien des égards l’épisode tragi-comique du charlatan Zaibet, avec son produit RHB (rahmat rabbi), un faux médicament censé combattre le diabète, mis anarchiquement sur le marché avec la complicité bienveillante du ministre de la santé d’alors ; pour mémoire, rappelons que Bonatero et Zaïbet ont fait la promotion de leur « invention »  sur le plateau télé d’Echourouk news !

Pourquoi certains ont-ils la faveur des émissions ? Tandis que d’autres «ne passent pas » ?

A croire qu’être expert à la télé est devenu presque une profession trustée par une poignée de personnes. Un journaliste qui s’est penché sur la question a accusé les animateurs de se « repasser » ce type d’expert ou de consultant, avec le risque de les entendre ressasser ce qu’ils ont eu à dire sur des précédents plateaux de radio ou de télévision. Il y a aussi les routines journalistiques, la paresse intellectuelle et les réseaux affinitaires qui se nouent entre les journalistes et les experts, qui expliquent, pour partie, la défection des téléspectateurs.  Comment ces experts se servent-ils des médias qui les asservissent ? Qui utilise qui, en définitive ?

En définitive, dans l’urgence, la capacité des intervenants à meubler, importe plus que leur expertise ! 

Qui sont-ils ces «sachants » ? 

Dans notre pays, cela concerne quelques professeurs d’université ou du moins une petite minorité d’entre eux, en quête de «starisation». 

Et aussi quelques hommes politiques et ces derniers temps, des professeurs d’universités à vous en donner le tournis ! Ces gens là veulent à tout prix passer à la télé, parler à la radio et se faire appeler «khabir», «moukhtass fi echououne kada oua kada» ou «bahit acadimi», c’est-à-dire expert, en tout et en rien, en somme. Ou appellation suprême « Douktour » ! Des experts de salon, disons-le sans ambages, loin de la réalité et qui se font passer pour des stratèges aux lieux et places des compétences avérées, celles qui ont côtoyé le monde extérieur et acquis ainsi, de solides connaissances et des expériences potentielles bénéfiques. Défenseurs de portes ouvertes, adeptes de la langue de bois, ces aspirants-experts-économistes-politologues, en herbe, ne manquent pas d’air, si l’on en juge par leur niveau d’audace.

 Alors qu’ils n’ont pas vocation à le faire, ils n’hésitent jamais à donner leur avis, franco de port, face à la caméra, ou pour peu qu’on leur tende un micro. Généralement, ils manquent d’informations les plus élémentaires et les plus utiles à l’élaboration d’une vision claire des sujets qu’ils abordent. Ils ne disposent d’aucun élément pour en faire l’évaluation. Qu’à cela ne tienne, nos experts traitent tous les sujets, de manière désinvolte, avec cette facilité déconcertante qui sied aux ingénus !

Il arrive souvent à ces experts de jouer de leur « expertise » pour surmonter leur frustration, régler des comptes et aussi et surtout faire passer leur opinion politique ! Parmi eux, il y a également ceux qui développent un commentaire teinté de chauvinisme étroit et se disent nationalistes ; d’autres, estampillés idéologiquement, n’hésitent pas à défendre des thèses portées par des islamistes notamment, quand il s’agit d’évoquer le sujet de la condition féminine. Tel que distillé, leur avis et c’est là que réside le danger, peut être perçu comme le sentiment prédominant dans notre pays voire même, comme la position officielle. 

A ce sujet, gardons toujours à l’esprit, que ces gens là, heureusement minoritaires, interviennent souvent en direct sur les ondes radios et les canaux de télévisions étrangères, et l’impact de ce qu’ils avancent, comme analyses, affirmations, fake news, ou éléments de langage redondants, se paye cash. D’ailleurs beaucoup de chaînes satellitaires s’arrachent ces experts de pacotille, dans l’espoir de faire du «buzz», au détriment de l’Algérie.  Au diable donc, la vérité ou la fiabilité des faits ou des chiffres avancés, ce qui importe pour ces médias, c’est leur intérêt et celui de leurs sponsors.    

La nature a horreur du vide

Ces experts n’occupent-ils pas le vide laissé en la matière, par ceux qui sont censés prendre en charge la communication, qu’elle soit officielle ou qu’elle participe de l’avis intellectuel et/ou scientifique ? 

C’est aussi une bonne question. Ces gens-là cherchent en fait à se distinguer par une posture différente, mais néanmoins «intéressée», de l’ensemble des professeurs, pour évoquer cette catégorie de personnes, beaucoup plus préoccupés par le suivi de leurs chaires et l’avenir de leurs étudiants. Ces derniers d’ailleurs ne se sont pas trompés pour dire, avec beaucoup de retenue, que ces « professeurs-experts » gagneraient à se limiter à enseigner, plus ou moins correctement, le module pour lequel ils sont payés. Car, ce que l’on a retenu de leurs interventions passées, outre la langue de bois, c’est l’indigence du discours développé, tenant de la discussion de bureau ou du café de commerce, entre potes et collègues, où les mots fusent comme une logorrhée. 

Des éléments de langage, éculés, redondants, galvaudés, qui ne font pas avancer le «schmilblick», en quelque sorte ! 

Quels sont leurs objectifs ? 

Tout d’abord, pourquoi persistent-ils alors à faire des interventions très minimalistes, comme celles que font les personnes à court d’idées ?  Pour ensuite, se confondre en conjectures sur des thèmes divers, sans éléments en main, pour en faire l’évaluation ? Ou, plus grave encore parler de choix stratégiques et sécuritaires, indûment ?

C’est pour sortir de leur anonymat, apparaitre à la télévision, épater leur famille et accessoirement se manifester auprès «de qui de droit», sait-on jamais, en cette période précisément où Abdelmadjid Tebboune s’emploie à renouveler  le personnel institutionnel du pays !    

Et la qualité de leur expertise se retrouve donc, clairement mise en cause !

Rappelons que certains syndicalistes ont pu ainsi, à force d’apparaitre à la télévision et revendiquer tout et n’importe quoi, se faire un nom et en définitive « se faire élire » à l’APN. D’autres,  experts de plateaux ont pu ainsi intégrer le gouvernement.

L’intervention de ces experts se fait-elle à titre onéreux ? 
 

Perçoivent-ils des jetons ? Sont-ils mandatés pour intervenir en cette qualité ? Et par qui éventuellement ? Sont-ils connus par leurs publications ou des livres qu’ils auraient écrits et qui les conforteraient dans ce statut d’expert ? Engagent-ils directement ou indirectement l’université dont ils dépendent, ou les formations politiques dont ils relèvent ou les institutions publiques où ils émargent ? 

Les experts à l’exception des consultants agréés viennent en général dispenser leur savoir gracieusement. Certains ne sont pas désintéressés pour autant s’ils venaient à faire la promotion de leur dernier livre. Ce qui arrive rarement chez nous ! Aux avocats, médecins et autres professions libérales, le label « vu à la télé » permet de rabattre des clients. Aux autres, l’exposition de leur personne peut booster leur carrière. 

L’autre motivation, au contraire, est nombriliste selon les spécialistes qui précisent que « se faire voir à la télévision est un plaisir narcissique dont il ne faut pas avoir honte à condition d’en être conscient pour ne pas s’égarer » ! 
Pour en finir avec ce sujet, citant ce réalisateur de télévision qui, pour justifier la présence d’un politologue souvent invité sur les plateaux-télé a dit de lui qu’outre ses connaissances avérées, il a aussi une qualité rare : « il se tait quand il n’a rien à dire » ! 

Et aussi cette blague qui court sur les experts et autres stratèges catholiques : Ce sont des gens qui en connaissent énormément sur très peu de choses, et continuent à apprendre de plus en plus, et de moins en moins de choses.

Les avocats sont des gens qui en savent très peu sur beaucoup de choses, et continuent à apprendre de moins en moins sur de plus en plus de choses jusqu’au moment où ils savent pratiquement rien sur à peu près tout. Les juges sont des gens qui, au départ, savent à peu près tout ou presque sur toutes les choses, mais en raison de leur promiscuité avec les avocats et les experts, ils finissent par ne plus rien savoir sur rien !

Ras-le-bol de ces gens-là !  Et Mohamed Louber qui a été choisit  par le président Tebboune pour mettre de l’ordre dans le chaos de l’audiovisuel notamment doit intervenir pour rappeler les règles du jeu afin d’éviter les « dérives ayant caractérisé récemment certaines fatwas cathodiques via certaines chaînes satellitaires ».  

Ceci appellera chacun à prendre ses responsabilités et peut-être, à rendre compte !

Cheirf Ali

(*)M. Mohamed Louber est le président de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV)

    

Auteur
Cherif Ali

 




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