24 avril 2024
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Farid Ali : « A yemma ɛzizen ur- ţru » pour 15 DA de droits d’auteur !

Impérieuse culture du terroir 

Farid Ali : « A yemma ɛzizen ur- ţru » pour 15 DA de droits d’auteur !

Il est grand temps d’extraire nos artistes de l’oubli, de leur rendre des hommages à la mesure de leurs statures de géants et du patrimoine qu’ils nous ont légué. Surtout les révolutionnaires dans la peau comme Farid Ali.

Ce combattant de la première heure victime d’un cynisme poussé à son paroxysme par le pouvoir d’Alger, en octroyant à son fils des droits d’auteur qui s’élèvent à… 15.50 DA ! L’auteur de l’inoubliable « A yemma ɛzizen ur ţru » a dû, et doit encore, se retourner dans sa tombe pour telle félonie.

Véritable chant révolutionnaire, cette chanson remplissait le ciel du quartier Bab-Azzoun à Alger, dès les premiers jours d’indépendance. Le bonheur d’une liberté retrouvée y était partout associé…Jusqu’à ce que les envahisseurs des frontières débarquent et qu’elle soit interdite d’antenne. Ses échos remplacés par d’autres chants que personne ne comprenait ! Voilà comment a commencé la confiscation de tout ce qui nous rattachait au terroir et de tout ce qui transpirait l’authenticité du combat pour la liberté.

Farid Ali (Khelifi Ali de son vrai nom) est né à Ikhelfounène dans la commune de Bounouh, en 1920. En 1935, Il quitte son village pour Alger où il exerce le métier de… cordonnier, avant d’embarquer très vite pour la France.

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Au bout de quelques années, il rentre au pays pour retrouver ses amis révolutionnaires, comme Krim Belkacem.

Arrêté en 1956 par l’armée coloniale, pour ses activités « subversives », Farid Ali endure les pires tortures pendant sa détention.

Farid était membre de l’OS. À sa libération, en 1957, il rejoint la troupe artistique du FLN et contribue à faire connaître la cause algérienne à travers le monde, voyageant dans plusieurs pays, comme la Tunisie et la Chine. Encouragé par des sommités diverses, telles que   Mohamed El Kamal, Mohamed Jamoussi et, plus tard, Amraoui Missoum, Farid  Ali s’est dédié à la musique à la fin des années 1940. Son titre Ayemma ɛzizen ur ţsru est composé par Mustapha Sahnoun. Ses succès comprennent aussi d’autres titres militants tels Afus d gwfus et Abrid-ik yerwan awi-t. 

À l’Indépendance, il fut grand sympathisant de l’académie berbère à Paris. Il fut emprisonné à Berrouaghia par Ben-Bella et ses acolytes, de 1963 à 1965. Il fut gracié par Houari Boumediene avec d’autres prisonniers politiques. Après avoir géré un Café à Alger, il repart pour la France dès 1966 où il sympathise avec les membres fondateurs de l’académie berbère : Mohammed Arav Bessaoud, Taos Amrouche et Mohand Saïd Hanouz, parmi d’autres.

Il aida de nombreux chanteurs à sortir de l’anonymat, à travers l’émission radio qu’il anima sur les ondes de la Chaîne 2. En guise d’unique reconnaissance, Chadli Bendjedid lui décerne, à titre posthume, la distinction du mérite en 1987.

Mais il tomba dans l’oubli, à tel point qu’en 1995, le pouvoir d’Alger poussa le cynisme de sa générosité jusqu’à oser octroyer 15.50 DA de droits d’auteur à son fils pour la diffusion de ses chansons à la radio.

Il n’y a qu’Arezki, son héritier, qui tente de défendre sa mémoire. Le nom est certes célèbre mais son œuvre demeure encore à dépoussiérer. Une seule chanson, « A yemma ɛzizen ur ttru » a été sauvée de l’oubli grâce à Lounès Matoub, qui l’a reprise avec des textes explicites dans son album de 1992. Farid Ali dénonçait le colonialisme, Lounès Matoub y vilipendait les défenseurs de l’idéologie arabo-islamique. « Matoub a eu l’honnêteté de préciser sur la jaquette que l’auteur de la composition musicale était Farid Ali », indique le fils de l’artiste qui résidait, à l’époque, dans une cité populaire à Reghaia. Ce qui révoltait Arezki, c’est l’absence de considération à l’égard de son père, au moment où pratiquement tous les grands chanteurs, y compris Matoub, ont été réhabilités. 

Est-ce un simple oubli ou s’agit-il d’un acte délibéré ? Le fils n’en sait rien. Il sait seulement que déjà du vivant du père, celui-ci avait été arrêté en 1963 parce qu’il avait pris part à la révolte du FFS. 

Pour l’anecdote, quand Arezki se rend à Alger pour tenter de récupérer la distinction, pourtant attribuée par Chadli himself, on lui exige la fameuse attestation communale pour prouver que son papa avait effectivement été maquisard. 

Le fils s’étonne du fait que son père n’était pas encore reconnu. Les choses finissent par rentrer dans l’ordre. « Le dossier d’ancien moudjahid était resté dans les tiroirs », souligne Arezki, en exhibant un gros paquet de documents et de photos sous le regard pantois de sa petite fille. 

Voilà qui est on ne peut plus clair concernant la manière de faire du ministère en charge des anciens combattants : trois témoignages suffisent pour les faux moudjahidines et un dossier en béton pour les vrais !

Lors des événements du Printemps berbère, il m’avait dit que c’était le plus beau jour de sa vie », se souvient Arezki. Il rentre au pays, puis repart en France quand il tombe malade, à la fin des années soixante-dix. De l’ONDA, il ne percevait pas de droits sur les chansons que diffusait régulièrement la radio Chaîne II.

Il est seul et sans ressources face à la maladie qui l’emporte à l’âge de 61 ans en 1981. Il est inhumé à Bounouh, là où il était né six décennies plus tôt. 

À aucun moment, ses chansons n’ont été éditées dans une cassette. Ni l’Etat (préoccupé, à l’époque, à arroser à coup de centaines de millions les chanteurs orientaux pour arabiser les Algériens) ni par un quelconque éditeur digne de ce nom, qui aurait eu l’idée d’immortaliser ses œuvres artistiques, en dehors de toutes autres considérations mercantilistes. 

L’Association des artistes de Kabylie, créée lors de l’année de l’Algérie en France, n’a pas, non plus, pensé à Farid Ali (ni à aucun autre artiste d’ailleurs) alors que lors de l’assemblée constitutive, l’une de ses missions principales était de se pencher sérieusement sur le cas des artistes oubliés. Ses chansons ont été piratées et éditées sans même avoir été déclarées à l’ONDA par une certaine maison d’édition Imesdourar. « J’ai découvert par hasard sa cassette chez un disquaire. Je n’ai rien compris ! », s’étonne le fils (*).

Véritable hymne au combat pour la liberté, nous vous proposons à la fois le texte original et la traduction de « A yemma ɛzizen ur- ţru ». Les lecteurs non-berbérophones y décèleront la profondeur du dévouement pour le pays et le caractère pugnace et mélancolique du texte.

Cette chanson et l’histoire de son auteur représentent des étalons de mesure explicites de la confiscation et de l’humiliation endurées par le pays par la grâce d’une armée tapie aux frontières, pendant que des Ali et des Farid se sacrifiaient sur le terrain du combat libérateur du colonialisme.

K. M.

(*) Quelques éléments de cet hommage ont été récupérés de diverses sources sur internet.

A yemma ɛzizen ur- ţru 

A yemma ɛzizen ur ţ ru ma d ţaṛ am t-id rreɣ
A yemma ɛzizen ur ţ ru ma d ţaṛ am t-id rreɣ
S-elɛezza ahḍer arnu da jundi aqli ɛusseɣ
Deg adrar la- ţ-naḍaḥaɣ
 

Ur s-qqar mmi yenṭer ur hellek deg ul neɣ
Ur s-qqar mmi yenṭer ur hellek deg ul inem
I usemmiḍ aqlaɣ nesbeṛ wala afransis bu elhem
Ma nedder elbahǧa ar ţ-nẓer ma nesteched Allah yerḥam
Ma nedder elbahǧa ar ţ-nẓer ma nemmut Allah yerḥam
 

A yemma ɛzizen ur ţ ru ma d ţaṛ am t-id rreɣ
A yemma ɛzizen ur ţ ru ma d ţaṛ am t-id rreɣ
S-elɛezza ahder arnu d jundi aqli ɛusseɣ
Deg idurar la ţ ḥarabeɣ

Ma muteɣ yax d afeḥli del Ǧenat ar d a ţ-kecmeɣ
Ma muteɣ yax d afeḥli del Ǧenat ar d a ţ-kecmeɣ
Lmalekat ţseɣret fell-i d udem n Ṛssul ar tẓṛeɣ
A leḥbab ur ţrut fell-i ɣef Lzzayer ṛuḥ-iw sebleɣ
A leḥbab ur ţrut fell-i ɣef Lzzayer ṛuḥ-iw sebleɣ

A yemma ɛzizen ur ţ ru ma d ţaṛ am t-id rreɣ
A yemma ɛzizen ur ţ ru ma d ţaṛ am t-id rreɣ
S-elɛezza ahder arnu da jundi aqli ɛusseɣ
Deg aɛdaw la ttḥarabeɣ

Am ass-a ar d-uɣaleɣ xas freḥ zhu lxaṭer-im
Am ass-a ar d-uɣaleɣ xas freḥ zhu lxaṭer-im
Di lḥara akem-id afeɣ ad qimeɣ ɣef idisan-im
D ttarix ar d-am-d mleɣ ɣef agi fɣen arraw-im
D ttarix ar d-am-d mleɣ ɣef agi muten arraw-im

A yemma ɛzizen ur ţ ru ma d ţaṛ am t-id rreɣ
A yemma ɛzizen ur ţ ru ma d ţaṛ am t-id rreɣ
S-elɛezza ahder arnu d jundi aqli ɛusseɣ
Deg aɛdaw la ttḥarabeɣ
 

Ne (me) pleure pas ma chère maman

Ne pleure pas ma chère maman

Vengeance je te promets

Gonfle ton cœur de fierté 

En djoundi je surveille l’ennemi

Crapahutant dans le maquis

Sois rassurée mon état ne s’aggrave pas 

Ne te fais surtout pas de mouron

Que de froid nous supportons 

Pour chasser le français et ses tourments

Si nous nous en tirons Alger nous la visiterons 

Que Dieu aie pitié de nous si nous mourrons
 

Ne pleure pas ma chère maman

Vengeance je te promets

Gonfle ton cœur de fierté 

En djoundi je surveille l’ennemi

Combattant dans le maquis

Si je meurs ça sera en Homme 

Au paradis j’irai
Anges acclamez moi 

Le visage du prophète je verrai

Mes amis ne compatissez pas 

Je me sacrifie pour l’Algérie

Ne pleure pas ma chère maman

Vengeance je te promets

Gonfle ton cœur de fierté 

En djoundi je surveille l’ennemi

Combattant dans le maquis

 

Viendra le jour où je reviendrai

Sois heureuse en ton cœur sois gaie

Dans la cour je te retrouverai

À tes côtés je resterai

Du récit je te montrerai

Ce pourquoi tes enfants sont partis

Ne pleure pas ma chère maman

Vengeance je te promets

Gonfle ton cœur de fierté 

En djoundi je surveille l’ennemi

Combattant dans le maquis.

Auteur
Kacem Madani

 




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