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Farida Aït Ferroukh a exploré pour nous la galaxie Kateb Yacine

Car il s’agit bien d’une exploration. Et d’une galaxie, avec ses étoiles et son soleil… Il y eut des étoiles, avec la troupe Debza, et un soleil : Kateb Yacine…

Dans un essai foisonnant, riche en informations de première main et en analyses édifiantes, l’anthropologue et essayiste Farida Aït Ferroukh nous conte la longue expérience menée par l’écrivain-dramaturge avec le groupe Debza. Ce faisant, elle retrace une bonne partie de la biographie de notre Kateb national, et réussit à l’installer, comme jamais on ne l’a fait, sur le podium qui lui revient, celui de l’écrivain, le seul, toutes générations confondues, à avoir assumé et incarné la conscience du peuple en investissant ses langues, après avoir exploité et fructifié et marqué de son sceau le « butin de guerre » arraché à l’Histoire… L’arabe darija, bien sûr, le berbère aussi, même s’il désespérait de ne pas le pratiquer. Les anciens de la troupe se souviennent du jour (en 1973) où la pièce « Mohamed, prends ta valise ! » fut jouée à Tunis, et en kabyle ! … Au retour de la troupe, à CUBA (Et ça ne s’invente pas : Cité Universitaire de Ben-Aknoun), Kateb avait vite fait de rejoindre les comédiens…

L’un d’eux, Salah Oudahar, rapportera les mots de l’écrivain : « Franchement ! Vous avez joué ça dans le bastion de l’arabisme, a din Rrebb ! » (1). Plus tard, un autre comédien, Moumouh Loukad, racontera qu’après avoir joué devant lui quelques tableaux de la pièce en kabyle, les comédiens furent assaillis de félicitations : Kateb était monté sur scène pour les embrasser tous, avant de lancer d’une voix émue : « Vous avez réalisé mon rêve le plus fou ; celui de voir une de mes œuvres, traduite en tamazight ! » (2)

Au peuple, nous appartenons ; à lui, nous retournons

De son rapport à la langue, entretenu toute sa vie, Kateb avait tiré la matière de son questionnement idéologique. Et si son œuvre se décline essentiellement en français, c’était, comme il l’avait dit à Pierre Dumayet, sur Antenne-2 : « Pour dire aux Français que je ne suis pas Français ! ». Et s’il avait fini par recourir à la darija, la langue du peuple, c’était pour dire aux Algériens son appartenance, comme s’il détournait la formule du Musulman commentant le décès d’un proche : « A lui (Allah), nous appartenons ; à Lui nous retournons ! », Kateb, lui, pouvait dire : « Au peuple, j’appartiens ; à lui, je retourne ! ». C’était aussi cela sa révolution. Comme il le disait lui-même : « Je veux pouvoir m’adresser au peuple tout entier même s’il n’est pas lettré, je veux avoir accès au grand public, pas seulement les jeunes (…) Il faut faire une véritable révolution ! » (3)

A propos de création collective, Farida Aït Ferroukh précise : « On pourrait supposer que durant les répétitions, n’intervenaient que les étudiants-comédiens (…) En fait, tout l’entourage y était convié. L’ensemble des personnes présentes – qu’elles soient de passage ou régulières – prenaient la parole au même titre que les plus légitimes membres de la troupe »(4).

Si la France a eu son Eluard, l’Algérie peut s’enorgueillir d’avoir eu son Kateb. Tout comme pour Paul Eluard, « La poésie doit être faite par tous, non par un » (5), pour Kateb Yacine, le théâtre doit être accessible à tous, mais aussi fait par tous, du moins par un collectif. C’est précisément ce à quoi s’étaient attelés les membres du groupe Debza : leurs pièces étaient des œuvres collectives. Voire, il arrivait que des personnes étrangères au groupe y mettent leur « grain de sel », pour ainsi dire. Ce sont souvent des étudiants, des fidèles de la « bande à Yacine ». A commencer par les étudiants de Ben Aknoun. L’occasion pour l’essayiste de décliner la « chronologie de la sémiologie » du terme « Debza ». Et ce n’est pas Meziane Ourad qui va la contredire, lui qui nous dit : « Avec Yacine, Farida a appris la lucidité » (6)…

Au commencement, fut une question en l’air : Quel nom donner à la troupe ? Un soir, lors d’une réunion, à la question, posée par Djamel Zénati à ses camarades, de savoir le nom de la troupe de Sétif, une voix répond : « Dersa ». Ce qui désigne, en arabe, un « bouquet de gerbes de céréales assemblées » (7). A ce mot, comme en écho, un autre mot jaillit de la bouche de l’animateur : « Debza ! » … Comme si un glissement phonétique avait transformé ladite « gerbe » en coup de poing ! Oui, puisque « debza » désigne le poing. Un poing fermé. Et là, l’auteure de vous entraîner dans une exploration étymologique et même historique du poing levé et brandi…  Ce symbole ne quittera plus la troupe, qui poursuivra ses engagements, contre vents et marées, jusqu’au « Mouvement 1980 » et au-delà…

« Une époque révolue ? », s’interroge l’anthropologue. « Non, répond-elle, de son irréductible optimisme : plutôt les prémices d’une longue marche vers un nouveau Printemps… ».

Salah Guemriche

1) Farida Aït-Ferroukh, Kateb Yacine et Debza, au cœur du Printemps berbère, p. 234, Ed ; Koukou, 2022.

 2) Op. Cit. p. 235.

 3) Réponse à Abdelkader Djeghloul, cité par l’auteure, p. 80.

4) Farida Aït Ferroukh, op. cit., p. 125.

5) Phrase du Comte de Lautréamont.

6) Meziane Ourad : « Farida Aït Ferroukh, le professeur qui vient de loin » (Le Soir d’Algérie, 22-7-2021).

 7) Voir le développement du champ sémantique établi méticuleusement par l’auteure (p. 30), qui souligne la symbolique de ces gerbes dans l’esprit de ces jeunes, originaires des Hauts-Plateaux, région connue pour ses champs céréaliers.

 

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