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Femme-harraga : l’adieu d’une divorcée

La chronique Naufrage

Femme-harraga : l’adieu d’une divorcée

D’une plage  sauvage à Mostaganem, une jeune femme divorcée, moins de 30 ans,  sa petite fillette dans les bras, s’en est allée avec les harragas sur une barque de 480 cm. Elles sont bien arrivées, saines et sauves, à la rive espagnole.

Elle a laissé derrière elle sa famille qui ne pouvait plus la porter sur le dos après le divorce, son Algérie qui ne pouvait plus la porter sur sa surface, et son livret de famille qui ne pouvait plus porter son nom sali par la mention « divorcée ». Et malgré le  danger de la mer, c’est sur la barque qu’elle a senti la délivrance, la renaissance. Sur l’autre rive, elle est devenue une autre.

Les deux rives de la Méditerranée sont habituées à la migration des hommes et des enfants. Mais celle des femmes constitue un choc ici et ailleurs. La femme donne la vie. Elle n’aime pas approcher la mort, surtout la sienne. Elle s’accroche tellement à la vie qu’elle pleure le départ du mari, du frère, du voisin. Elle est symbole de retour, de nid affectif, de terre natale. Le départ périlleux d’une femme en tant que harraga pousse à réfléchir en urgence, à poser les vraies questions.  

Vu  d’Alger, le départ de cette femme est une folie, un cas isolé qui nécessitait un bon psychanalyste après son divorce. Non, il faut sortir de la capitale pour voir que, contrairement à la marche de l’humanité, le mariage des mineures et le mariage forcé sont la norme dans d’autres régions et villes.

Le féminisme algérien est en retard : les féministes se contentent de relire le Code de la Famille dans un bureau et d’organiser des colloques pour prendre  des selfies. Le mariage d’une mineure ou le mariage forcé sont source de conflits, et mènent souvent vers le divorce. C’est comme une maison délabrée qui finit vite par s’écrouler, non sur le mari machiste, mais sur la fille innocente vendue par sa famille.

C’est quoi être  une femme divorcée en Algérie ?  Le pays est ravagé par la misogynie. La femme, qu’elle soit célibataire, mariée,  divorcée, ou vieille, est réduite à ses courbes. Elle lutte chaque instant pour affirmer que son corps  lui appartient et n’est pas un bien public.

Pour la divorcée, la situation est encore pire. Une fois le mariage dissolu, elle n’est plus une femme dans sa société. Elle est rejetée  par sa famille, par son quartier, et par tout le pays. Elle devient une honte nationale. Même si l’homme est la cause du divorce, c’est toujours la faute de la femme.

La maman, qui lui a inoculé la soumission, lui reproche de n’avoir pas suivi son conseil existentiel. Elle qui lui répétait: «Protège ta maison et ton mari !». C’est une honte, parce qu’elle n’a pas su garder son mari comme les autres « braves » femmes.

Ensuite, elle perd son nom. On ne l’appelle plus par son nom. Effacée, elle devient une mention d’état civil. La divorcée. «El Hadjala », disent les hommes. Ce mot-insulte du dialecte désigne celle qui n’a plus de sexe, et qui n’est plus une femme désormais. Un homme divorcé reste toujours un homme, sans étiquette. Et on l’appelle par son nom. Parce que sa définition n’est pas réduite à la notion du corps.

Les obsédés sexuels essaiment autour d’elle, jamais pour un mariage, mais pour le plaisir. Ils croient qu’une divorcée est une femme faible, facile à avoir,  et qu’elle cherche le plus vite possible n’importe quel homme pour réparer sa vie fissurée et la protéger. Jamais un homme ne voudrait d’elle comme épouse puisque l’hymen a déjà été déchiré. C’est la tradition qui le dicte. Et en Algérie, la tradition est au-dessus de la loi, de la science, ou de l’amour.

Cette femme-harraga s’en est allée  pour respirer ailleurs. L’Algérie l’étouffait de toutes ses forces pour la pousser à avoir honte de sa carte d’identité et à partir.  Cet étouffement lui est devenu une force et un courage pour affronter la mer. Avec toutes les misères qui consument le pays (corruption, bureaucratie, islamisme, anarchie, hypocrisie…), l’Algérie est devenue une Usine qui étouffe ses citoyens.

Flashback : une scène est passée inaperçue lors de la visite de Macron à Alger. Un Algérien crie au président : « On étouffe ! ».  Il lui répond : « Vous n’avez qu’à vous desserrer ». La phrase de l’Algérien illustre le phénomène de harga. Cela donne naissance à ce cogito : « J’étouffe donc je pars ».  Partir ailleurs, pour se desserrer et respirer. Respirer c’est vivre. En Algérie, le citoyen existe seulement, rêvant de vivre. Voilà, la jeune femme est partie pour respirer.

Et puisqu’elle était exilée dans son Algérie, elle n’est pas une exilée ailleurs. Sa fille grandira loin du soleil et saura avec le temps que l’Algérie ne sait pas, comme les autres mamans, garder ses enfants dans les bras.

Enfin, il faut imaginer la jeune femme, sa fille dans les bras, sur la courbe de l’autre rive, contemplant la rive algérienne en psalmodiant  ce vers de Darwich : «Nous voulons vivre un peu ».

La jeune femme et sa fille, les millions de harragas, sont partis pour VIVRE.

Auteur
Tawfiq Belfadel, écrivain-chroniqueur

 




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