Samedi 27 mars 2021
Ferhat Mehenni : le révolté aux rêves non réalisés
Avant de verser dans la politique, Ferhat Mehenni fut ce chanteur engagé, aux cordes vocales aussi harmonieuses que celles d’un instrument de musique, et aux allures de jeune premier.
Dire que Ferhat Mehenni est connu de chaque Algérien serait pure tautologie. Ce qui est moins connu, cependant, ou tout aux moins pas assez, c’est son œuvre. Nombreux sont ceux qui, en termes de talent, le comparent à notre regretté Idir. Et, ils ont bien raison !
Son œuvre mérite hommage et attention chaque jour que Dieu fait. Pour la simple raison que, comme nous l’avions déjà évoqué dans une précédente chronique, Ferhat est certainement le premier Hiraki d’Algérie (*). Kateb Yacine ne l’avait-il d’ailleurs pas surnommé « le maquisard de la chanson kabyle » ?
Tous les slogans hurlés contre le pouvoir depuis deux ans, Ferhat les proférait seul face à la moustache du patibulaire Boumediene, dans les années 1970. Il en a d’ailleurs payé le prix fort.
Pour preuve d’un engagement actif, l’opus « Lezzayer 20 iseggwassen » sorti en 1982, à l’occasion de la célébration de nos 20 années de dépendance à l’armée des frontières.
En ces temps-là, l’Algérie venait d’avoir 20 ans. Et, le moins que l’on puisse dire, en écoutant le titre qui vous est proposé, est que l’Algérie a toujours 20 ans, si l’on se conforme à la description qui en est donné dans le titre « Lezzayer 20 iseggawssen ».
Car, en termes d’injustice et de dédain envers le citoyen (ce que l’on appelle communément el-hogra), l’Algérie de 2021 est la copie conforme de celle de 1982 et d’avant. D’ailleurs, il suffit de remplacer le nombre 20 par 60 et le chant est mis à jour de façon on ne peut plus opportune.
L’Algérie rêvée par Ferhat dans les années 1970 est identique à celle de ce flambeau porté par l’ensemble du pays depuis deux ans. Inutile d’en rajouter. Pour les berbérophones, écoutez plutôt ! Pour les autres, lisez la traduction ci-après, et posez-vous la question : « rêves et prémonitions d’un renégat ou d’un patriote de première heure, désabusé par la tournure des évènements ? ».
Véritable hymne à la liberté et la fraternité, « l’Algérie a 20 ans » fait partie de ces chants incontournables que l’on écoute sans modération jusqu’au bout de la nuit…coloniale.
« Lezzayer 20 iseggwassen », l’Algérie a 20 ans
Que de milliards n’ont-ils pas gâché
Pour leur édifier des mausolées
Des morts ils évoquent la mémoire
Dépêchant à l’outre-tombe leur gloire
Par tout ce qui est, je peux vous jurer
Qu’ils n’éprouvent aucune pitié
Envers ceux qui sont tombés
Ils s’acharnent à nous corriger
En nous menant au pas : une, deux !
Cela fait 20 ans déjà
Elle vient de fêter ses vingt ans
Nous aurions pu être contents
Nous ses braves ressortissants
Vingt ans sous le joug des méchants
Vingt ans dans ses prisons
Sans compter ce qui nous attend
L’Algérie pour laquelle nous avons combattu
Dès que nous l’avons libérée elle a disparue
Assassinée par ceux qui l’ont envahie
Par les soldats des frontières elle s’est garnie
Elle recrute le policier pour nous bastonner
Elle construit des prisons pour nous enterrer
Elle épousa ce militaire inconnu
Qui a juré de nous priver de tout éclat
Cela fait vingt ans déjà
Elle vient de fêter ses vingt ans
Nous aurions pu être contents
Nous ses braves ressortissants
Vingt ans sous le joug des méchants
Vingt ans dans ses prisons
Sans compter ce qui nous attend
L’Algérie est toujours voilée
Son arabisme exhibé avec fierté
Ses minarets au-dessus des mosquées
Comme le feu sous le fumier
L’islamisme est incubé
Elle est traitresse elle est ingrate
Elle est souillée elle est aveugle
Elle est abjecte elle est sans-cœur
Nous ses enfants réfractaires
L’arabe ne nous convient pas
Cela fait vingt ans déjà
Elle vient de fêter ses vingt ans
Nous aurions pu être contents
Nous ses braves ressortissants
Vingt ans sous le joug des méchants
Vingt ans dans ses prisons
Sans compter ce qui nous attend
L’Algérie aimée et désirée
Est celle des sacrifiés par milliers
Nous ne faisons que la rêver
Dans des songes pour opprimés
Là nous l’avons trouvée
Algérienne elle est
Amazighe elle est
Elle est révolutionnaire
Du pauvre elle est solidaire
Un jour nos rêves s’accompliront
L’Algérie nous l‘extirperont
De tant d’années d’oppression.
(*)https://lematindalgerie.comferhat-mehenni-ce-premier-hiraki-force-lexil-et-loubli