C’est le mercato. Sari3 Sidi Belaredj a en vue une recrue qui ne manquera pas de faire des jaloux. Au diable le projet de modernisation des moyens d’exploration de la Sonatrach, le budget servira à sponsoriser le Onze de la Présidence !
Les radars des T’babla (1) de la presse dite sportive sont tournés vers l’Europe. Les spéculations les plus folles courent les manchettes boiteuses. Entre lobbying et jeux de coulisses, les dirigeants du Onze Présidentiel disputeraient deux grands joueurs du Real Madrid à l’Arabie saoudite. Des analystes se relaient sur les plateaux télévisés, jurant que c’est la longue et inépuisable expérience diplomatique qui triomphera des pétrodollars. Qu’à cela ne tienne !
Du côté du Palais, aucune information ne filtre. Le mystère reste entier. Ce qui ne manquera pas de raviver les spéculations sur notamment le futur coach. Un algérien qui a fait ses preuves à la tête du Real ? En tout cas, le nom de Zizou circule et il paraît qu’il pèse de toute son influence pour faire barrage aux Saoudiens. « Depuis quand le turban ça joue au football ! », se moque-t-on sur les réseaux sociaux.
L’heure de la gloire sonne. Des barrages de contrôle sont installés sur les chemins menant vers le nouveau stade rebaptisé Douar Sidi Belaredj (2). Un dispositif sécuritaire est déployé autour de l’Arena et les entrées sont filtrées à la tête du client. Les coups de pied et les coups de matraque font naturellement partie de l’ambiance. L’entrée principale est réservée aux supporters du Onze Présidentiel. Les trois quart des gradins, aussi.
L’équipe adverse, Tata Kh’ti, alias Mahgourti Ya Djarti, a pu y accéder, avec une poignée de supporters, par la petite porte de service, réservée aux gardiens du stade. Confondus avec des supporters dont la tranche n’a pas plu aux forces de l’ordre, deux joueurs ont reçu une raclée avant même de franchir la porte.
C’est ainsi que Tata Kh’ti fait son entrée sur la pelouse avec une équipe de neuf joueurs seulement. Les remplaçants ont tous été arrêtés la veille. Ils sont accusés de se doper à la chicha.
Un grand Tifo orne les trois gradins VIP : « Sidi Belaredj Dayer Hala ». Les livreurs de sandwichs ont un peu de retard, mais ils ne tarderont pas à arriver. Se rendant compte à la dernière minute de leur méprise, ils ont dû rebrousser chemin, pour retirer le pâté de volaille des sandwichs. Cela pourrait constituer une menace de mort à peine voilée contre Si Belaredj, au vu du nouveau code pénal.
N’ayant plus grand-chose à perdre, les partisans de Tata Kh’ti haussent le ton. Sous les regards ébahis des favoris de Douar Sidi Belaredj, la poignée de supporteurs défavorisés fait tout de même vibrer les gradins : » Belaredj Yet9alech F RiAssa W’Chaâb Tata Kh’ti Dayatou El Hamla, Belaredj Dertoulou Koustime Ou Cravata W Ouled Tata Kh’ti Tahreg Fel Boutyate « . C’en était trop. Déjà qu’ils sont tolérés d’assister à la fête, ils osent encore des chants hostiles ! En un laps de temps, la colère du Palais s’abat sur le gradin contestataire. La poignée de supporters est embarquée vers une destination inconnue. » Après tout, ils l’ont bien cherché « , dira le commentateur de la Radio Nationale.
Rayonnant, le Onze Présidentiel fait enfin son entrée sur le terrain de jeu. Leurs adversaires, qui se sont fait voler leurs souliers dans les loges, entament la partie pieds nus.
Mais peu importe, tous les regards sont braqués sur la fameuse nouvelle recrue de Sari3 Sidi Belaredj. Le speaker fait exploser le micro : Chouchaâ (3) Yantali9, Chouchaâ Yourawigh, Chouchaâ Y’ssaded, Wel 3aridaaa ! ». Carton jaune pour El 3arida, la barre transversale. L’arbitre qui n’a pas eu la présence d’esprit de siffler en même temps un corner, est remplacé sur le champ, avec une suspension de deux ans.
Tata Kh’ti récupère la balle et les auditeurs de la Radio Nationale qui suivent avec impatience la partie perdent la voix du speaker. C’est du Mozart qui passe, pendant ce temps. La voix vibrante du commentateur reprend de plus belle aussitôt que Choucha remet le pied sur la balle et tente une accélération sous les encouragements à coups d’ailes de Si Belaredj, installé royalement derrière les buts de l’équipe adverse. Porté par l’euphorie du public, Chouchaâ franchit la surface de réparation et lance son bolide… Pof !, le ballon atterrit sur Si Belaredj ! Treize plumes de perdues et une entorse à la patte gauche. Chouchaâ est placé sous mandat de dépôt et l’équipe est dissoute instantanément. L’équipe adverse et ses membres, aussi. Après tout, c’est de leur faute. Ils auraient pu oublier de venir et laisser le Onze Présidentiel faire démonstration de son sport favori : jouer seul sur le terrain.
Pendant que le stade se vide, Si Ayoud, wali et entraîneur du Onze Présidentiel, tente de s’évader. Vainement. Il finit dans le fourgon de la gendarmerie. Direction le tribunal militaire. Il est accusé de complot contre l’autorité de l’Etat et d’atteinte à la sécurité nationale. A suivre…
Zohra Droul
Contact de l’autrice : droulzohra@gmail.com
Notes
1) Percussionnistes au sens propre et tapageurs au sens figuré.
2) Douar signifie hameau. Une célèbre chanson du chanteur populaire algérien Baâziz évoque “Houkouma Redjâat Douar (Un hameau a été érigé en gouvernement)”, en référence à un des gouvernements de l’ancien président algérien, Abdelaziz Bouteflika, constitué d’une bonne partie de ministres issus du village M’sirda, à Tlemcen, une wilaya dont le défunt président est lui-même originaire.
3) Couchaâ est un célèbre personnage en Algérie, vivant avec des déficiences intellectuelles. Grand fan du football et se rêvant en star, des matchs sont organisés en son honneur et pendant lesquels il se livre à des performances spectaculaires et comiques, grâce à la complicité des joueurs, de l’arbitre et du public, qui le mettent en valeur sur le terrain.