Les feux de forêt dévastent le nord du pays, en ce début d’été. La protection civile, quand bien même épaulée par la population, n’arrive toujours pas à stopper la progression des flammes. L’Atlas blidéen et la Kabylie sont particulièrement touchés.
Se trouvant au beau milieu, Alger suffoque. Des personnes âgées, quoique transférées à l’hôpital, rendent l’âme, en l’absence de masques d’oxygène. Sur les réseaux sociaux, l’indignation est totale : où sont les canadairs promis l’été dernier et celui d’avant ?
La réponse du Palais ne se fait pas attendre. Dans la grisaille totale, un nuage blanc, rouge et noir traverse le ciel de la capitale. Doubab (les mouches électroniques) partagent en masse les images de ce qui se présente comme des bombardiers d’eau en provenance de l’autre rive de la Méditerranée (1).
La contre-offensive sur les réseaux sociaux n’est pas des moindres : « Et Maintenant ? Vous avez encore des doutes ? ». La télévision publique envoie des équipes pour filmer la scène et récolter, en même temps, des témoignages. « El hamdoulilah, Nachkor El RiÂssa 3ala hadihi El Moubadara El 9ayima Wa 3ala Koul hadihi El Madjhoudate el Djabaara… ».
Les chroniqueurs des chaînes TV offshore n’y vont pas du dos de la cuillère : « Les semeurs de doute et du désespoir ont, aujourd’hui, perdu. Les moyens mobilisés par le Palais sont la preuve combien les dirigeants ont à cœur le bien-être suprême de la population. Une autre victoire qui fera certainement mal chez les ennemis de notre chère et prospère nation… « .
Pendant ce temps, la flotte baptisée Belardj and Co se pose sur les toits du Palais. Si Belaradj a été cherché toute sa tribu. « La blague ! ». Les moqueries repartent de plus belle sur les réseaux sociaux. Les soutiens inconditionnels ne désespèrent pas pour autant. Ils évoquent une technique écologique pour éteindre les incendies et présentent la flotte Belaredj and Co comme une équipe de choc, formée spécialement pour faire pi… sur les flammes.
La polémique enfle. Mais Si Belaredj a mieux à faire. Il introduit ses convives dans une pièce secrète où une large sélection de breuvages s’offre à boire. Il faut dire que les voyageurs ont eu soif. Après une kémia faite d’escargots au vin blanc d’Alsace et aux fines herbes de la pelouse du Palais, la fratrie passe aux choses sérieuses : une bouteille de whisky étiquette bleue est ouverte. Le raffinement, les bonnes manières, c’est fini ! Les bouchons sautent et le disque tourne : « El Sawte El Djadid, You9adim Cheikha Habiba El Abassia Wa El Gsasba. Fi Khater Kada Ben 3orch, W’El Aïd… Ana Khattri Metkewi B’Nar, Ha Na Na Welila Sekra 3andi… « (2).
Le réveil est dur. C’est la gueule de bois générale. La fratrie a tout dévoré et Si Belaredj veut absolument mettre quelque chose de salé sous le bec. Par bonheur, la vitre d’un véhicule stationné au pied de l’édifice principal est restée ouverte. Si Belaredj s’y introduit et se réjouit des restes de sandwiches traînant sur la banquette arrière. Le repas est suivi d’une bonne sieste sous le soleil d’Alger transperçant les vitres. Mais voilà que Si Grina rejoint son véhicule après une entrevue avec le Raïs. C’était tout juste après un point de presse où il venait d’annoncer le lancement d’une initiative visant à rassembler toutes les bonnes volontés nationales (3).
En arrivant chez lui, Si Grina découvre la belle surprise. « Khirek Ya Rebbi, Hada Ghir 3arboune (Que ta grâce coule sur moi, Seigneur. Et dire que cela n’est qu’une petite avance… « . Après quoi, il lance à l’endroit de son épouse : « Ya M’ra, Hammi El Guedra Ta3 El Ma, Elila La3cha Salek Men 3and Raïs (Femme, vite, réchauffe de l’eau dans le chaudron. Ce soir, le gibier est offert par le président ».
Le pire est évité de justesse, quand les pisteurs du Palais, appuyés par des chiens renifleurs, tapent à la porte. A suivre
Zohra Droul
Contact de l’autrice : droulzohra@gmail.com
Notes
1) Les mouches électroniques, traduction littérale de Doubab en algérien, désignent des brigades de faux comptes sur les réseaux sociaux, à la solde de la police politique, qui travaillaient à discréditer le Hirak, la révolution du sourire algérienne déclenchée en 2019 et qui avait précipité la chute de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, après vingt années passées au pouvoir.
2) L’Algérie avait elle aussi connu sa révolution musicale rebelle et bohème, en même temps que plusieurs capitales occidentales, dans les années 1960, après l’indépendance. La diva Cheikha Habiba chantait vers cette époque, dans les régions rurales de l’ouest algérien : « Venez, cette nuit la beuverie sera organisée chez-moi”.
3) Si Grina est le chef d’un parti dit islamiste en Algérie. Il est connu pour offrir ses services à chaque nouveau clan au pouvoir en Algérie.