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Foi et démocratie

REGARD

Foi et démocratie

«La tyrannie ne surgit et ne s’instaure dans aucun autre régime politique que la démocratie : c’est de l’extrême liberté que sort la servitude la plus totale et la plus rude. » Platon

Il faut bien se rendre à l’évidence, ces derniers temps nous ont prouvé le déclin de la libre discussion et des débats sur les sujets brûlants de l’heure. Au moment où l’incendie prend naissance au cœur même des démocraties européennes avec cet islam politique qui s’est approprié tout dialogue et cette incursion des palabres sur le racisme, l’esclavage et le passé coupable de certains, il est grand temps de faire son propre examen de conscience.

La liberté de pensée est une et indivisible. Nous ne devons pas cacher nos défauts et nos propres angoisses pour ne souligner que ceux d’en face. 

Il faut arriver, dans la mesure du possible, à faire le procès de nos propres attitudes. Plus que cela, le discernement de leurs causes. Il faut également reconnaître que les intellectuels se sentent impuissants à influer sur leur temps en proposant des solutions claires et hardies.

Au lieu de parler en sociologues, de faire la constatation de ce qu’on appelle l’évolution de la démocratie, il faut peut-être aller plus avant et trouver les moyens de rénover une façon de réagir face aux agressions communautaristes. Ce que les politiques appellent l’évolution de la démocratie n’est peut-être que la mesure de son déclin ou la reconnaissance de la gravité de sa maladie.

Devant les dangers de l’avenir, que l’expérience du présent ne fait que rendre plus lourds et plus menaçants, la liberté ne peut s’en tenir au dilemme islamisme d’un côté et laïcité de l’autre. Car si l’on commence à admettre dans une démocratie que chacun fasse comme bon lui semble, si l’on est prêt à accepter une maladie endémique aux régimes du sud, que même l’islam politique fasse semblant de proclamer sa foi dans la démocratie et qu’en même temps, il se dise au-dessus de la loi des hommes, que les hommes se doivent obéissance à la parole divine, c’est que nous nous préparons à renoncer nous aussi à cet apanage de la femme et de l’homme libres qui est de penser à l’avenir et de lutter pour ses droits les plus humains.

Au lieu de jouer aux médecins qui se disputent le privilège de pratiquer dans l’ultime consultation le diagnostic et qui s’en remettent à l’autopsie pour constater qui d’eux avait raison, il faut s’attaquer d’ores et déjà aux causes. Non plus pour sauver la face, ce qui peut se faire par des raisonnements purement sociologiques, mais pour sauver l’essence même de notre façon de vivre en société, qui doit rester notre idéal et ne pas devenir un simple objet de dissection.

Raymond Aron a soutenu qu’une démocratie peut être stabilisée, c’est-à-dire qu’elle devienne une démocratie véritable et viable, si elle est légitime et efficace. Laissons de côté la notion de légitimité car la légitimité est en elle-même une notion trop compliquée, surtout quand on fait appel pour la concrétiser à l’acceptation des masses ou à l’opinion publique, dont le contenu, variable par nature, devient de plus en plus fluide devant les grandes transformations de la psychologie collective de notre temps, que nous appelons parfois, à tort ou à raison, les évolutions idéologiques.

Pourquoi donc notre démocratie est-elle devenue si peu efficace face à cette agression extérieure qui touche à ses fondements même ? On accuse souvent la forme concrète de la démocratie dans chaque pays. Sous les systèmes parlementaires, ce sont les députés qui sont fautifs. Sous le système présidentiel, c’est la séparation des pouvoirs. Sous le style de la monarchie républicaine à la française, c’est la soumission de tous à la seule volonté d’un homme. Sous toutes les formes de la démocratie européenne, c’est la bureaucratie. 

Pour ma part, je crois que la cause la plus importante de l’inefficacité des régimes démocratiques face à ce fléau islamiste, c’est l’apathie des masses populaires et la lâcheté des pouvoirs et à leur génuflexion face à la manne saoudienne ou qatarie. L’apathie que je dénonce n’est pas seulement le résultat du bien-être matériel. Elle est beaucoup plus la conséquence d’un espoir déçu.

Le développement économique, et même social, est considéré comme un élément naturel par des populations matérialistes qui ont trop vite oublié les luttes du passé pour comprendre les dangers du présent. La loi de 1905 en France n’est pas l’achèvement d’un processus divin mais celui d’un combat acharné contre la mainmise de la religion sur toutes les arcanes du pouvoir.

Aujourd’hui, en pleine capitale des Lumières, ce ne sont plus les bigots catholiques qui menacent la stabilité démocratique du pays mais des militants islamistes qui placent leur prosélytisme au-dessus de toute notion moderne du vivre en commun. Ces derniers ne sont pas seulement les soldats d’Allah, ils sont les ennemis de l’Occident quelle que soit la nationalité qu’ils arborent. Ils mettent leur livre dit sacré sur une étagère plus haute que celle sur laquelle se trouvent la Constitution française ou la Déclaration universelle des Droits humains.

J’appelle de mes vœux une prise de conscience complète de ces mêmes masses face au danger de ce communautarisme qui a mis un pied dans ce continent et qui risque de planter le deuxième pied d’une façon pérenne. J’appelle les dirigeants à se démettre de leur lâcheté légendaire, de se secouer et d’oser se lever définitivement pour retrouver leur dignité — si toutefois ils en possèdent une ! Autrement, c’est l’immobilisme assuré, qu’on l’appelle d’un nom ou d’un autre. Et l’immobilisme, on ne le sait que trop en France et en Europe, conduit inévitablement à la carence de la démocratie.

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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