Économie, diplomatie, histoire commune et conflits de mémoire, les relations entre la France et l’Algérie sont un enchevêtrement complexe, où chaque geste semble dicté par des intérêts mêlés de ressentiments et de dépendances.
Les deux nations oscillent entre coopération économique et tensions politiques, se rétrouvant tantôt autour de contrats énergétiques, tantôt autour de discussions épineuses sur leur passé colonial. Dans cette relation quasi-familiale – jamais simple, souvent houleuse – la question se pose : s’agit-il de compter les sous ou de conter les dessous ?
Depuis des décennies, la France et l’Algérie entretiennent une relation financière essentielle, marquée par des échanges commerciaux et des accords énergétiques stratégiques. Le gaz algérien, par exemple, alimente une part importante des besoins énergétiques français, et en retour, la France reste l’un des principaux investisseurs étrangers en Algérie. Les secteurs pétroliers, pharmaceutiques, agroalimentaires et bien d’autres représentent des milliards d’euros échangés chaque année. D’un point de vue économique, cette relation semble bien comptée, et parfois presque « comptée », chaque euro pesant dans la balance.
Pourtant, ces transactions financières sont loin d’être aussi simples qu’elles en ont l’air. À chaque contrat signé, à chaque nouvel accord, se cache une toile de fond complexe : l’héritage colonial, les différences de gouvernance, et les aspirations des nouvelles générations des deux côtés de la Méditerranée. En Algérie, la jeunesse est de plus en plus critique face aux accords économiques qu’elle perçoit souvent comme des partenariats déséquilibrés. Quant à la France, elle doit concilier ses propres besoins énergétiques et commerciaux avec des attentes de transparence et de respect mutuel.
Sur le plan politique, les dessous de cette relation s’avèrent bien plus épineux. Des deux côtés, la question de la mémoire coloniale pèse lourdement sur les rapports officiels. Les blessures du passé ne se sont jamais vraiment référées, et chaque initiative diplomatique se heurte à ce mur invisible mais omniprésent : le besoin de reconnaissance, de justice et de réparation. Les débats se poursuivent autour de la reconnaissance des crimes coloniaux, de l’exigence d’excuses officielles, et du retour des archives et des objets du patrimoine historique.
Les déclarations diplomatiques oscillent souvent entre tentatives d’apaisement et maladresses, chaque mot pesé ou de travers ravivant les sensibilités des deux côtés. En Algérie, certaines voix estiment que la France continue de vouloir « contrôler » et influencer la politique interne par le biais de la diplomatie, tandis qu’en France, on entend aussi des qui s’interrogent : pourquoi rouvrir ces drames quand il s’ agit de construire un avenir partagé ?
Le président français, dans plusieurs discours, a tenté de faire des gestes symboliques, reconnaissant des épisodes douloureux de la guerre d’Algérie et proposant des initiatives pour le « travail de mémoire ». Mais la perception reste mitigée. Pour certains, ces gestes semblent insuffisants ; pour d’autres, ils sont politiquement calculés, dans un contexte où la question de l’immigration algérienne et des liens historiques influencent encore les élections en France.
Pour la France comme pour l’Algérie, compter les sous est vital – l’économie des deux pays dépend de ces échanges. Mais ce n’est qu’une partie de l’équation. Tant que les dessous historiques ne sont pas entièrement abordés, les non-dits continueront de colorer chaque accord et chaque contrat d’un fond de défiance. La difficulté est d’envisager une relation économique tout en étant capable d’aborder de façon franche et apaisée les questions de mémoire.
Les nouvelles générations franco-algériennes éprouvent un besoin de réconciliation authentique, dénuée des anciennes rancœurs. En France comme en Algérie, elles réclament un dialogue ouvert, respectueux, où les récits ne sont plus en concurrence mais complémentaires. Elles aspirent à une relation apaisée, où la coopération ne se résume pas à des transactions économiques, mais s’étend à un partenariat culturel et humain.
Pour que les choses changent véritablement, il faudra peut-être arrêter de « compter » et de « contrer » et repenser cette relation sous un angle neuf, sans marchandage ni non-dits. Il s’agit d’oser imaginer une France et une Algérie qui, fortes de leur passé commun, parviennent enfin à aller de l’avant, sans ce poids constant de la suspicion. Un avenir où l’on n’a plus besoin de décompter les euros ni de raviver les vieux dossiers, mais où l’on peut coopérer en égaux, avec transparence et respect.
Ainsi, la question reste ouverte : France-Algérie, combien de sous comptés, combien de dessous à raconter, avant de trouver enfin le ton juste ?
Dr A. Boumezrag