L’Assemblée nationale a connu mercredi une série de votes inattendus : une alliance de circonstance entre la gauche et le Rassemblement national (RN) a permis l’adoption de plusieurs taxes visant les grandes entreprises. Une séquence qui complique considérablement la tâche du gouvernement, déjà confronté à une équation budgétaire et politique périlleuse.
Alors que le budget 2026 est encore loin d’être bouclé, ces votes symbolisent un tournant dans le débat fiscal. Le camp présidentiel dénonce une “folie fiscale”, tandis que ses opposants affirment vouloir “rétablir la justice” face aux grandes fortunes et multinationales.
Une alliance improbable qui défie le gouvernement
Mardi soir, un amendement instaurant un “impôt universel” sur les multinationales a été adopté grâce à la convergence des voix de la gauche et du RN. Présentée comme une mesure contre l’évasion fiscale, elle pourrait rapporter jusqu’à 26 milliards d’euros, selon ses défenseurs. Le gouvernement, lui, y voit une disposition inapplicable et contraire aux engagements internationaux de la France.
Mercredi, la dynamique s’est poursuivie : les députés ont adopté plusieurs mesures alourdissant la fiscalité des grands groupes. Parmi elles, l’élargissement de l’impôt minimum de 15 % sur les bénéfices des multinationales, porté par La France insoumise (LFI), a été voté malgré les mises en garde du ministre de la Fonction publique, David Amiel, qui a dénoncé “une autoroute vers le contentieux”.
“On assume à 100 % ce vote”, a répondu le député RN Jean-Philippe Tanguy, revendiquant une convergence de vue avec la gauche sur la lutte contre les abus fiscaux.
Rachats d’actions, superdividendes et holdings dans le viseur
Deux autres amendements sont venus accentuer la tension :
Une taxe sur les rachats d’actions, proposée par le RN et adoptée de justesse, afin de freiner la spéculation boursière.
Une taxe exceptionnelle sur les superdividendes, portée par LFI, validée à une voix près.
Ces votes successifs constituent autant de revers pour le gouvernement, qui voit son projet de loi de finances se transformer en un patchwork fiscal difficilement défendable. “Le coût de la stabilité politique devient exorbitant”, a réagi le chef des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau. Du côté du MoDem, Marc Fesneau a estimé que le texte devenait “totalement invotable”.
Le camp présidentiel sous pression
Face à cette série de défaites, la majorité tente de temporiser. La porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a rappelé qu’il ne s’agissait que du “début du processus parlementaire”. Mais en coulisses, plusieurs membres de la coalition reconnaissent craindre un blocage total.
Certains évoquent déjà la possibilité qu’il n’y ait pas de budget voté d’ici la fin de l’année, ce qui forcerait l’exécutif à recourir à une loi spéciale pour reconduire les dispositions de 2025, voire à des ordonnances, comme le permet la Constitution si les débats dépassent les délais fixés.
Vers une impasse budgétaire ?
Les députés feront jeudi une pause dans les discussions, avant de reprendre vendredi matin avec deux sujets explosifs : la taxe sur les holdings et la fameuse taxe “Zucman” sur les très hauts patrimoines.
Proposée par la gauche, cette dernière prévoit un impôt minimum de 2 % sur les fortunes supérieures à 100 millions d’euros, voire 3 % au-delà de 10 millions dans une version amendée. Mais son adoption semble compromise face à l’opposition conjointe du bloc central, de la droite et du RN.
Un amendement de compromis pourrait être présenté par le gouvernement pour tenter de rallier une majorité. “Il y a encore du travail”, a reconnu Mme Bregeon, consciente que chaque vote désormais engage la survie politique du texte… et peut-être celle du gouvernement lui-même.
Rabah Aït Abache/AFP

