L’ancien ministre français de la Culture Frédéric Mitterrand est décédé jeudi 21 mars à Paris, à l’âge de 76 ans, après une lutte de « plusieurs mois contre un cancer agressif », a annoncé sa famille à l’AFP. Neveu de l’ancien président François Mitterrand et ministre sous Nicolas Sarkozy, cette personnalité inclassable, grand cinéphile, avait indiqué en avril 2023 être « malade », sans en dire davantage.
Évoquant son « immense tristesse », Nicolas Sarkozy a rendu hommage sur X à « un homme profondément cultivé et délicat, un être à part, sensible et attachant, une personnalité inclassable si loin de la vie partisane ». « Il fut un ministre de la Culture enthousiaste et passionné, qui exerça ses fonctions avec panache et talent. Il laissera ses films, ses livres, ses émissions comme autant de témoignages de son amour pour l’art et pour la culture », a-t-il ajouté.
Il y a la sensibilité poétique et le drame humain. Dans Madame Butterfly, sa sublime adaptation de 1995 de l’opéra de Giacomo Puccini, Frédéric Mitterrand fait surgir la candeur et la sincérité de Madame Butterfly, vouée à un destin tragique.
Frédéric Mitterrand a eu plusieurs vies, professionnelles et autres, avant de donner un titre de noblesse à son prénom. Souvent senti tirailler entre sa fascination pour le général de Gaulle et la pression sociale de se montrer loyal envers son oncle, il s’est longtemps auto-intitulé « le neveu pédé » de l’ancien président de la République François Mitterrand. Auprès du grand public, Frédéric Mitterrand est longtemps resté ce « mauvais garçon » qu’il avait dépeint dans son livre La mauvaise vie, publié en 2005.
Pour ses mérites et prises de risques en tant que scénariste, écrivain, acteur, exploitant de cinéma et réalisateur de documentaires et de films, il était très apprécié par une partie du milieu artistique et culturel. De nature joviale et doté à la fois d’un certain charisme et de pragmatisme, Frédéric Mitterrand était aussi bien chargé d’animation-production de télévision que de la direction de la prestigieuse ville Médicis. C’est ce poste à Rome qui lui a permis son envol dans les sphères politiques, poussant Nicolas Sarkozy à lui confier le ministère de la Culture en 2009.
L’héritage au ministère de la Culture
Face à l’immense héritage culturel laissé par son oncle François Mitterrand – la Bibliothèque nationale française, la pyramide du Louvre ou l’Institut du monde arabe, notamment –, le bilan de Frédéric Mitterrand ne pèse pas bien lourd.
Cela transparaît dans son propre livre La Récréation, publié en 2013. Dans ce journal des trois années passées en tant que ministre, il donne l’impression d’un homme plus occupé par ses pulsions sexuelles que par la culture. À part la décision de restituer à l’Égypte des fragments de peinture murale issus d’un tombeau de prince égyptien conservés au Louvre et son soutien en faveur de la restitution des têtes maories, le nom de Frédéric Mitterrand ne résonne pas très fort dans l’histoire du ministère.
Une fois au ministère, la polémique autour de La mauvaise vie
Pire, dès le début de son mandat ministériel, son roman La mauvaise vie lui colle à la peau. Vendue à plus de 200 000 exemplaires, la publication en 2005 n’avait pas provoqué de scandale. Mais, une fois Frédéric Mitterrand entré dans l’arène politique, les accusations de « tourisme sexuel » avec des « mineurs » se multiplient à l’encontre de cet homme ouvertement homosexuel et père de trois enfants, dont un fils naturel né en 1981 et deux fils (nés en 1989 et 1991) adoptés en Tunisie.
Frédéric Mitterrand revendique au départ La mauvaise vie comme un récit autobiographique. Puis, une fois la polémique éclatée, il continue à la fois à assumer et à regretter son recours à la prostitution masculine dans les maisons closes de Bangkok : il refuse toutefois l’accusation de pédophilie, assurant que « les garçons » mentionnés dans le livre avaient tous plus de 18 ans.
Ces dernières années, son engagement en faveur de son ami Roman Polanski, cinéaste en fuite de la justice américaine après plusieurs accusations de viols par des femmes alors mineures, n’a fait qu’empirer la réputation sulfureuse de Frédéric Mitterrand.
Du grand écran au petit écran
Né le 21 août 1947 dans le très bourgeois 16e arrondissement de Paris, Frédéric Mitterrand accumule dès son plus jeune âge les contradictions. Son père est ingénieur polytechnicien et haut fonctionnaire. Sa mère, nièce par alliance du cofondateur d’une organisation clandestine d’extrême droite, anticommuniste et antisémite, La Cagoule, fondée par des dissidents de l’Action française.
Cela n’empêche pas Frédéric, à l’âge de 12 ans, de faire une apparition dans Fortunat, un film d’Alex Joffé sur l’Occupation en France, aux côtés des acteurs Michèle Morgan et de André Raimbourg, dit Bourvil.
Diplômé de Sciences Po Paris en 1968, il tente sa chance comme exploitant et propriétaire d’une salle de cinéma, l’Olympic. Il devient l’un des premiers à projeter des films d’Ingmar Bergman, Akira Kurosawa et Yasujirō Ozu sur grand écran en France.
Mais, son aventure de créer un véritable réseau d’une dizaine de salles de cinéma « art et essai » se solde avec deux résultats : un grand respect de la profession pour la qualité de sa programmation et une toute aussi grande dette financière. Cette dernière l’oblige à vendre son petit empire cinématographique en 1986.
Dans la même année, il s’impose aussi à la télévision grâce à son émission sur le cinéma, Étoiles et toiles. Il poursuit sur le petit écran avec les émissions Acteur Studio, Permission de minuit, Destins ou Du côté de chez Fred. Cette dernière, devenue culte, a été arrêtée par la direction de la chaîne Antenne 2 en 1991. Mais il reçoit immédiatement après le prix 7 d’or, qui récompense les émissions du petit écran, en tant que meilleur animateur. Lors de la cérémonie, il prononce son discours, pose son trophée à terre, puis s’offusque en lançant la phrase : « C’est là où se trouve le service public ».
Malgré ce passage, Frédéric Mitterrand reste très demandé à la télévision et occupe plusieurs fonctions dans les institutions culturelles du pays, notamment dans le domaine du cinéma. De 2003 à 2005, il devient alors directeur général délégué chargé des programmes et de l’antenne de TV5 avant d’animer sur la chaîne LGBTQ+ Pink TV l’émission Ça s’est passé comme ça.
De l’Académie des beaux-arts au coronavirus et le cancer
Après la fin de son mandat de ministre de la Culture en 2012, il se fait plutôt discret. En 2018, Frédéric Mitterrand est encore appelé pour présenter une émission en dix épisodes : Écrivain au péril de la guerre. En février 2020, il est reçu à l’Académie des beaux-arts, sur le fauteuil du département cinéma et audiovisuel : ce dernier avait été précédemment occupé par l’actrice Jeanne Moreau.
En novembre dernier, il a publié aux éditions Robert Laffont Une drôle de guerre, un livre racontant l’histoire du combat de son frère Jean-Gabriel Mitterrand et de sa famille contre le coronavirus, attrapé en mars 2020. C’est non pas le coronavirus attrapé lors d’une célébration de Noël, mais une lutte de « plusieurs mois contre un cancer agressif » qui l’a emporté.
« La mort de Frédéric Mitterrand me bouleverse. Une amitié de plus de 60 ans nous liait d’une affection inaltérable. Il a tout au long de sa vie servi les arts avec passion, érudition et amour. Notre fidélité commune pour François Mitterrand nous unissait profondément », a réagi sur X (ex-Twitter) l’ancien ministre socialiste de la Culture Jack Lang.
Rfi