Dès le lendemain de sa promulgation, la Ve république était morte. Un texte conçu et mis en application par un homme, à sa dimension et à ses objectifs, le général de Gaulle. Il avait immédiatement fait comprendre que le texte le faisait roi mais que dans l’usage il se ferait empereur.
Je profite de la nomination du Premier ministre, Gabriel Attal, pour démasquer le mensonge de la Ve république par trois points constitutionnels la concernant. Ils sont très loin d’être les seuls mais ils ont l’avantage d’être en conformité avec le processus de nomination et les perspectives politiques permises par la constitution.
Le mensonge de l’article 8
Dans son premier alinéa :
Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.
Le Président a nommé Gabriel Attal, est-il le chef de la majorité ou un ténor de celle-ci ? Absolument pas, le Président aurait d’ailleurs pu nommer celui de son choix, l’épicier du quartier ou une vedette de cinéma.
Or dans un système parlementaire que la Vème république revendique être dans son socle, le Premier ministre est le chef de la majorité car c’est lui qui est en charge de mettre en œuvre (en principe) la politique gouvernementale. Dans une démocratie, celle-ci est l’émanation de la volonté majoritaire des représentants élus du peuple.
Depuis le général De Gaulle, il est en fait le « collaborateur », expression célèbre de Sarkozy, placé entièrement sous son autorité. C’est une profonde déviation du système parlementaire.
Quant à la seconde affirmation du premier alinéa, qui peut prétendre sérieusement que le Président ne pouvait limoger madame Borne que dans le cas d’une démission de sa part ?
Dans un véritable régime parlementaire, seul le Parlement peut voter une motion de censure qui l’oblige à démissionner. Il vote la confiance au Premier ministre et le démet de la pleine souveraineté majoritaire.
Dans son second alinéa :
Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.
Qui peut prétendre, au risque d’être ridicule, que c’est Gabriel Attal qui va choisir les ministres et les proposer au Président. Il va effectivement murmurer quelques propositions mais murmurer seulement. Et pour les postes régaliens, ce n’est pas un murmure, c’est un silence.
Dans un régime parlementaire, c’est le Premier ministre qui a entièrement la liberté de le faire et lui seul puisqu’il est investi par le Parlement.
L’article 20, foulé au pied
Avec cet article de la constitution nous sommes au cœur du détournement au profit d’une république monarchique.
L’article est assez long et se conçoit avec son extension dans l’article 21. Nous ne lirons que la première phrase, la plus retenue dans la mémoire car la plus évidente du détournement.
Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée …/…
Qui pouvait penser sérieusement un seul instant que le général De Gaulle allait laisser à son Premier ministre le pouvoir de « déterminer et conduire la politique de la nation » ?
La constitution étant bafouée dès le départ dans son esprit, tous les Présidents ultérieurs se sont gardés de revenir à la lettre du texte. Le plus grand détracteur de la Vème république, François Mitterrand (lire « Le coup d’état permanent »), fut probablement le plus caricatural des monarques républicains après De Gaulle en revêtant un habit qui lui allait à la perfection.
Le mode de scrutin, un solide allié du mensonge
Il n’est pas d’ordre constitutionnel mais législatif. La constitution, par son article 34, précise seulement que le régime électoral est du domaine de la loi.
C’est le scrutin majoritaire qui a toujours été choisi car il est le ciment fondamental qui garantit « artificiellement » la stabilité du régime institutionnel. La droite française, majoritairement gaullienne n’allait certainement pas le modifier car il lui a permis de rester très longtemps au pouvoir.
Quant à la gauche qui vociférait contre le détournement de la démocratie par le scrutin majoritaire, elle s’est bien gardée de le modifier lorsqu’elle est arrivée au pouvoir.
Nous le savons maintenant, ce n’est pas le scrutin majoritaire qui a maintenu la stabilité des institutions mais la florissante économie des Trente glorieuses (période économique faste de l’après-guerre).
La meilleure des preuves est la répétition des risques de crises politiques et institutionnelles avec l’absence inédite de majorité stable. Le scrutin majoritaire, détournement absolu de la démocratie, vient de prouver qu’il ne pouvait plus camoufler le problème sans le mirage des trente glorieuses qui lui avaient permis de construire sa fausse gloire.
Bonne chance à Gabriel Attal avec de telles perspectives. Peut-être réussira-t-il, l’histoire offre parfois des miracles.
Boumédiene Sid Lakhdar