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Gestion de la crise sanitaire du Covid-19 en Algérie : quelle stratégie gouvernementale ?

Gouverner et gérer c’est prévoir 

Gestion de la crise sanitaire du Covid-19 en Algérie : quelle stratégie gouvernementale ?

Avant d’aborder ce sujet je dois rappeler la proposition faite dans la contribution intitulée « quelle stratégie de prévention pour quel degré de protection » parue le 03 mars 2020 sur «Le Soir d’Algérie» et qui concerne l’élaboration d’une simulation de plusieurs scenarii catastrophe modélisant des cas probables au fur et à mesure de l’évolution de la contagion.

C’est l’unique approche moderne qui va servir de «tableau de bord et de manettes» pour les responsables de la gestion de cette crise, sachant qu’elle permettra de corriger et d’adapter les mesures de prévention et de protection et de déterminer tous les points faibles des activités de secours ainsi que les actions de réduction des impacts sur la population. Elle permet aussi de proposer l’aide à la décision en situation dégradée si cette crise venait à s’aggraver.

Malheureusement cette proposition est restée sans écho de la part des décideurs qui ont opté pour une approche de tâtonnement qui va certainement engendrer des résultats très préjudiciables pour l’avenir du pays sur les plans humain et économique.   

Dans la présente intervention les fondamentaux de la stratégie de prévention contre ce risque majeur  sur les plans évaluation, acceptation et maitrise de ce fléau sont élucidés. Afin de pouvoir statuer sur l’approche optimale de gestion de cette pandémie il est primordial de connaitre les capacités actuelles des pouvoirs publics à déployer les moyens humains et matériels indispensables à la maîtrise de la situation in situ.

Avant d’aborder cette problématique, en tant que président du Club des risques majeurs  je me dois de tenir compte des nombreux témoignages du personnel médical présent sur le terrain dont le cri d’alerte et de détresse lancé le 21/03/2020 sur la toile par Pr Bessedik Khadidja, chef de Service Psychiatrie Adulte hôpital Frantz-Fanon (Blida) décrivant une situation apocalyptique qui a eu lieu le 20 Mars 2020 dans cet hôpital suite « à la grève du personnel paramédical du Service de Réanimation à cause du manque de moyen de protection, ni bavettes, ni gants, ni gel, ni solution hydro-alcoolique, ni blouse jetable.

Rien absolument rien ! Les malades en isolement sont restés seuls et sans surveillance ni assistance pendant 7 h, Résultat c’est trois décès ce matin non déclarés sur les statistiques», témoignage poignant de la part d’une professionnelle prouvant son attachement sans faille à la l’éthique et la déontologie. 

C’est exactement les situations que nous avons vécues dans notre chair, en tant qu’experts actifs, pendant et après toutes les calamités qui ont secoué ce pays depuis le 10 Novembre 2001 (séismes, inondations, explosions gazières, invasions acridiennes, glissements de terrain, épidémie de la vache folle, grippe aviaire, H1N1, catastrophe au niveau du concert de Soolking au state du 20 août etc..). Il faut dire que la méthode choisie par les pouvoirs publics pour gérer cette crise sanitaire est fondamentalement identique aux précédentes approches simplistes et bricolées utilisées par la Issaba sans débat ni avis contradictoire engendrant des pertes considérables en vies et dégâts matériels.  

Il est clair que les faits rapportés par ce professeure, contredisent dans le fond et la forme toutes les statistiques annoncées quotidiennement par le Ministère de la santé et sa Commission de suivi profane n’ayant ni l’expérience, ni la formation spécifique dans le domaine aussi complexe et dangereux que celui de la gestion d’une catastrophe épidémique planétaire.

D’autre part ces éléments de réponse peuvent constituer un input crédible et fiable pour la quantification probabiliste du risque encouru par les populations. Malheureusement c’est toujours le retour à la case départ si on fait un bref «retour d’expérience »  des catastrophes vécues dans ce pays depuis les deux dernières décennies on peut affirmer que l’impréparation, l’absence totale d’anticipation et de stratégie de prévention vis-à-vis des risques majeurs, le manque d’explication  de la part du gouvernement ont engendré systématiquement un climat de psychose et d’incertitude chez les populations qui risquent en cas d’erreur de provoquer l’irréparable avec  la complexification des mesures de protection, de maîtrise et de sauvetage mises en œuvre sur le terrain au fur et à mesure de la graduation de cette contagion.

En effet avec le  passage de l’Algérie au state 3 pour le contrôle et la limitation de la propagation du Covid 19, nous voilà dans la situation tant redoutée de la co- catastrophe soit «l’Heure de Vérité pour les responsables de la Sécurité Nationale ». Qu’il s’agisse de l’occurrence d’un évènement naturel, technologique ou

Épidémiologique la notion de barrière constituée essentiellement par les mesures préventives (de défense) et de protection (sécurité) doit être déclenchée par les pouvoirs publics. Le plan ORSEC médical général  sera le premier élément de réponse pour une mobilisation effective de moyens adéquats tant sur le plan matériel que celui des équipes d’intervention pluridisciplinaires.

Trois phases sont nécessaires dans la gestion de la co-catastrophe à savoir :

  • La phase d’urgence ou phase rouge (déroulement des actions lors de la survenance de l’événement), c’est la situation actuelle du pays.

  • La phase d’évaluation et de contrôle systématique (tests, dépistages massifs des personnes).

  • La phase de traitement, de suivi et de protection.

Comme le risque zéro n’existe pas, quelle que soit l’importance des mesures préventives, il faut s’adapter pour faire face aux différents risques par la mise en œuvre de moyens humains et matériels appropriés. Les pouvoirs publics ont le devoir, une fois l’évaluation des risques établie, d’organiser les moyens de secours nécessaires pour faire face aux crises. Cette organisation nécessite un partage équilibré des compétences entre l’État, les experts indépendants et la société civile.

Comme le stipule la Loi 04/20 du 25/12/2004 relative à la prévention des risques majeurs et à la gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable, Le principe de précaution et de prudence «doit permettre la prise de décision de mesures effectives rationnelles et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages gravissimes aux populations, biens matériels et environnement, et ce malgré l’absence de certitudes scientifiques ou techniques». De plus les plans Orsec doivent être en mesure de mobiliser tous les moyens publics et privés. 

L’organisation des secours doit être conduite de manière à prendre en charge les segments d’intervention suivants :

  • Sauvetage et secours des personnes.

  • Evacuation vers des sites de confinement les personnes contaminés et vers les sites d’hébergement tous les sans-abris.

  • Sécurité et santé physique et mentale du personnel soignant et personnel de soutien.

  • Les life lines doivent restées opérationnelles à l’échelle nationale. 

Compte tenu de la gravité de la situation sanitaire il est important de bien cerner les principaux vecteurs posés par cette crise à savoir :

Comment prévenir les dommages, comment réduire l’ampleur et la graduation de cette épidémie qui s’étends comme un incendie dans une forêt desséchée, comment réparer ces dommages ?

Afin d’élucider cette problématique, les responsables en charge de la gestion de cette crise sanitaire se doivent de répondre aux questionnements suivants et ce en vertu du principe de participation qui recommande «que les populations en général et le citoyen en particulier ont le droit d’accès à toutes les informations relatives aux dangers encourus en matière de risques naturels, technologiques ou épidémiologiques» et de l’article 11 de la Loi n°04-20 qui stipule : « l’Etat assure aux citoyens un accès égal et permanent à toute information relative aux risques majeurs, notamment en matière de connaissance des aléas et des vulnérabilités de leur lieu de résidence et d’activité » à savoir :

  • Quelles sont les capacités exactes de tests et dépistage du Covid 19  (pas administratives) de l’Institut Pasteur et ses annexes ? 

  • Pourquoi le dépistage n’est pas généralisé à tous les citoyens ?

  • Quelle est la durée d’un test dans ces centres (12h, 6h, 4h, ou 2h ???) ?

  • Quelle est la fiabilité de ces tests ?

  • Pourquoi le test ultra rapide de dépistage ne dépassant 15 minutes utilisés en Corée du Sud, Dubaï etc… n’a pas été prévu dans ce pays ? 

  • Quel est l’état de stock du matériel jetable : masques FFP2, bavettes, blouses, lunettes de protection, gants… ? 

  • Quel est l’état psychique du personnel soignant ?

  • Quel est  le taux de transmission ?

  • Quel est le nombre de lits de réanimation disponible au niveau national ?

  • Quel est le nombre de respirateurs disponibles ?

  • Pourquoi aucun hôpital mobile de réanimation n’a été déployé par les pouvoirs publics ?

  • Quelles sont les modes de contagion ?

  • Pourquoi les courbes d’évolution statistiques des contaminés positifs, du nombre de malades  par tranche d’âges, du taux de morbidité et de mortalité et les courbes d’interaction sont absentes dans tous les communiqués du Ministère de la santé ?

  •  Comment peut-on anticiper l’évolution des différents paramètres sur le plan probabiliste en l’absence de toutes ces données ?

  • Enfin pourquoi l’impact sur l’économie n’est pas anticipé par les pouvoirs publics pour l’après catastrophe?

Sans une réponse précise aux points suscités il serait impossible de concevoir les modèles numériques correspondants à l’évolution de l’épidémie ni de déterminer les points d’inflexion et les pics des courbes de prévision indispensables à une prise de décision mesurée  par le Haut Conseil de Sécurité.  

En effet, compte tenu de la situation gravissime et du manque de moyens médicaux à l’échelle nationale, au lieu et place d’un confinement général et d’un état d’urgence sanitaire qui permettraient de mieux contenir et contrôler la graduation de cette épidémie voilà que les pouvoirs publics viennent de décréter la levée d’interdiction sur certains commerces (pièces détachées, mécaniciens, quincailleries etc…) inutiles et sans aucun impact sur l’économie du pays, bien au contraire c’est un signal fort pour la population pour baisser la garde. C’est un décret qui va en l’encontre des systèmes de veille et d’alerte véritable soubassement de toute politique de prévention et de protection dans la gestion d’un risque majeur.    

Dans ce contexte il est primordial de savoir sur quelles données statistiques et par rapport à quel modèle mathématique cette décision a été prise ?

Il faut rappeler aux décideurs que la gestion du risque n’est pas «un jeu de téléréalité» mais un processus itératif et intelligent qui aide à la détermination des moyens de protection et de prévention et  obéit aux étapes suivantes :

  •  Identification des sources et des situations de dangers.

  •  Détermination du niveau de gravité. 

       Ceci doit répondre à une double logique :

– Une logique de prévention pour réduire les effets de l’épidémie et sa contagion sur les personnes et qui s’inscrit tout naturellement dans une démarche de développement durable puisque la prévention s’efforce de réduire les conséquences économiques, sociales et environnementales d’un développement imprudent de la société, à la différence de la réparation qui, nécessairement, suit une crise ;

– Une logique d’intervention instantanée au moment où survient l’événement dommageable comme la présente épidémie.

Les deux logiques sont complémentaires car si la prévention n’est pas suffisamment mise en œuvre, les pouvoirs doivent se résoudre à engager des dépenses colossales pour assurer la gestion, puis la réparation des dégâts parfois très importants avec des pertes en vies humaines considérables.

Compte tenu de la complexité de ces opérations, il est fortement conseillé de prévoir en urgence un centre de commandement opérationnel alternatif dont la mission principale serait la coordination, la mise en œuvre  et le suivi du déroulement des mesures de prévention, de protection et de secours. Cet organe doit regrouper tous les experts et compétences ès qualité en partenariat avec le gouvernement dans le seul but d’améliorer la qualité de mise en œuvre des stratégies nationales pour atteindre les cibles fixées pour la réduction de la propagation de ce fléau mais surtout proposer les mesures à suivre lors de la phase post-crise.

Pr. Abdelkrim Chelghoum, Directeur De Recherche (USTHB)

Pr Associé (ENA)

Dr du Cabinet G.P.D.S (Génie Parasismique, Gestion des risques et catastrophes) 

 Président Club des Risques Majeurs

Auteur
Pr. Abdelkrim Chelghoum,

 




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