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Grandeur et misère du patrimoine (II)

Marqueur d’identité, porteur de repères culturels et maillon de l’économie

Grandeur et misère du patrimoine (II)

De nombreux sites archéologiques de haute importance comme le mausolée Medghacène ont subi d’énormes dégradations.

Patine du temps et mépris des hommes

L’équipe dirigée par l’Algérienne Aïcha Malek, qui a travaillé pendant quatre ans sur le site historique de Lambaesis dans le cadre de la coopération algéro-française a exhumé plusieurs pièces archéologiques de valeur et a surtout mis au jour la mosaïque dite de Phrixos et Hellé, dénommée Le sacrifice manqué, pièce unique dans son genre. Les membres de l’équipe des archéologues avancent que des informations importantes ont été recueillies sur le site historique de Lambèse en rapport avec l’architecture, la construction, le décor et les mosaïques au cours de la période allant du 2e au 4e siècle.

Depuis que des sites archéologiques, à ciel ouvert ou enfouis sous terre, et des monuments historiques parsemant le territoire algérien ont commencé à être inventoriés et classés sous l’administration coloniale, une grande partie d’entre eux ont subi la patine du temps et surtout le mépris et l’agression des hommes. Les pouvoirs publics continuent à procéder à l’opération de classification au fur et à mesure que les chercheurs et les techniciens en la matière soumettent des dossiers et des fiches techniques inhérents aux sites à préserver et à classer.

L’on apprend ainsi que 400 sites culturels et monuments ont été classés depuis 1999. De même, treize secteurs ont été protégés et trois nouveau parcs ont été créés depuis cette date (parcs de l’Atlas saharien, de Tidikelt et de Tindouf).

La loi 98-04, qui a remplacé le décret de 1967 hérité de l’administration française, a permis, selon d’ »élaborer des plans pour protéger les secteurs protégés, les sites archéologiques ainsi que l’adoption de règles juridiques définissant les normes et les conditions de rénovation » (2), selon l’ancienne ministre de la Culture.

Le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, a affirmé, le mois d’avril dernier, que « l’Etat protège et préserve le patrimoine matériel et immatériel », précisant que « plus de 1000 agents de sécurité relevant de l’Office national de la protection des biens culturels sont en charge de cette mission (…) L’aménagement des sites archéologiques exige la mobilisation des moyens, des enveloppes financières et des expertises en matière de protection et d’aménagement » (3).

En tout état de cause, l’Algérie est appelée à faire d’immenses efforts tendant à protéger les mille et une richesses qui garnissent les différents points du territoire national. Ces efforts sont surtout ceux relevant des modalités de l’application des lois et règlements relatifs à la protection des sites culturels et naturels. Cela est d’autant plus nécessaire que notre pays est signataire des lois et conventions internationales, à l’image de la convention de Ramsar (1971) relative à la protection des zones humides et à la convention de Paris (1972) relative à la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel.

Les atteintes et les faiblesses dont souffrent les sites et biens culturels ou naturels affectent, de façon aussi aiguë, les métiers d’artisanat et les produits du terroir; ce qui constitue, en quelque sorte, l’ancienne économie. Une économie qui suppose des connaissances, un savoir-faire et des pratiques; donc, une culture. Ces pratiques et connaissances ont été transmises par la mémoire de génération en génération, jusqu’à, disons, la période « pré-pétrolière » ou « pré-rentière » de notre économie. L’activité de masse dans les métiers d’artisanat et des produits du terroir s’est approximativement « éteinte » au milieu des années 1970. C’était le moment d’inflexion, la césure entre les métiers liés au monde rural et l’agriculture, d’une part, et le début de la massification du travail salarié, doublé d’une intense mobilité due à l’exode rural, d’autre part.

Un maillon de l’activité économique

Aujourd’hui que la crise des prix des hydrocarbures est devenue une réalité qui s’est inscrite dans la durée, le discours sur la diversification de l’économie nationale- censée réduire la dépendance du pays vis-à-vis des hydrocarbures, et travailler ainsi pour assurer sa sécurité économique- a investi presque toutes les instances administratives et les structures techniques, sans que des perspectives réelles et tangibles puissent être dégagées dans ce sens. L’amélioration du climat des affaires, tendant à favoriser l’émergence d’un nouveau processus d’industrialisation du pays, peut contribuer à cet objectif majeur de la sécurisation économique du pays et à la création d’une plus-value sociale susceptible de rehausser le niveau de vie des populations et de réaliser les objectifs de développement humain. Cependant, tout en étant un maillon fort de la chaîne du processus du développement du pays, l’industrie a besoin d’être complétée par d’autres activités génératrices de richesses, de revenus et de postes d’emplois.

L’Algérie n’a pas encore exploité toutes ses potentialités en la matière. Agriculture, agroalimentaire, transferts financiers de la diaspora algérienne, tourisme, artisanat et d’autres créneaux encore, ont besoin d’être explorés, étudiés et proposés à l’investissement. À lui seul, l’artisanat peut jouer un rôle non négligeable dans la renaissance de l’économie familiale. Des pays voisins, à l’image du Maroc, ont fait de ce secteur un maillon important de l’économie, faisant vivre des milliers de ménages, particulièrement dans une heureuse jonction avec l’activité touristique, grosse consommatrice de produits artisanaux, sans négliger les opérations d’exportation vers l’étranger. Les consommateurs étrangers de produits locaux sont ainsi doublement ciblés: par l’achat local lors des déplacements de touristes et par l’exportation.

La relance de ce secteur en Algérie n’a pas encore bénéficié de toutes les conditions requises, et ce, nonobstant la présence établie de pratiques et de traditions fort étendues, résultant de la transmission intergénérationnelle, et ce, malgré les aléas charriés par les impératifs et les travers de la nouvelle économie.

Des pans entiers de la mémoire collective, de savoir-faire et de précieux métiers dépérissaient au moment où le pays était englué dans la rente pétrolière. Une aisance qui a autorisé toutes les dérives, à commencer par l’importation de produits estampillés « artisanat » et qui relèvent souvent de la pacotille.

Au cours des grands salons et festivités d’artisanat, d’envergure nationale ou mondiale, la haute administration affiche souvent de grands objectifs, comme celui de promouvoir le produit artisanal local et « le mettre en concurrence avec les produits étrangers ». Tout un défi à relever au moment où l’économie nationale a besoin d’un nouveau souffle et la culture algérienne d’un nouvel air qui la fasse connaître aux quatre coins du monde. Car, le produit d’artisanat, outre qu’il a une valeur d’usage et d’échange, surtout porteur de valeurs culturelles du pays qui le fabrique; une sorte de « marqueur » d’identité.

Les méthodes et procédés de production, tout en gardant leur marque d’activité artisanale, ne peuvent être figés dans le temps. Leur modernisation- pour réduire les coûts de production, améliorer qualitativement le produit (forme, galbe, couleur, dimensions,…)- est une nécessité inscrite dans la logique d’évolution des métiers. Les pouvoirs publics ont toujours avancé cette ambition de bâtir des « passerelles », de créer une fertile confluence entre les produits de l’artisanat et du terroir, d’une part, et le secteur du tourisme, d’autre part. Ce sont deux segments qui, partout dans le monde, se fécondent mutuellement et interagissent aussi bien sur le plan symbolique (culture, identité, mémoire) que sur le plan commercial et économique.

Néanmoins, la réalité du terrain est beaucoup plus nuancée, entendu que ces deux secteurs ont longtemps pâti des conditions générales du pays qui ont projeté notre économie sur la pente glissante de la rente pétrolière, maintenant ainsi à la marge non seulement le tourisme et l’artisanat, mais aussi l’agriculture, la pêche et tous les gisements des produits du terroir.

Pot de terre contre pot de fer ?

Les populations algériennes ont su, par le passé et jusqu’à il y a une quarantaine d’années, exploiter et transformer les ressources que leur a offertes la nature, pour en faire une source de vie et de revenu, mais également un produit culturel marqueur d’identité, d’une mémoire et d’esthétique bien spécifiques. Les métiers ancestraux- tapisserie, dinanderie, joaillerie, poterie, vannerie, etc…-, sont les témoins d’un labeur, d’une adresse, d’un savoir-faire, d’une industrie (au sens étymologique du mot), d’une vision esthétique et symbolique bien particuliers, constitutifs de la personnalité, de la mémoire et de l’identité de tout un peuple.

Néanmoins, ce patrimoine, dont on essaye d’arborer les atours dans les occasions festives (salons de l’artisanat, ateliers, concours), qui se déroulent au niveau national ou à l’étranger, est aujourd’hui franchement menacé dans son existence. Il n’y a pas que le manque d’intérêt des pouvoirs publics ou leur inaction qu’il faudrait montrer du doigt, mais également la politique générale du gouvernement sur le plan du commerce extérieur qui a permis d’inonder le marché avec une « braderie » de faux artisanat venant de Chine et d’autres pays qui nous présentent une fabrication industrielle en série, « typée » en strass, sous forme de pièce artisanale prétendue de haute extraction culturelle.

Pourtant, l’Unesco définit l’artisanat en ces termes: « On entend par produits artisanaux les produits fabriqués par des artisans, soit entièrement à la main, soit à l’aide d’outils à main ou même de moyens mécaniques, pourvu que la contribution manuelle directe de l’artisan demeure la composante la plus importante du produit fini… La nature spéciale des produits artisanaux se fonde sur leurs caractères distinctifs, lesquels peuvent être utilitaires, esthétiques, artistiques, créatifs, culturels, décoratifs, fonctionnels, traditionnels, symboliques et importants d’un point de vue religieux ou social » (4).

L’action ou le concours des pouvoirs publics est moins à chercher dans la mobilisation des fonds souhaités pour le soutien du créneau de l’artisanat, que dans la régulation et la réglementation du commerce extérieur, ainsi que dans l’accompagnement des artisans dans l’acquisition de la matière première, la formation et la recherche de débouchés commerciaux. Avec un tel encadrement de l’activité artisanale, s’il arrivait à se mettre en place, les experts misent sur la possibilité de créer quelque millions d’emplois dans ce secteur, compte non tenu des activités liées aux produits du terroir (figue, cerise, miel, glands de chêne, fraise, arbouses, châtaigne,…).

Dans un monde en pleine globalisation, où l’industrie et les nouvelles technologies de l’information et de la communication constituent les produits essentiels d’une uniformisation rampante des valeurs culturelles et de la vision esthétique, les produits d’artisanat- à côté des autres produits culturels (chansons, littérature, peinture, théâtre, contes,…)- peuvent constituer l’ « exception » qui sauvera les spécificités identitaires et contribuera à la connaissance et à l’enrichissement mutuels des peuples. Ce que l’Europe a voulu défendre face à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sous la dénomination d’ « exception culturelle », peut bien être appliqué aux produits d’artisanat, émanant d’un fonds culturel authentique, considéré comme porteur de la richesse de toutes les valeurs de l’humanité. À condition que le pays producteur en fasse, le premier, une valeur sacrée qui transcende le simple aspect commercial, même si elle y est soumise.

A. N. M.

Renvois

(2) El Moudjahid du 15 octobre 2011

(3) APS du 13 avril 2017

(4) http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/creativity/creative-industries/crafts-and-design/

Auteur
Amar Naït Messaoud

 




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