Le droit de grève est en France un droit inscrit dans le préambule de la constitution, élevé au rang de droit fondamental. Interrogez tous les agriculteurs grévistes, ils vous répondront spontanément et très légitimement que c’est un droit absolu et garanti par la norme suprême.
Oui mais voilà, comme pour l’expression « errare humanum est », la mémoire collective ne retient jamais la suite, «…perseverare diabolicum ». L’erreur est humaine mais persévérer est diabolique. Nous l’avons déjà précisé dans un article du Matin d’Algérie.
Il en est de même pour l’affirmation constitutionnelle du droit de grève inscrit dans la constitution de la IVe République de 1946 et repris dans l’alinéa 7 du préambule de la constitution de la Vème République de 1958.
«Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ». Jamais les agriculteurs ou aucun autre gréviste ne saura vous dire l’entière phrase car soit elle ne les arrange pas, soit ils ne la connaissent pas.
Ce que le public retient des droits fondamentaux est qu’ils sont absolus. Ils le sont dans leur principe, mais pas entièrement dans leur application. Tous les droits fondamentaux sont conçus avec une limite.
Envisagerait-on une liberté d’expression sans des lois qui lui interdisent la calomnie, les injures ou l’atteinte à la dignité humaine ? Assurément non. Ce sont les lois votées par les élus qui définissent le champ des restrictions.
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Il est vrai que le périmètre des restrictions diffère selon les pays. Ainsi le second amendement de la constitution américaine prévoyant la liberté d’expression est quasiment illimité dans son étendue.
Le droit de grève en France a depuis très longtemps bafoué les lois « qui le réglementent ». Ces lois sont souvent suivies de jurisprudences qui les précisent ou les renforcent.
Or ces lois interdisent les grévistes à bloquer la libre volonté à la continuation du travail par les autres ou à dégrader les biens privés ou publics ou restreindre d’une manière générale la liberté des autres.
Où est la liberté de circuler, autre droit fondamental prévu dans la Constitution, par les blocages des principaux axes routiers de France ? Où est la liberté de se rendre au travail et ainsi de suite.
Essayons de nous pencher sur la raison historique du droit de grève. Les rédacteurs de la constitution comme les législateurs pour les lois ont estimé que le contrat de travail était par nature déséquilibré. En droit, la jurisprudence a privilégié un élément fondamental pour le distinguer du contrat avec un indépendant, c’est le « lien hiérarchique » entre l’employeur et le salarié.
Pour éviter les conflits, plus que pour la justice sociale, le droit de grève a voulu rétablir l’équilibre des forces. Chacun ayant un intérêt à ne pas entrer dans un conflit, les uns par crainte d’une perte de salaire, les autres par une perte de revenu. Ainsi la menace pèse sur les deux et les oblige à des négociations, salutaires pour eux et pour la société (consommateurs, usagers…).
La grève des agriculteurs est en principe hors la loi. Elle l’est par le blocage systématique en dehors du lieu de travail ou par des manifestations non autorisées par l’autorité publique.
Mais pour les agriculteurs, le biais juridique est encore plus notoire. La plupart des grévistes ne sont pas des salariés mais des propriétaires, par définition des indépendants.
Que viennent-ils faire dans une grève ? Ils ne sont pas dans le cadre de l’entreprise mais dans celui d’une contestation face aux lois et décisions publiques. Le droit qualifie la grève uniquement par les revendications ayant un lien direct avec l’entreprise et les décisions patronales les concernant.
Quant aux fonctionnaires, même s’ils ne sont pas inclus dans le code du travail, leur statut prévoit la grève envers « un patron » qui est la collectivité territoriale ou l’Etat.
La dénomination de grève pour les agriculteurs n’est donc pas justifiée. L’Etat n’est pas le chef d’entreprise, encore moins pour les indépendants et les revendications ne sont pas celles concernant un conflit d’entreprise.
Mais alors c’est quoi ? La nature des revendications est d’ordre politique puisqu’elle concerne la remise en cause des lois et des directives européennes.
Les agriculteurs, par leur mouvement, se substituent à ceux qui en ont le pouvoir, soit les élus et les partis politiques. C’est l’article 4 de la constitution qui précise « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage… ».
Ainsi, le blocage des points d’accès routiers n’a rien, absolument rien à avoir avec le droit de grève.
Dans cet article, je me suis cantonné à la question juridique, souvent perçue comme hors du sentiment et de la prise en compte de l’humain.
L’auteur de cet article a un tout autre jugement par son opinion politique personnelle. Mais si on ouvrait la porte du droit au sentiment, à quoi servirait-il car chacun a son opinion.
Le droit est froid et implacable car il doit assurer la protection de tous. C’est la politique qui est humaine. Alors que les agriculteurs ne se parent pas du droit de grève mais se revendiquent en mouvement politique. C’est tout à fait possible car la Constitution n’interdit pas sa création par un groupe ayant une origine professionnelle identique.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité