Dans la région de Kiev, les troupes ukrainiennes découvrent un tableau de destruction et de mort à la faveur du retrait russe. A Boutcha, le maire évoque 300 victimes. Un charnier qui nourrit les soupçons d’exactions.
Le nom de Boutcha, autrefois paisible banlieue de Kiev, restera sans doute comme un des symboles de l’horreur de la guerre en Ukraine. Près de 300 morts ont été retrouvés dans cette ville après le retrait de l’armée russe, a témoigné son maire Anatoly Fedorouk samedi 2 avril. Sur les images prises sur place, des dizaines de corps gisent dans les rues. Redéployés dans l’est du pays, les soldats russes laissent derrière eux, dans les villes qu’ils occupaient près de Kiev, un terrible tableau de destruction et de mort, progressivement découvert par les Ukrainiens et les journalistes.
Des cadavres qui jonchent les trottoirs
Les premières images parvenues de Boutcha, samedi, étaient filmées depuis des véhicules forcés de slalomer entre des cadavres étendus sur la chaussée d’une des rues principales de la ville. Un journaliste de l’AFP y a dénombré une vingtaine de morts, tous des hommes. Impossible de déterminer dans l’immédiat s’ils ont été « abattus d’une balle à l’arrière de la tête », comme l’affirme le maire de la ville. Mais au moins un de ces hommes présente une blessure à la tête. Un autre a les mains liées derrière le dos. Un cadavre est toujours sur le vélo sur lequel il se trouvait à sa mort. Ils semblent être là depuis plusieurs jours.
Au total, 287 morts ont été retrouvés, détaille Anatoly Fedorouk, interrogé par franceinfo. « Nous n’arrivons même plus à les compter », témoigne un aumônier, Anatoli Kushnirchuk, qui anticipe un bilan plus lourd encore : « Plusieurs de ces cadavres sont dans des caves ou dans des endroits où les terroristes russes ont jeté des grenades. On ne s’en est pas encore occupé. »
Avant l’arrivée de l’armée russe, Boutcha comptait 37 000 habitants. Les images d’avant la guerre laissent entrevoir une paisible banlieue arborée. Elle est aujourd’hui dévastée par les cratères d’obus, ses bâtiments brûlés ou détruits, ses rues jonchées de carcasses de voitures, dont au moins une est criblée de balles, selon l’AFP. La ville a eu le malheur de se situer à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Kiev, à mi-chemin entre deux cibles prioritaires de l’armée russe : Hostomel, dont elle a tenté de prendre l’aéroport dès le premier jour de l’invasion, et Irpin, porte d’entrée de la capitale où a eu lieu d’intenses combats.
Des civils abattus dans leur voiture
Le retrait des forces russes et la libération des alentours de Kiev, revendiquée par l’Ukraine, a également permis de découvrir l’ampleur des dégâts à Irpin. Un reportage de France 2 montre une ville ravagée par les bombardements, où on découvre également dans les rues les cadavres d’habitants qui semblaient chercher à fuir.
Un peu plus au sud, l’armée russe tenait également jusqu’à ces derniers jours une autoroute reliant Kiev à l’ouest de l’Ukraine. Une équipe de la BBC rapportait vendredi y avoir compté 13 corps carbonisés, dont certains apparaissent également sur les images d’un photographe ukrainien. Des images filmées au drone par des volontaires ukrainiens et obtenues par la BBC montrent des soldats russes abattre un couple de civils en route vers Kiev qui tentait de faire demi-tour après avoir aperçu un tank. Leurs corps se trouvent encore sur place.
Dans ces zones ravagées par les combats, les Ukrainiens découvrent également des mines et des projectiles n’ayant pas explosé, qui compliquent l’exploration des lieux et continuent de mettre en danger les civils et les soldats. Selon les services d’urgence ukrainiens, 643 engins explosifs ont été désactivés depuis le départ des forces russes rien qu’à Irpin et Boutcha. Vendredi, Volodymyr Zelensky accusait les Russes d’avoir piégé certains cadavres, des propos difficiles à vérifier à l’heure actuelle.
Des crimes de guerre documentés
Des témoignages recueillis par Human Rights Watch lèvent le voile sur ce qui s’est passé dans ces zones occupées par l’armée russe. A Boutcha, un témoin dit avoir vu les soldats arrêter cinq hommes, les forcer à s’agenouiller au bord d’une route et tuer l’un d’eux d’une balle derrière la tête. A Staryi Bykiv, à environ 80 km à l’ouest de Kiev, une femme dit avoir assisté à l’arrestation de deux hommes, dont son fils, puis avoir vu leur corps et ceux de quatre autres victimes exécutées. Dans un autre village près de Kiev, un homme a raconté à l’ONG avoir été menacé d’être abattu, car les soldats avaient découvert un fusil de chasse dans sa maison. Un autre témoignage porte sur des viols répétés par des soldats et d’autres sur des pillages. Ces actes « devraient faire l’objet d’enquêtes en tant que crimes de guerre présumés », estime Hugh Williamson, le directeur de Human Rights Watch en Europe, dans le communiqué de l’ONG.
#Irpine à l'Ouest de #Kiev. Les combats se sont arrêtés il y a 3 jours. Les Russes se retirent progressivement laissant derrière eux des obus qui n'ont pas explosés plantés dans le macadam, des immeubles éventrés et des civils sonnés qui disent revenir de l'enfer. #Ukraine pic.twitter.com/bgmDMr7SDe
— Thibault Lefèvre (@thibaultlefevre) April 2, 2022
La découverte du charnier de Boutcha a provoqué de vives réactions internationales. Le président du Conseil européen, Charles Michel, s’est dit « choqué par les images obsédantes des atrocités commises par l’armée russe dans la région libérée de Kiev ». Sur Twitter, Liz Truss, la ministre britannique des Affaires étrangères, s’est dite « horrifiée par les atrocités à Boutcha et d’autres villes en Ukraine ». Tous deux affirment que le Royaume-Uni et l’UE participent à la collecte de preuves en vue dans le cadre de l’enquête déjà ouverte par la Cour pénale internationale sur les crimes commis en Ukraine.
Dans son message, le chef de la diplomatie ukrainienne a partagé des photos des horreurs commises et exigé de nouvelles sanctions contre la Russie. Francetvinfo