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Hadj M’rizek : entre chant et sanglots chaâbis

Il a chanté le hawzi et le chaâbi pendant plus de deux décennies. Sa voix unique, où la complainte merge quasiment en sanglots, est reconnaissable aux premières intonations.

Hadj M’rizek fait partie des pionniers de la nouvelle musique populaire qui déferlait sur la Casbah d’Alger pendant la première moitié du XXe siècle. Il fait partie des grands maîtres qui ont donné ses lettres de noblesse au chaâbi algérois.

Bien que d’origine kabyle, il semble qu’il n’ait jamais chanté dans la langue de ses parents.

Du temps où ne régnait que fraternité entre juifs et musulmans d’Algérie, il s’était produit sur scène avec l’inclassable Lili Boniche, le plus arabe des juifs algériens !

Avec son look de « dandy », dans son habillement et ses manières aristocratiques, Hadj M’rizek n’est pas sans rappeler l’allure élégante du rossignol kabyle Allaoua Zerrouki.

Biographie

De son vrai nom Arezki Chaïb, Hadj M’rizek est né en 1912 à la Casbah d’Alger au sein d’une famille kabyle et mort le 12 février 1955 à Alger.

Hadj M’rizek s’intéresse à la musique grâce à son demi-frère, organisateur de spectacles. Il suit les représentations des vedettes de l’époque, comme Mustapha Nador.

M’rizek fait un apprentissage musical classique (tar, darbouka) avant de faire de la mandoline alto – appelée demi-mandole par les musiciens – ne devienne son instrument de prédilection. Il apprend les grands textes de la poésie populaire et travaille différents types de chants en commençant d’abord par le Hawzi avant de se mettre au Chaâbi. M’rizek avait des qualités artistiques que sont la clarté de l’expression verbale et son sens inné du rythme. C’est le premier artiste qui réussit à faire sortir le Chaâbi hors de la Casbah d’Alger.

À tout juste 17 ans, il devient la star de la casbah en 1929 et participe à des fêtes à Dellys, Cherchell et dans le M’zab. Sa renommée arrive en métropole où il débarque et enregistre plusieurs 78 tours. En 1937, il fait son pèlerinage à la Mecque et devient hadj. Il devient aussi vice-président du Mouloudia Club d’Alger. En 1951, du temps où juifs et musulmans se côtoient en toute fraternité, il fait un concert avec Lili Boniche et enregistre El Mouloudia, son plus gros succès. Il meurt le 12 février 1955. M’rizek est enterré au cimetière d’El Kettar.

Complètements fournis par Fodil Fellag, frangin de notre humoriste national

M’rizek est le demi-frère de Rouiched. Ils étaient originaires de Kanis, à quelques minutes de marche à l’est de mon village, Aït Illoul. D’ailleurs, la petite colline qui nous sépare s’appelle Thighilt n’Kanis. Kanis est prononcé avec le k kabyle, comme le ich allemand. Rouiched et M’rizeq avaient au moins un autre frère, un musicien qui a joué avec El Anka. Je crois qu’on l’appelait Mohand Aroumi, à cause de sa physionomie européenne, aussi surnommé Q’hiwdji (diminutif de qahwadji). Le plus vieux frère semble avoir été l’ami de Si Muh U M’hend à Alger, d’après El Anka, dans une interview accordée à Kateb Yacine. À noter que dans cet entretien, El Anka mentionne bien sa relation tumultueuse avec M’rizek. Ceux qui ont fréquenté notre Cardinal disent qu’il était peu indulgent, voire féroce, avec tous les autres chanteurs de Chaâbi de son époque. Quasiment sans exception. Une anecdote confirme cela : M’rizeq serait allé voir le luthier italien qui fabriquait les mandoles d’El Anka pour lui demander de lui fabriquer un instrument identique à ceux du Cardinal. Après l’avoir essayé, dit-on, M’rizeq revient se plaindre que l’instrument ne produisait pas le même son. Le luthier lui aurait alors répondu : « Je peux vous fabriquer le mandole d’El Anka, mais pas ses mains. » Kateb Yacine lui a demandé si cette anecdote était vraie et notre Cardinal la confirme bien dans l’interview.

Rouiched et Moh-Saïd Fellag, en 1968 – 1969

En ces temps-là, Moh-Saïd était à l’Ecole d’Art Dramatique de Bordj-El-Kifan. Il partageait une chambre avec Mustapha Ayad, comédien et fils de Rouiched. Le premier jour, Mustapha Ayad engage la conversation avec lui :

– Je sais que tu es kabyle. De quelle partie de Kabylie es-tu originaire ?

– Azeffoun ! répond Moh-Saïd.

–  Non, je ne te parle pas de moi, je te demande d’où tu es, toi ! lui rétorque Mustapha Ayad.

– Mais, bien évidemment que je te parle de moi-même ! Je suis originaire d’Azeffoun. Pourquoi, tu es d’Azeffoun, toi aussi ?

Mustapha Ayad bondit hors de son lit, tout excité et se rapproche de Moh-Saïd, comme s’il venait de retrouver un frère perdu de vue depuis longtemps. Quand il apprit que nos villages étaient tout près l’un de l’autre, il a insisté pour qu’il vienne passer le weekend chez eux à El Biar, l’assurant que son père serait très content de rencontrer un jeune mmis n tmurt qui est né et grandi là-bas. Moh-Saïd y est allé, heureux de rencontrer le grand Rouiched qui a été très sympathique et accueillant. Moh-Saïd a invité Mustapha Ayad plusieurs fois chez nous à Tizi Ouzou par la suite. Un jour, au début des années 1970, j’étais au marché hebdomadaire du jeudi à Azeffoun, et j’ai vu Mustapha Ayad et son frère cadet transportant chacun un agneau sur leurs épaules. Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient et ils m’ont appris qu’ils se dirigeaient vers le village d’origine de leur père pour renouer avec leurs racines. Les deux moutons étaient pour la waâda. Deux agneaux étaient largement suffisants pour un village si petit.

Kanis c’était aussi le village du mari de H’nifa, un type malfamé. Un petit truand qui l’enchaînait dans le « adaynine » (étable) avec les bœufs pour l’empêcher de s’enfuir, ce qu’elle a tout de même réussi à faire. Elle en parle dans la chanson « Lukan d argaz ay telliḍ, a ţedduḍ d w at ukeṛṭuc, imi d axeddaɛ amcum lmut ik daxel u tercuc » allusion au fait qu’il avait été tué par la gendarmerie française comme truand et non comme moudjahid.

Parmi les grands succès de Hadj M’rizek, citons : Ya Rebbi Sahelli Zora, Mesbah Ezzine, Yal qadi, El bla fi el-kholta, Youm el djemaâ kherdjou leryam, Lellah ya ahli aâdrouni.

Pour le plaisir des oreilles, nous vous proposons l’une de ses grandes interprétations : Y’a El-qadi.

Kacem Madani

 

 

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