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« Hallucine», un roman orwelien qui dissèque l’histoire récente de l’Algérie

PUBLICATION

« Hallucine», un roman orwelien qui dissèque l’histoire récente de l’Algérie

« Hallucine » tel est le titre du premier roman de Smail Mehnana paru récemment aux Editions «El Djazaïr Taqra’».  

Le roman raconte l’histoire de Haouas, étudiant à Alger, qui assiste à l’apparition d’un mystérieux virus : « Hallucine », dans sa cité universitaire. Le jeune étudiant développa une immunité contre le virus et sera un témoin privilégié de la progression et des ravages du virus.

Dans la cité universitaire, aucun jour ne passe sans son lot de nouvelles victimes ; un étudiant qui habite telle chambre commence tout à coup à entendre une voix mystérieuse qui émane des profondeurs de ses entrailles et c’est aussitôt l’imam de la cité universitaire qui le prend en charge. Ce dernier arrive à communiquer avec la voix, non pas en utilisant le Coran comme dans la roqia traditionnelle, mais plutôt en utilisant une langue décousue, embrouillée, un galimatias proche du délire.

Ce fait augmente le prestige de l’imam dont le rôle va s’agrandir au fur et à mesure de la progression du virus. Bientôt les gens frappés de l’Hallucine deviennent la majorité dans la ville et s’organiseront sous la houlette de l’imam pour dicter leurs lois à toute la société.

Pour les scientifiques, l’Hallucine est un « défaut d’intellectualisation », la résurgence d’un virus qui vient des profondeurs du passé où il a déjà fait des millions de morts il y a quelques siècles. Mais pour l’imam, l’Hallucine n’est autre qu’un « excès de zèle religieux ».

Le virus se propagea vite dans la société et avec lui les cas de disparitions soudaines. Les gens atteints formèrent des groupes à part dans la société et deviennent une secte qui ne cesse de se développer avec « tumulte et fracas telle une tempête tropicale qui avale tout ce qui l’entoure ».

Les «Hallucinés» mettent la main sur la société

A partir d’Alger, l’Hallucine allongea  bientôt ses tentacules vers les autres régions de l’Algérie. La secte contrôle désormais tous le pays et commence à imposer son modèle de société. L’uniformisation est érigée en norme ; dans la façon de s’habiller, de marcher, de se nourrir, et de dormir.

La prière hebdomadaire devient obligatoire ainsi que les cérémonies d’autodafés de livres que la secte juge contraire à la moral de l’Hallucine. On s’attaqua également à la langue pour la changer et aussitôt des nouveaux dictionnaires firent leur apparition. La subtilité de la langue est combattue en faveur d’une simplification outrancière qui a pour but de rendre impossible l’expression des idées potentiellement subversives et à éviter toute formulation de critique à l’encontre de la secte.

Comme dans le roman « 1984 » de Georges Orwell, la secte impose sa novlangue : l’état de l’hallucination devient la « paix spirituelle » et toute mise en cause du virus devient une atteinte à la paix spirituelle des malades.

La « pudeur publique » désigne tout et n’importe quoi, et les personnes encore saines qui continuent à se comporter normalement et portent encore leurs anciennes habits deviennent des « terroristes ». Des  nouveaux mots importés de l’orient fleurissent sur les devantures des institutions publiques : Al Hilali, Al fihri, Al Maliki.

Le jeune Haoues qui assiste médusé à la chute de l’Algérie sous les griffes de l’Hallucine, décidera de consacrer ses études et même sa vie pour percer à jour les secrets du virus. Sa quête le mènera à Paris et à Copenhague  où il réussira, après des années de recherche, à découvrir enfin les origines du mystérieux virus.

Un récit contre l’amnésie et en faveur l’enracinement

Le roman est une allégorie de l’histoire de la dernière décennie algérienne, la fin des années 1990 et le début des années 2000. L’auteur y traite plusieurs thèmes parmi lesquels l’amnésie que le pouvoir a voulue imposé aux algériens au sortir de la décennie noire. Le pacte qu’il a conclu avec les islamistes sous le nom de « réconciliation nationale » au détriment des victimes.

Le roman dénonce le fondamentalisme islamiste qui, après avoir été vaincu militairement, tente de remettre la main sur une société meurtrie par des années de guerre civile et de totalitarisme.

Le thème de l’enracinement et l’attachement à la terre est également présent dans le livre. Le grand père de Haoues, combattant de la première heure de la guerre d’indépendance , refuse après 1962 d’intégrer la « famille révolutionnaire » , cette caste d’opportunistes qui vivait de slogans patriotards et de légitimité historique. Il prend ses distances avec ses compagnons d’arme et se retire dans ses terres perpétuant en cela la mémoire de ses aïeuls qui défendirent âprement leurs terres contre les turcs et les français.

« Le principe de la terre » est brandi par deux millions de citoyens en 2001 lors d’une grande manifestation au plus fort de la propagation du virus (on reconnait facilement la marche des Arouch à Alger). Le principe de la terre fut inventé par ces citoyens encore épargnés par le virus, après qu’ils ont constaté que le virus de l’Hallucine « se propageait facilement chez les nomades et au sein des communautés qui ont échoué à établir une relation harmonieuse avec la terre ».

Dans ce roman remarquable, l’auteur a su dépeindre tous les travers et les contradictions de la société algérienne  dans cette période charnière de son histoire. Après une décennie de feu et de sang, et au moment où elle croyait que le pire est derrière elle, cette société exsangue découvre  qu’elle est toujours entre les griffes d’un pouvoir corrompu et d’islamistes sans scrupules. D’où l’état de léthargie et d’hébétement qui s’empare de sa jeunesse et paralyse ses élites, les maintenant dans cet état « d’hallucination » qui empêche le pays d’avancer.

« Hallucine » est le premier roman de Smaïl Mehnana, professeur de philosophie de l’Art à l’université. Intervenant souvent dans le débat public, M. Mehnana est connu pour ses positions très fermes envers le discours des islamistes ce qui lui vaut régulièrement  des campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux.
 

Auteur
Jugurtha Hanachi

 




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