Site icon Le Matin d'Algérie

Hamid Mokaddem, « Chroniques de Kanaky » : 80 ans d’économie coloniale brûlés 

Les Néo-Calédoniens sont en général fortement constitués, mais leurs traits sont peu agréables. Ils sont beaucoup plus noirs que les Polynésiens, beaucoup moins noirs que les nègres. Ont les cheveux crépus, le front peu évasé, les lèvres légèrement saillants, leur nez est épaté artificiellement.

Leurs oreilles sont largement percées au lobe inférieur. Ils n’ont pas les membres grêles des Australiens, leur barbe est fournie. Les enfants sont presque blancs à la naissance, les véritables albinos ne sont pas très rares. Parmi eux, il en est plusieurs qui ont des enfants vigoureusement constituer, C’est ce que nous pouvons lire dans la Revue Algérienne et coloniale du mois d’avril 1860.

C’est ainsi que la science coloniale présentait la nation kanak tout juste après 13 ans d’occupation. De ce lointain pays et à 17 700 km d’Alger, nous avons encore l’image de nos déportés de l’insurrection de 1871 et celle du bagne de l’île des Pins au sud de la Grande île.  L’Humanité du 1er juin 1904, informait sur le retour en Algérie de Mokhtar el-Hadj Mokrani après 33 ans de bagne.

Nouméa en fait ne s’était pas trop éloigné de nous. Dans les faits, le dernier soulèvement de mai-juillet de l’année en cours, nous a replonges dans ceux d’octobre 1988 et dont les prémisses ont débuté dès 1985 où au même moment et à l’autre bout du globe, le GIGN du ministre Edgard Pisani exécute froidement Machora et Nonnara du FLNKS.

Autour de cette histoire, il fallait attendre qu’une « amitié du bout du monde » soit présente au dernier SILA-2024 pour avoir enfin, entre les mains, un véritable document historique sur les « évènements » de Nouméa des derniers mois de mai et juillet derniers. Il est question d’un fils de travailleur immigré algérien, Hamid Mokaddem, philosophe, anthropologue et enseignant à l’Institut de formation des maîtres de la Nouvelle-Calédonie, auteur des Chroniques de Kanaky (Nouvelle-Calédonie). 13 mai -10 juillet 2024.*

A travers les 109 pages de textes, 34 photos et aquarelles (il est aussi artiste plasticien) auxquelles il joindra deux photos de son ami Bernard Haeweg, il retrace le quotidien qu’il a vécu et dont il a été témoin durant les 48 jours qui ont ébranlé le « porte-avion de la route impériale de l’axe indo-pacifique » (p. 5). Une terre, qui, au « nom de la France, on cautionne l’incompétence » (p. 5). La Kanaky est un nom à retenir, elle est bien cette terre où « il y a un peuple premier qui était déjà là, de la civilisation du Lapita depuis plus de 3000 ans », témoigne le poète et écrivain Kanak, Waixen Georges Wayewol. Ce n’est pas ce peuple de « mangeur » de marins venus de France réprimer la révolte des tribus de Monéo et de Mou durant la moitié du XIXe siècle colonial ou encore, ces officiers de frégates pénitentiaires accostant à Nouméa, afin de débarquer les « transportés » (bagnards) afin « d’accomplir des devoirs absolus de leur position » selon les termes du journal Akhbar du 19/8/1864. Il est presque désagréable de lire un tel témoignage, tout en nous référant aux techniques du journalisme français de l’école du Figaro, sans s’impliquer dans le référent historique bien commun aux peuples colonisés.

M. Mokaddem est clair : «Je n’écris pas pour satisfaire la curiosité impatiente. Je précise que de là où j’écris, vers 3 h du matin, on entend encore au loin les explosions des lacrymogènes » (p. 72). S’il a choisi ses 48 chroniques du dernier soulèvement kanak, c’est parce qu’il est « suffisamment philosophe pour prétendre ne pas faire de mes analyses une propagande à l’instar des mercenaires qui agissent en consultants pour les puissants de ce monde ! » (p. 72).

C’est à travers le regard de l’anthropologue de la société colonisée que nous traversons la capitale Kanak, entre les barrages-filtrants de la Petite-Normandie (quartier de l’auteur) et le quartier résidentiel de Tina-sur-Mer, où des barricades-forteresses protègent les « Blancs » de France et de Navarre venus s’enrichir sur le dos de la jeunesse kanak.

Les deux types de barricades «reproduisent les cartographies inégalitaires » (p. 31) qui décalquent aussi les clivages économiques sur des bases « ethniques ». La France des expansions capitalistes, puissances aux visages multiples, « marginalisent et mettent des populations dont les jeunes Kanaks urbanisés » (p. 31). La Kanaky n’est pas un territoire français. C’est une colonie. La nation kanak est une « civilisation de l’oralité où les savoirs et connaissances se transmettent de génération en génération », note encore Waixen Georges Wayewol. Mais la France d’Emmanuel Macron ne l’entend pas ainsi, elle préfère expérimenter en Nouvelle-Calédonie « la colonisation dans toute sa médiocrité » (p. 18) et la venue du « souverain empereur » à Nouméa, et après 18 h de vol n’a fait « qu’allumer de plus belle une nuit incendiaire » (p. 18).

Maki Wéa, un Kanak insurgé se souviendra que « lors de sa première venue en territoire kanak, il avait planté un cocotier à Hwadrillo (Ouvéa). A peine un an après, le cocotier est en train de pourrir » (p. 18). Finalement, tout ce qu’entreprend ce Caligula des finances est voué à pourrir (p. 18). « Il vient, voit et vide », notera Hamid Mokaddem. Et à son départ, en compagnie de son 1er policier de France et de Navarre, Moussa-Gérard Darmanin, des maisons appartenant à la bourgeoisie métropolitaine, venue faire du fric au soleil, sont incendiés à Kaméné (p. 18).

Devant un tel entêtement à maintenir les peuples océaniques sous la botte coloniale, Albert Einstein interviendrait bien pour rappeler que « seules deux choses sont infinies. L’univers et la stupidité de l’homme qui prétend tout savoir », lit-on dans le petit livre de M. Mokaddem.

L’œuvre du Caligula de France est de minorer le peuple originel et de briser les difficiles constructions des devenirs intercommunautaires, telles pour lesquelles milite Jean-Pierre-Taieb Aïfa, ce « descendant des transportés algériens » qui entend qu’une citoyenneté calédonienne composée est bien réelle et qu’il faut consolider (p. 20). Ils ne sont pas aussi nombreux ces descendants des quelque 2100 déportés algériens. M. Hamid Mokaddem a mené sa propre prospection d’anthropologue-historien et le démontra dans un ouvrage paru récemment.

Chroniques de Kanaky et après 35 ans du combat de Jean-Marie Tjibaou et de ses camarades, témoigne d’une situation que même « Achille aux pieds ailés ne pourra jamais rattraper la tortue » (p. 9). Dans une France gouvernée par l’incompétence des guichetiers de la finance, n’a rien fait pour se soucier des générations à la dérive.

D’ailleurs, c’est le même constat à faire pour l’ensemble des territoires colonisés. Les Kanak « plafonnent à un niveau de scolarité très bas, alors que les classes sociales supérieures européennes excellent vers le haut » (p. 9). La France serait encore plus belle avec la Nouvelle-Calédonie, selon les dires du Caligula du palais de l’Elysée. Elle le sera certainement, si elle foutait la paix à la future République de Kanaky ! Rétorquent la jeunesse révoltée.

Les officiels des palais parisiens, n’écoutent pas et « comment instituer un dialogue avec le monologue d’un souverain entêté » (p. 17). Les anciens du pays Kanak, de leur côté, « n’ont aucune emprise sur les jeunes. Ils ne sont plus dans leur écoute » (p. 17), et l’auteur des Chroniques se positionne aussi gravement à l’heure des combats de rues. « Je me dis aussi que je ne vais pas servir de pompiers aux incendiaires pour reproduire un système, cautionner un marché, dont les modèles de développement marginalisent la population déscolarisées Kanak ».

Une position de principe bien respectable, totalement à l’opposé de ceux qui s’affirment sur les plateaux TV comme « sapeurs-pompiers militaires » de l’Empire républicain. « La révolution Kanak est une émeute de racisme anti-blanc » et les Kanak « viennent coloniser la Nouvelle-Calédonie « blanche » ? » (p. 24). 40 ans de bureaucratisme politique, relève Hamid Mokaddem, ce sont les incendiaires qui siègent au plus hautes fonctions de l’État (p. 6) et décrètent les assujettissent les destinées des populations.

Moussa-Gérard Darmanin préfère, en enfant de supplétif de l’Algérie coloniale, évoquer « la main étrangère » de Bakou et de Pékin. Néfaste plagiat à l’algérienne ! Sur la terre de France et de Navarre, les médias à la solde des banquiers, projettent « les esprits dans le virtuel. Tournent en boucle les montages faussant le réel des télévisions nationales » (p. 8). Que propose Paris pour les jeunes Kanak de la très galactique Nouméa ? Hamid Mokaddem y relève « des banques, des ronds-points, des surfaces commerciales avec quelques échappatoires spirituelles telles que les Temples d’Assemblée de Jéhovah » (page 8). Des murs donc, pour y inscrire des graffitis de la colère et du dégoût.

La bureaucratie « démocratique » et macronienne ont réussies à découper le peuple en catégories « de populations composants des corps électoraux les opposants les uns aux autres » (p. 8). Une politique qui a choisi d’entuber la masse kanak dans le consumérisme du capitalisme, les censures et les corruptions en maquillant les jeux des négociateurs par la justification et l’embellissement de la pensée du théoricien du macronisme, le sieur Alain de Touraine, un social-démocrate du néo-libéralisme.

Nous saisissons, en finalité, que la contribution de Hamid Mokaddem nous éclaire un peu plus sur la cause anticolonialiste du peuple kanak. S’il y a eu des morts lors de la dernière révolte, c’est le fait de miliciens ou des gardes-mobiles eux-mêmes, apprend-on. A Nouméa « y a pas de fusils entre les mains des Kanak ». Les jeunes de Kanaky étaient face à trois compagnies CRS, 32 escadrons de mobiles, 160 GIGN, une quarantaine de Raid. Il ne manquait à cette armada, qu’un croiseur ou une frégate pour reproduire le nettoyage ethnique du 8 mai 45 en Algérie.

Aujourd’hui, pour que la paix revienne, cette paix-là elle s’appelle indépendance, pouvons-nous conclure avec l’écrivain kanak et ami de l’auteur des Chroniques de Kanaky, Waixen Georges Wayewol.

Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

*- Hamid Mokaddem, Chroniques de Kanaky (Nouvelle-Calédonie) : 13 mai – 10 juillet 2024, La courte échelle. Editions transit, 119 p., prix : 13 euros.

Quitter la version mobile