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Hamsi Boubeker : « L’âme kabyle parle à l’âme humaine, sans frontières»

Le 31 mai 2023, Hamsi Boubeker a offert au pape François une œuvre intitulée « La Paix fraternelle », réalisée à partir de l’empreinte de la main du pape, un geste inédit. Photo DR

Hamsi Boubeker est un artiste pluridisciplinaire d’origine kabyle, né à Bejaïa, en Algérie. Installé en Belgique depuis 1979, peintre, musicien, conteur et écrivain, il s’impose comme une figure artistique internationale, tout en restant profondément enraciné dans la culture berbère. Son œuvre rend hommage à ses origines kabyles et cherche à faire vivre et rayonner un patrimoine ancestral à travers une démarche contemporaine.

Hamsi Boubeker développe une approche artistique riche, sa peinture, souvent inspirée des motifs traditionnels kabyles que l’on retrouve dans les tapis, poteries, transforme ces symboles en langages visuels modernes. À travers ses œuvres, il célèbre la vie quotidienne en Kabylie, les paysages de son enfance, les gestes du quotidien, tout en mettant en valeur le rôle central des femmes dans la transmission culturelle.

Hamsi Boubeker qualifie son style d’« art de l’émerveillement ». Il ne s’agit pas simplement de représenter, mais de transmettre une émotion, une vision poétique. Ses œuvres ont été présentées dans des institutions prestigieuses comme l’Institut du Monde Arabe à Paris ou le Parlement Européen de Strasbourg. Il fait découvrir au monde la richesse de la culture kabyle, tout en agissant comme un passeur de mémoire, d’un patrimoine souvent méconnu. 

Hamsi Boubeker est un homme engagé, il participe à des projets humanitaires, notamment avec l’UNICEF, il considère l’art comme un outil pour rassembler, pour éduquer, pour semer des graines d’humanité. 

En valorisant les savoirs artisanaux et les symboles hérités des femmes kabyles, il rappelle l’importance de la mémoire collective et des traditions vivantes. Son travail contribue à renforcer les liens entre les générations et à faire dialoguer les cultures dans un monde en constante mutation.

Reconnu pour son apport culturel et artistique, il est fait Officier de l’Ordre de la Couronne en Belgique en 2009. Cette distinction salue non seulement son talent, mais aussi son engagement en faveur du dialogue interculturel, de la paix et de la transmission.

Le 31 mai 2023, Hamsi Boubeker a offert au pape François une œuvre intitulée « La Paix fraternelle », réalisée à partir de l’empreinte de la main du pape, un geste inédit. Cette œuvre, symbolisant la paix, le dialogue et l’unité des peuples, montre une main libérant une colombe portant un rameau d’olivier. Elle s’inscrit dans le projet « Les Mains de l’Espoir », qui rassemble des empreintes de personnalités engagées pour la paix. 

Hamsi Boubeker n’est pas simplement un artiste. Il est un bâtisseur de ponts entre passé et présent, entre l’intime et l’universel. Son œuvre, accessible et profondément ancrée, nous invite à l’émerveillement, à la découverte et à la réflexion. 

Artiste complet, Hamsi Boubeker navigue donc entre peinture, musique, conte et engagement humaniste. Son œuvre, à la fois profondément ancrée dans la culture kabyle et ouverte sur le monde, touche par sa richesse symbolique et son message universel de paix. 

Cette interview explore les racines de son inspiration, la portée de son art, ainsi que son rôle de passeur entre les cultures et les générations.

Le Matin d’Algérie : Votre œuvre est profondément enracinée dans la culture kabyle, comment réussissez-vous à la faire dialoguer avec des publics internationaux ?

Hamsi Boubeker : Mon œuvre est un pont. Elle puise son énergie dans la culture kabyle, avec sa richesse, sa symbolique et son humanité, mais elle parle une langue universelle : celle de la couleur, de la lumière et des émotions. Lorsque je crée, je ne cherche pas à “traduire” ma culture, je l’offre telle qu’elle est, avec authenticité et générosité. C’est ce respect pour mes racines, combiné à une vision profondément humaniste, qui touche les publics d’ailleurs. L’âme kabyle parle à l’âme humaine, sans frontières. 

Le Matin d’Algérie : Vous parlez souvent de « l’art de l’émerveillement », que signifie pour vous cette expression ?

Hamsi Boubeker : L’art de l’émerveillement, c’est garder vivant ce regard d’enfant capable de s’étonner devant la beauté du monde, même dans les choses les plus simples. C’est une manière de résister à la dureté de la vie en cultivant l’espoir, la poésie et la lumière intérieure. À travers mes œuvres, je cherche à éveiller ce souffle d’émerveillement en chacun, car il est pour moi le premier pas vers la paix, le respect et la fraternité entre les êtres. 

Le Matin d’Algérie : Qu’avez-vous ressenti en offrant votre œuvre « La Paix fraternelle » au pape François ?

Hamsi Boubeker : Ce fut un moment de profonde émotion. Le rencontrer au Vatican pour lui offrir l’œuvre que j’ai réalisée à partir du calque de sa main, La Paix Fraternelle, c’était déposer entre ses mains un message de paix et de fraternité entre les peuples. J’ai ressenti une grande humilité, mais aussi une immense joie, car à travers cet acte symbolique, je portais la voix de tous ceux qui croient que l’art peut être un chemin de dialogue et de paix. Cette rencontre restera pour moi l’un des moments les plus lumineux de mon parcours.
Paix à son âme, il restera pour l’humanité entière un homme de bonté, de dialogue et d’espérance.  

Le Matin d’Algérie : Comment votre parcours personnel entre l’Algérie et la Belgique influence-t-il votre création ?

Hamsi Boubeker : Mon parcours entre l’Algérie et la Belgique est comme un tissage entre deux rives. L’Algérie est ma source : elle nourrit mon imaginaire avec ses couleurs, ses traditions, sa terre. La Belgique, elle, m’a offert l’espace pour faire éclore cette richesse intérieure et la partager avec d’autres cultures. Ce double enracinement m’a appris à être un passeur, à rester fidèle à mon identité tout en l’ouvrant au monde. Chaque œuvre que je crée porte en elle cette traversée : un hommage aux racines et une invitation au voyage.

Le Matin d’Algérie : Vous travaillez souvent avec des enfants et des jeunes, pourquoi cet engagement vous tient-il tant à cœur ?

Hamsi Boubeker : Travailler avec les enfants et les jeunes, c’est semer des graines d’espérance. Ils portent en eux une pureté, une capacité d’émerveillement et de création que le monde adulte oublie parfois. Leur transmettre l’amour de l’art, c’est leur donner une clé pour rêver, pour s’exprimer, pour construire un monde plus beau. C’est aussi un devoir de mémoire : à travers eux, les cultures, les valeurs de paix, de respect et de fraternité peuvent continuer à vivre et à grandir. C’est un engagement qui donne du sens à toute ma démarche.  

Le Matin d’Algérie : Quels messages espérez-vous que votre art transmette aux générations futures ?

Hamsi Boubeker : À travers mon art, j’espère transmettre aux générations futures un message de lumière, de dignité et d’ouverture. Leur dire que nos racines sont des forces, que la beauté est un langage universel, et que le respect de l’autre est la clé de la paix. J’aimerais qu’ils retiennent que l’émerveillement, la tendresse et la création sont des chemins possibles pour rester debout dans un monde souvent tourmenté. Mon vœu est que mon art continue à semer de la joie, de l’espoir et du lien entre les êtres.  

Le Matin d’Algérie : La musique et le chant occupent aussi une place importante dans votre parcours : en quoi complètent-ils ou prolongent-ils votre travail de peintre ?

Hamsi Boubeker : Pour moi, la peinture, la musique et le chant sont les battements d’un même cœur. Ils naissent tous du même besoin de transmettre des émotions, de relier les êtres humains à travers la beauté et l’harmonie. La musique et le chant prolongent mes couleurs sur un autre plan : ils rendent audible ce que mes peintures racontent en silence. Ils permettent d’atteindre l’âme autrement, avec d’autres vibrations, d’autres lumières. Ensemble, ils tissent une seule et même quête : celle de l’émerveillement, de la mémoire et de la fraternité. 

Le Matin d’Algérie : Pensez-vous que des artistes comme vous, ayant trouvé une reconnaissance à l’étranger, peuvent jouer un rôle dans l’émancipation de la société algérienne ?

Hamsi Boubeker : Je le crois profondément. Chaque artiste qui porte haut sa culture au-delà des frontières devient un témoin vivant de sa richesse et de sa vitalité. Cette reconnaissance ne doit pas être une fin en soi, mais un levier pour inspirer, pour ouvrir des chemins, pour montrer que l’émancipation passe par la création, par la transmission de la beauté et de la dignité. Si mon parcours peut donner envie à d’autres de croire en leurs rêves, de se battre pour l’art, la liberté et la lumière, alors j’aurai humblement contribué à faire avancer notre société.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Hamsi Boubeker : Oui, l’aventure continue ! Je travaille actuellement sur plusieurs projets qui me tiennent à cœur. À très court terme, une exposition intitulée Contes de mon enfance, en collaboration avec Chafiaa Khemsi, se tiendra du 5 au 25 mai 2025 au Bip Josse à Bruxelles, et réunira mes œuvres inspirées de l’univers des contes. Ensuite, je prépare une grande exposition rétrospective de l’ensemble de mon parcours artistique, qui sera présentée dans un lieu prestigieux, le B3 de la ville de Liège, de juin à septembre 2025.

Mais le projet le plus fascinant est celui de la nouvelle illustration de la future station de tram Lemonnier à Bruxelles : une station dédiée à la paix et unique au monde. Les œuvres qui orneront les murs de la station ont été réalisées à partir de calques de mains et de messages de paix de célébrités mondiales, ainsi que de personnalités du monde artistique, humanitaire, sportif, spirituel, sans oublier des anonymes qui ont œuvré pour les droits humains. Khaled Ben Tounes et Hassiba Boulmerka font partie de ces personnalités que j’ai choisies.
La réalisation de ce grand chantier est en cours. 

En parallèle, je poursuis la création de livres d’art, de projets destinés aux enfants, et de nouvelles œuvres. 

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Hamsi Boubeker : Mon dernier mot sera un mot de cœur : gardons vivante la flamme de l’émerveillement, restons fidèles à nos racines tout en tendant la main au monde. L’art, la culture et la fraternité sont des chemins puissants pour construire un avenir plus lumineux. À travers chaque geste de création, nous pouvons semer des graines d’espoir.

Je souhaite aussi que la télévision algérienne soit plus présente à l’étranger pour mieux faire connaître ses artistes, non seulement auprès des Algériens établis ailleurs, mais aussi auprès de ceux qui vivent en Algérie, afin de renforcer ce lien vital entre la culture d’origine et son rayonnement dans le monde.  

Entretien réalisé par Brahim Saci 

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