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Harraga 2033 : Alger-Amsterdam, aller simple pour l’enfer (2)

Kabylie
La Kabylie. Image par Loyloy Thal de Pixabay

« Être né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard », chante Maxime Le Forestier. Boussad est né dans un petit village situé sur les hauteurs de Kabylie. Enfant espiègle et dégourdi, il est le dernier-né d’une fratrie de trois enfants. Il n’a quasiment pas connu son père. Ce dernier ayant été happé très tôt par l’attrait que suscitait l’émigration en France. Là-bas, disait-on, on ne cherche pas du travail, c’est le travail qui vous cherche.

Comment ne pas se laisser tenter par ces illusions, quand, au pays, la misère bat son plein et touche l’écrasante majorité des familles ? Partir en France, c’est assurer la pitance de ses enfants et celle de ses parents avant de revenir fortuné, disait-on.

Il se disait aussi que Dda Mohand, le papa, avait si bien réussi qu’il était maintenant propriétaire d’une brasserie-hôtel à Paris où s’entassaient des dizaines d’émigrés kabyles. De cela, Boussad n’en a rien su, ni profité. Il continuait de marcher sans souliers le long des sentiers escarpés de Tighilt-El-Hadj Ali.

Harraga 2033 : Alger-Amsterdam, aller simple

Ce village majestueux qui ne possédait ni magasin, ni boulangerie, ni café pour se détendre. Pour faire ses courses, il faut se déplacer jusqu’à Larbâa Nath Irathen, la ville la plus proche, située à trois km en amont de la bourgade. Malgré toutes sortes de manques, les villageois ne semblaient pas se plaindre de la pauvreté chronique dont tout le monde souffrait en silence. La guerre venait de prendre fin, et l’espoir d’une vie meilleure pour tous se profilait à l’horizon de l’indépendance. Les émigrés finiront bien par rentrer rejoindre leurs familles, disait-on. Mais c’était sans compter sur un implacable destin.

Un soir d’avril, un corbillard traverse le village. À son bord, un cercueil et le corps de Dda Mohand rapatrié de France. Comment expliquer à un enfant de dix ans que ce père qu’il ne connaissait guère, avait été terrassé par une simple fausse route alimentaire ? Il se disait qu’un morceau de steak s’était coincé dans son gosier et que, ne connaissant pas les gestes qui sauvent, personne n’était venu à son secours.

À l’arrivée de l’unité de soins, il était déjà trop tard. Après six mois de coma, la faucheuse lui donne rendez-vous pour lui annoncer son départ au firmament. Quelle ironie du sort que votre père soit emporté par un morceau de viande alors que de viande, vous n’en découvriez la couleur et le goût que lors des fêtes religieuses ou en de rares occasions, quand un mariage ou une circoncision d’un proche est célébré.

C’est donc en orphelin classifié que Boussad continue de vivre sa petite vie d’adolescent. Ses moments d’évasion, il les trouvera dans les divers illustrés que son oncle avait entassé au fil des années. Des revues qui parlaient de contrées lointaines, d’aventures dans la jungle de Bornéo, du Far-West américain, d’indiens et de cowboys ou des grandes plaines du Canada, etc. Bizarrement, parmi toutes ces bandes dessinées, aucune ne faisait référence à la France. Cette France qui avait englouti tant de villageois pour ne jamais les relâcher, ou si rarement.

Les années s’égrènent pour Boussad. Avec sérieux et abnégation, il réussit à faire des études supérieures, d’abord à l’université d’Alger avant de décrocher une bourse pour les USA. À son retour, il est ingénieur dans l’entreprise nationale Sonatrach, la vache à lait du pays. Il essaie de construire sa vie. Mais au fur et à mesure que les semaines et les mois défilent, il étouffe, dans ce pays où toutes les libertés sont bâillonnées, lui qui a connu les États-Unis, c’est le comble. Dans sa tête, une seule obsession s’incruste au fil du temps : attendre l’occasion propice et partir à l’aventure, au-delà de la mer.

La France venait de stopper net la délivrance de visas pour les Algériens. « On n’est plus chez nous », disent les Français. « Ils nous ont colonisés pendant 132 ans, à notre tour d’occuper leurs terres, comme ils ont occupé les nôtres », disent les Algériens. Après tout, ils sont venu avec armes et bagages sur leurs bateaux conquérants et nous, mains nues, à la dérive sur nos barques chavirant. (À suivre) …

Kacem Madani

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