En quelques minutes, elle a chamboulé sa vie. Il l’avait rencontrée par hasard sur le quai de la Gare de l’Est, à Paris. Elle traînait deux valises bien trop lourdes pour son gabarit de maigrelette, quasiment décharnée. Comment ne pas proposer son assistance à une jeune femme en difficulté ? Il n’était pas costaud non plus, mais une malle sur deux ne lui semblait pas difficile à porter.
– Bonjour Madame, je peux vous aider ? lui demande-t-il.
– Oui, je veux bien, merci Monsieur ! répond-elle en poussant vers lui la valise qui semblait être la plus lourde.
À la direction qu’elle empruntait, il aurait juré qu’elle sortait réserver un taxi. Ça ne lui prendra guère plus de cinq minutes. Il avait encore assez de temps devant lui pour l’accompagner à la station, espérant lui arracher un sourire de remerciements. Il en avait drôlement besoin, lui qui est en permanence sur le qui-vive depuis des mois.
– Attendez moi là, j’en ai pour deux minutes ! lui intime-t-elle, tout en lui demandant de surveiller la deuxième valise qu’elle rapproche de la première.
À son rythme accéléré, il devinait un besoin pressant. Le taxi peut bien attendre. Comme son train n’était prévu que dans une demi-heure, il avait tout son temps. Cinq minutes passent, puis dix, puis vingt… Toujours pas de la petite rouquine à l’horizon de sa délivrance. À environ une dizaine de mètres, trois policiers l’observent, les yeux rivés sur «ses » deux valises. Il fait semblant de ne pas les remarquer. En moins de cinq secondes, les voilà dressés devant lui, un air farouche qui en disait long sur leurs intentions :
– Plan Vigipirate, Monsieur ! voudriez-vous ouvrir vos bagages s’il vous plaît ? ordonne le moustachu.
– Ce ne sont pas mes valises ! Elles appartiennent à une dame. Elle m’a juste chargé de les surveiller. Elle est allée aux toilettes. Elle va revenir d’un moment à l’autre, débite-t-il à toute allure.
– Mais Monsieur, ça fait vingt minutes que vous êtes planté là. Nous vous observions de loin depuis un moment.
– Je dois partir ! J’ai un train dans dix minutes ! réplique-t-il, en faisant quelques pas en avant.
– Pas si vite, Monsieur ! Nous devons vérifier ce que vous transportez là, lui dit le moustachu tout en lui saisissant le bras pour stopper son élan.
– Mais elles ne sont pas à moi, vous-dis-je !
L’air grave, ils se jettent un œil complice qui en disait long sur le crédit qu’ils accordent à ses paroles.
Effaré, il scrute la direction des toilettes et aperçoit une silhouette au loin presser le pas vers la sortie.
– Elle est là-bas ! Elle est là-bas ! tente-t-il de convaincre les policiers.
– Ça suffit, votre baratin ! Ouvrez ces valises ! C’est un ordre ! Ouvrez les si vous ne voulez pas qu’on vous arrête pour refus d’obtempérer ! brame le moustachu, une méchanceté non contenue dans le regard.
– Mais je n’ai pas les clefs, vous dis-je ! Et puis, je n’ai plus que deux minutes pour ne pas rater mon train !
Imperturbable, le moustachu se fait menaçant.
– Ok, on appelle le service de déminage pour déballer tout ça !
Aussitôt dit, aussitôt fait.
En cinq minutes, top chrono, deux gaillards rappliquent avec une mallette à outils. En deux temps et trois mouvements, la serrure de la petite valise est déverrouillée. Expérimentés, les policiers fouillent méticuleusement le contenu. Rien de spécial, sinon des vêtements de femme, une trousse de toilettes, et ce qui semblait être un trépied pour caméra.
Vient le tour du second bagage, le plus lourd. Là encore, nos spécialistes n’éprouvent aucune difficulté à l’éventrer. À la vue du contenu, le même moustachu passe à l’offensive :
– Monsieur, vous êtes en état d’arrestation !
– Mon Dieu quel cauchemar ! s’écrie Boussad, effrayé par tous ces regards inquisiteurs braqués sur lui. Tous doivent le considérer comme un terroriste pris en flagrant délit d’attentat. (À suivre)
Kacem Madani