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Hérésies monétaires et financières

DECRYPTAGE

Hérésies monétaires et financières

La dernière décision du Conseil de la monnaie et du crédit de la Banque d’Algérie, modifiant et complétant le règlement n°07 du 3 février 2007, relatif aux règles applicables aux transactions courantes avec l’étranger et aux comptes devises, qui « autorisent les exportateurs à disposer de la totalité de leurs recettes d’exportations logées dans les comptes devises, pour les besoins de leurs activités et dispensent de l’obligation des formalités de domiciliation bancaire des exportations de prestations de services numériques, ainsi que celles portant sur les prestations de services des startup et des professionnels non- commerçants », est venue à point nommée mais reste insuffisante (1) !

Dans cette décision, il faut pointer du doigt c’est le mot « totalité » puisqu’en effet, l’ancienne réglementation permettait, aux titulaires de comptes devises, de disposer que de la moitié de leur avoir directement et à leur discrétion, dans le cadre de leur activité.

Pour le reste de l’autre moitié, il leur fallait souscrire à des formalités bureaucratiques et contraignantes qui les privaient du fruit de leur labeur. En effet, comment peut-on imaginer que la réglementation bancaire puisse disposer discrétionnairement des ressources financières en devises de personnes morales ou physiques, à leur place et de jure, dans le cadre de leurs activités légales ? 

Tout le monde comprendrait que la Banque d’Algérie, soucieuse de contrer la fuite illégale des capitaux à l’étranger, se dote d’un certain nombre d’instruments juridiques, monétaires et financiers (2) afin de juguler cette hémorragie ! Mais s’agissant de ressources en devises, générées par des recettes d’exportation, dans le cadre d’activités légales et transitant par les comptes devises, « confiner » la moitié de ses ressources et les soumettre à une réglementation spécifique draconienne, est tout simplement un abus de pouvoir, s’agissant de ressources privées appartenant, en toute propriété, à des personnes morales et physiques, qui agissent dans un cadre légal, émis par les autorités monétaires et financières de notre pays.

Il était donc temps, pour le Conseil de la monnaie et du crédit de mettre fin à ces pratiques iniques voire anticonstitutionnelles, d’autant que, d’un autre côté, les pouvoirs publics mettent en œuvre une politique volontariste d’exportation, avec un objectif de quelques 5 Milliards de US$, hors hydrocarbures !

Cette décision apporte donc de la cohérence, de la flexibilité et de la visibilité en mettant en conformité la politique économique, qui prône l’activité d’exportation et son accompagnement monétaire et financier qui permet aux opérateurs de disposer de la totalité de leurs recettes d’exportations, dans le cadre légal de leur activité, tout en leur évitant d’avoir recours, contraints et fossés, au marché parallèle des devises (3), à des coûts exorbitants, si on le compare aux taux officiels (4) et alimentant de facto le marché au noir.

Cette mesure salutaire, à plusieurs endroits, devrait cependant être complétée, en donnant la possibilité aux exportateurs d’investir, leurs propres ressources financières, à l’étranger pour accompagner leur activité légale et la développer (5), sans passer par le marché parallèle (6). 

Il semble que la situation actuelle est propice pour l’introduction de réformes structurelles, même à doses homéopathiques, il suffit simplement de prendre des décisions courageuses donc politiques. 

M.G.

Notes

(1) A l’évidence, le règlement n°2014-04, relatif aux conditions de transfert de capitaux au titre de l’investissement à l’étranger par des personnes morales de droit algérien complémentaire à leurs activités de production de biens et services en Algérie, mérite d’être révisé de manière également à assurer la cohérence globale des mesures économiques (objectifs d’exportation) d’une part et celles monétaires et financières (libéralisation des transferts) d’autre part.  

(2) Force est de constater que cette réglementation a échoué dans cette mission puisque des Millions voire des Milliards en devises se sont évaporés dans la nature pour se voir ensuite transformés en acquisition des biens immobiliers à l’étranger et en particulier en France, de manière totalement illégale, tant vis-à-vis de la réglementation algérienne que celle étrangère !

(3) L’allocation légale en devises, de quelques 160 Euros par personne et par voyage à l’étranger, est tellement ridicule qu’elle contribue à alimenter le marché parallèle de devises florissant, qui défie, par son ampleur, le marché officiel et crée des réseaux mafieux ancrés profondément dans les pratiques, tant et si bien qu’elles deviennent « quasi-légales ».   

(4) Le taux officiel de l’Euro se situe autour de 165,6 DA, alors que celui du marché parallèle tourne autour de 220 DA, selon le volume des transactions, soit un différentiel de 54,4 DA par Euro.

(5) Il ne s’agit pas de permettre aux exportateurs d’acquérir des résidences et autres biens immobiliers personnels à l’étranger mais d’investir dans des biens et services (hangars, commerces, succursales, études de marché, transports…) en relation avec leurs activités légales. 

(6) Il est assez souvent constaté que la législation algérienne alimente elle-même la fraude et de plus rend les opérateurs honnêtes délinquants au regard même de ses propres textes !

Auteur
Dr Mourad Goumiri, Professeur associé.

 




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