Lundi 30 novembre 2020
Hervé Le Tellier sacré prix Goncourt pour « L’Anomalie »
Hervé Le Tellier a remporté lundi le Goncourt: son roman s’appelle « L’Anomalie » et ça ne pouvait mieux tomber dans une ère troublée par le Covid, qui a privé les jurés de leur traditionnelle annonce au restaurant Drouant à Paris.
Il a obtenu huit voix contre deux pour « L’Historiographe du royaume » de Maël Renouard, un des quatre finalistes.
Cette récompense a été décernée par visioconférence, chaque juré étant resté chez lui. Pas de délibérations à table, donc, et pas de bousculade avec les journalistes à l’arrivée du lauréat. Et le Goncourt, tout un symbole, a donc été attribué 48 heures après la réouverture des librairies.
Pour les journalistes littéraires interrogés par le mensuel spécialisé Livres Hebdo, dont celui de l’AFP, Hervé Le Tellier – 63 ans, mathématicien de formation, ancien journaliste, président de l’association de l’Oulipo (ouvroir de littérature potentielle) – tenait la corde pour le Goncourt.
Outre d’être publié chez Gallimard, ce livre, bâti comme un savant jeu de construction et au suspense haletant, a pour lui d’avoir déjà convaincu un large public.
« L’Anomalie », huitième roman de son auteur, raconte les suites d’un événement apparemment inexplicable, à savoir qu’un vol Paris-New York se reproduit deux fois, avec les mêmes passagers, à quelques mois d’intervalle. Un récit qui convoque avec brio tous les genres, science-fiction, roman noir, récit littéraire classique, procès-verbaux d’interrogatoire, etc.
Adapté à l’écran ?
Didier Decoin, le président du jury, a d’ailleurs suggéré que ce roman devrait connaître une autre vie sous forme de série ou sur grand écran. « C’est vrai qu’il y a une vraie dimension cinématographique. Il y a une arche narrative, comme on dit dans le vocabulaire de la série. Ca ne me déplairait pas de voir ce livre incarné sur l’écran », a admis Hervé Le Tellier par visioconférence.
Marie-Hélène Lafon, pour « Histoire du fils », a elle remporté le prix Renaudot, récompense littéraire traditionnellement remise le même jour que le Goncourt.
Mais, Covid-19 ou pas, ce qui ne change pas, c’est que les prix littéraires sont toujours accompagnés d’un petit parfum de soufre. Samedi, le New York Times dénonçait dans une enquête le jeu trouble des jurys littéraires français, où selon le quotidien, la qualité littéraire passe après des conflits d’intérêt flagrants et des intrigues difficilement lisibles pour le grand public. Le Goncourt est moins directement visé que le Renaudot.
Ces deux prix, remis par des jurys bénévoles, ne rapportent rien ou presque à un écrivain: 10 euros pour le premier, 0 euro pour le second. Mais ils constituent des enjeux économiques cruciaux pour les auteurs et éditeurs, car des dizaines voire des centaines de milliers de lecteurs font confiance à ces labels.
Jury renouvelé
Conscients de cet enjeu, les deux prix ont préféré attendre la réouverture des librairies, intervenue samedi après un mois de fermeture pour raisons sanitaires.
« Dans cette rentrée, il y a eu 500 écrivains qui ont publié des textes (…) On est quatre finalistes, donc on voit bien qu’il y a eu beaucoup de blessés », relevait vendredi l’un des quatre auteurs en lice, Hervé Le Tellier, sur France Culture.
Outre des conditions inédites, le Goncourt se distingue cette année par un jury en partie renouvelé. Le journaliste Bernard Pivot a quitté la présidence de l’Académie fin 2019, et la romancière Virginie Despentes a démissionné début 2020. L’essayiste Pascal Bruckner et la romancière Camille Laurens ont fait leur entrée au sein du jury désormais présidé par l’écrivain Didier Decoin.
Au Renaudot, le journaliste et écrivain Jérôme Garcin avait démissionné en mars avec l’intention de susciter un renouvellement et de favoriser la présence de femmes au sein du jury. Il n’a pas encore trouvé de successeur.
En 2019, le Goncourt avait été remporté par Jean-Paul Dubois, avec « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon ».
Le Renaudot avait choisi le roman de Sylvain Tesson « La Panthère des neiges », et l’essai d’Eric Neuhoff « (Très) cher cinéma français ».