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Hirak 2, oui mais avec un projet politique sérieux

COMMENTAIRE

Hirak 2, oui mais avec un projet politique sérieux

Dans ces mêmes colonnes et d’autres, je n’avais cessé de porter une critique extrêmement virulente contre une stratégie suicidaire du Hirak qui a fait perdre trente ans aux démocrates. S’il veut revenir comme le Phoenix qui renaîtrait de ses cendres, il lui faudrait un profond renouveau de ses objectifs et de sa méthode. Il le peut, il se doit de le pouvoir sinon à retourner dans sa tombe, définitive.

Ce qui m’a le plus frappé dans ce réveil soudain des manifestations est qu’elles entérinent clairement l’idée que le Hirak est bien mort, le mouvement étant déjà installé dans le passé. Car on n’a jamais vu une révolution, se disant encore en cours, commémorer la date du déclenchement de sa lutte. 

Les marcheurs, c’est certain, ont la nostalgie de leur « combat des rues » du vendredi après-midi. Ils devraient plutôt revenir sur leur gigantesque erreur, en prendre expérience et repartir sur des bases réellement révolutionnaires.

Parmi ces réflexions, rappelons certaines, mainte fois répétées par mes articles et si peu entendues. Mais je peux le comprendre, tout le monde ne peut être le fils Madani, avoir une chaîne de télévision et susciter la même écoute et ferveur.

La révolution du sourire, un stupide fantasme 

Je ne sais pas où les intellectuels algériens ont été rechercher ce concept dont l’expression est composée de deux mots absolument antinomiques, la révolution et le sourire.

Beaucoup, dans les débuts du Hirak, s’étaient épanchés sur l’exemple de Gandhi. Il va falloir que l’école algérienne se remette à étudier sérieusement l’histoire autrement que par les fantasmes et les envolées lyriques.

Pour y avoir contribué, avec sa robe blanche et son mysticisme, au lieu de bâtir un projet politique sérieux, jamais un épisode humain n’a été autant dramatique. Il en est résulté une période sanglante et dramatique pour l’Inde. Aux massacres généralisés s’est ajouté un exil croisé de millions d’êtres humains, les uns descendant vers les territoires du Sud et les autres fuyant vers le Nord pour créer ce qui va devenir plus tard le Pakistan.

Puis, ces intellectuels ont du entendre des expressions comme « La révolution des œillets, du jasmin… » et autres fantasmes de l’esprit en oubliant la terreur, les morts et les ruptures les plus abominables qui les ont accompagnées.

Le début de cette révolution algérienne fut pourtant dans le bon ton, des centaines de milliers de jeunes ont brandi le sourire, l’humour et les postures qui avaient, dans un premier temps, déstabilisé un régime qui n’avait pas l’habitude d’être confronté à ce discours, totalement inconnu pour lui.

Mais les semaines et les mois passèrent et le Hirak est devenu un cirque de youyous, de hurlements et de marches sans fin. Une révolution Google-agenda, avec rendez-vous à la même heure, au même endroit et pour le même circuit.

Et tout cela, sans se soucier de l’essentiel, ce qu’il faut tout de même rappeler.

La révolution, c’est d’abord un projet politique

Toutes les révolutions ont d’abord une longue histoire préliminaire où se bâtit les fondements de l’objectif politique. Le soulèvement de la rue est en effet le point final et indispensable mais il n’est que le point terminal d’un long processus préparatoire.

Les mémoires populaires ne se souviennent que des périodes exutoires, armées le plus souvent, mais ignorent les décennies de débats, de confrontations et de construction houleuse, voire violente, d’un projet politique ou, tout au moins, d’une préparation des esprits pour une réelle volonté de changement et une direction collective à prendre.

On retient toujours les moments de débordement de la révolution française, on oublie le très long XVIIIe siècle qui fut son géniteur, son berceau et son école d’instruction. Ce n’est pas pour rien que ce siècle est dénommé « le siècle des Lumières ». 

La foule qui hurle sa rage dans les rues, qui détruit les symboles de l’ancien régime, emprisonnent les responsables et mettent à bas les institutions, ce n’est que la partie finale de la révolution, son aspect visible et explosif. Et elle ne le peut qu’avec la force du travail préparatoire. Le Hirak a oublié le premier chaînon.

La foule du Hirak s’est précipitée vers la rue sans savoir ce qu’elle veut, avec qui elle manifeste et avec l’appui médiatique de qui. Un vice de forme originel et fondamental qui ne pouvait aboutir qu’à l’échec, la frustration et le renforcement du régime en place.

Poser sur la table les questions qui fâchent

Et pour savoir ce que veut cette foule, il faut d’abord commencer par le début, c’est-à-dire poser les vrais problèmes du clivage et des fractures algériennes. L’expression d’Albert Camus, connue de tous les intellectuels, aurait été la bienvenue, « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde ». 

Or trois problèmes, dont on peut en dériver plusieurs autres qui en sont la conséquence, constituent l’objectif d’une révolution algérienne sérieuse et qui ne se cacherait pas derrière son hypocrisie ou sa crainte de nommer les cibles du combat.

1/ La terreur de la religion politique qu’il faut impérativement, et avec force de conviction, faire sortir de la constitution, des lois et des usages publics.

Elle doit revenir là où est sa place, dans les consciences privées qui la financent et l’organisent, sous l’impératif encadrement des lois de la république laïque. 

2/ Accorder l’égalité des droits fondamentaux des différentes langues et cultures, y compris dans leur expression officielle, dans le cadre d’une régionalisation s’il le faut.

L’unité nationale est fracassée, même les aveugles et les sourds le constateraient. Le risque (car c’est un pari) n’en vaut pas seulement la peine dans sa légitimité, il est la seule porte de sortie envisageable d’un désastre national.

3/ Les officiers militaires doivent passer par la case judiciaire, au pénal comme au civil. Il en est de même pour la condamnation politique forte et sans ambiguïté avec excuses des crimes et du pillage perpétrés depuis plus d’un demi-siècle.

La justice n’est pas la vengeance mais la certitude d’un avenir apaisé. L’action doit être, bien entendu, élargie à tous ceux qui ont bâti des fortunes insolentes avec l’appui et la protection du régime militaire.

4/ La libération de la moitié de la population, c’est-à-dire des femmes. Brûler le code de la famille et le renvoyer au septième siècle, est la dérivation la plus significative de la laïcité du premier point.

Une révolution s’incarne

Voilà l’autre invention stupide des concepteurs idéologiques du Hirak, ne pas nommer de porte-paroles pour éviter au pouvoir de les menacer et de les soudoyer. Une invention de grands maîtres de la science politique qu’on n’entend d’ailleurs plus ni ne lisons en ce moment leurs élucubrations.

Un mouvement populaire politique ou social s’incarne, c’est une évidence incontournable. Et si on a si peur que les porte-paroles soient manipulés par un pouvoir c’est que ce mouvement est vraiment mal fréquenté. Il ne s’agit donc plus du risque de manipulation mais de celui d’un mouvement totalement gangrené par ses acteurs les plus représentatifs.

Le jour où l’on verra naître une révolution sans incarnation de figures identifiées, le Hirak doit m’appeler pour que je puisse voir cette innovation de l’humanité avant de mourir. Un grand moment !

Et pourtant le Hirak peut détruire le régime militaire

Contrairement à ce que pourrait faire croire tous mes articles, tout au long de ces deux années (une révolution longue !), non seulement je serais le plus heureux qu’un mouvement populaire puisse enfin débarrasser l’Algérie de son infection mais je pense sincèrement qu’il en a les moyens.

La jeunesse est nombreuse, elle est remplie d’espoir et le montre. Cela est plus que suffisant pour renverser une poignée d’abrutis, mêmes armés. D’autre révolutions ont « dégagé » les dictatures les plus féroces avec beaucoup moins de force humaine.

Le Hirak le peut, il se doit de réussir. Mais jusqu’à présent, il a choisi la carrière de troubadour. C’est noble mais ce n’est qu’une révolution du sourire, pas une révolution politique.
 

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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