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Hirak : comment Tebboune a détourné la vérité

COMMENTAIRE

Hirak : comment Tebboune a détourné la vérité

Dans ses déclarations à l’hebdomadaire français Le Point, le président Abdelmadjid Tebboune a commis des erreurs, des omissions ou carrément des contrevérités.

Abdelmadjid Tebboune : « Je n’utilise plus ce mot (Hirak) parce que les choses ont changé. Le seul Hirak auquel je crois est le Hirak authentique et béni qui a spontanément rassemblé des millions d’Algériens dans la rue. Ce Hirak-là a choisi la voie de la raison en allant à l’élection présidentielle. Il n’a pas écouté le chant des sirènes qui le poussait à aller vers une période transitoire, et dix millions d’Algériens sont allés voter. Une minorité a refusé l’élection. Je pense que tout Algérien a le droit de s’exprimer, mais je refuse le diktat d’une minorité. »

C’est inexact.

Avant qu’elle ne devienne leur cauchemar, la révolte fut accueillie avec irritation et arrogance par les principaux dirigeants qui ne lui accordaient que peu de crédit. On ne l’attendait pas. On ne l’imaginait pas. On ne la reconnaissait pas. On a donc conclu qu’elle n’existait pas. Ou alors juste comme une flammèche de colère qui ne tarderait pas à s’éteindre au premier souffle.

Le chef de l’état-major de l’armée algérienne, général Gaïd Salah avait commencé par menacer les manifestants, sur un ton dur, le ton d’un apparatchik défié dans son autorité, dérangé dans ses messes basses. À partir de la ville de Cherchell où est implantée l’Académie militaire, il eut cette phrase lourde de sens : « L’armée prendra comme toujours ses pleines responsabilités pour que la stabilité du pays soit irréversible. » Autrement dit, si la révolte se poursuit, les manifestants s’exposeraient à la riposte militaire. Le général parle de « forces malintentionnées jalouses de la stabilité et de la paix qui règnent en Algérie » les personnes qui seraient derrière les manifestations.

Quant au peuple, il doit «savoir comment se comporter dans ce contexte particulier que traverse le pays ». Sinon ? Le général n’en dit pas plus mais il n’était pas besoin d’en rajouter.

Gaïd Salah s’est donc fait une opinion sur la révolte : elle ne serait rien d’autre qu’une « volonté de certaines forces, qu’il prend soin de ne pas nommer, de porter atteinte à la stabilité de l’Algérie. Une vieille rengaine qui instruit sur la cécité et la surdité du pouvoir en Algérie. Ahmed Gaïd Salah était sorti de la réserve à laquelle il est pourtant tenu pour dénoncer les appels à manifester contre la candidature de Fakhamatouhou, lancés sur les réseaux sociaux.

Il avait promptement accusé des parties étrangères, qu’il ne nomme pas, d’avoir infiltré le mouvement populaire et d’avoir donc été derrière l’exigence du départ de tous les symboles du système Fakhamatouhou.

«Avec le début de cette nouvelle phase et la poursuite des marches, nous avons déploré l’apparition de tentatives de la part de certaines parties étrangères, partant de leurs antécédents historiques avec notre pays, poussant certains individus au-devant de la scène actuelle, en les imposant comme représentants du peuple en vue de conduire la phase de transition, afin de mettre en exécution leurs desseins visant à déstabiliser le pays et semer la discorde entre les enfants du peuple, à travers des slogans irréalisables visant à mener le pays vers un vide constitutionnel et détruire les institutions de l’État »

Le 26 février 2019, soit quatre jours après la première marche populaire, le général, très remonté contre ces hordes contestataires a répondu à partir de Tamanrasset er, mettant en garde « tous ceux qui appellent à la violence », qui ignorent le désir des Algériens de vivre en paix.

Sous-estimant le nombre de manifestants, il s’est demandé : « Est ce que c’est raisonnable de pousser quelques Algériens vers l’inconnu, à travers des appels suspects. En apparence, c’est pour la démocratie, mais sur le fond, c’est pour les conduire sur des chemins non sécurisés, et qui ne sont pas forcément dans l’intérêt de l’Algérie » ces arguments lui avaient suffi pour adresser une véritable menace à l’adresse de ceux « entraîner les Algériens dans une route incertaine… » Employant le même ton sévère, général Gaïd Salah avait rappelé durement que l’armée algérienne demeurera «le garant» de la stabilité et la sécurité face à ceux «qui veulent ramener» l’Algérie aux années de guerre civile. Il récidive une semaine plus tard partir de Cherchell, s’exprimant tels ces généraux dont on dit qu’ils ne se rendent jamais, pas même à l’évidence, audace qui les conduit à aller bravement à contre-courant de l’histoire.

La vérité est que le général Gaid Salah avait fini par exploiter les premières révoltes de février et mars 2019 qui l’avaient contrarié pour en faire un instrument de prise du pouvoir personnel : il écarterait Bouteflika et installerait un président de son choix.

C’est ce que Tebboune appelle « Hirak authentique et béni » Il pensait que l’éviction de Bouteflika allait calmer la révolte. Il n’en fut rien : les manifestations s’étaient poursuivies après le départ de Bouteflika. C’est ce que Tebboune appelle le Hirak dévoyé.

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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