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Hommage à Fatiha Berezak : une poésie entre humour et révolte

Après avoir été professeur d’anglais et de français en Algérie (où elle a poursuivi ses études et où elle a vécu maintes tribulations et autres tracasseries machistes), Fatiha Berezak (Béni Saf 1946 - Paris 2014) atterrit à Paris où elle fait l’Ecole internationale de mimodrame de Paris (Ecole Marceaux).

Après avoir été professeur d’anglais et de français en Algérie (où elle a poursuivi ses études et où elle a vécu maintes tribulations et autres tracasseries machistes), Fatiha Berezak (Béni Saf 1946 – Paris 2014) atterrit à Paris où elle fait l’Ecole internationale de mimodrame de Paris (Ecole Marceaux).

En 1979, elle est assistante à la mise en scène de pièces théâtrales (« L’histoire du soldat et « Funambule »). En France, elle a été présente à toutes les fêtes de la poésie comme lieu de fraternité.

« De la faim, les femmes, la foule » (spectacle poésie) au « Sketch ‘up » avec Fatiha Berezak en tête d’affiche. Sa frêle silhouette se débattait comme un bel ange pour exorciser les démons. Elle a eu également à participer à d’autres manifestations culturelles : Rencontre littéraire organisée alors par l’EMAF (Expressions Maghrébines au Féminin) avec notamment Leila Sebbar, Tassadit Imache, Nina Bouraoui, Fatima Mernissi…; Journée internationale des Femmes avec débat sur « L’évolution de la question des Femmes »…  

Jacqueline Arnaud a pu dire d’elle : « Ce petit bout de femme mince et souple comme un chat, avec des yeux qui lui dévorent le visage, se roule en boule et se détend en mots, en gestes ». Jean Déjeux dit d’elle « Nous avons une pile électrique devant nous. Fatiha Berezak joue merveilleusement avec son corps qui devient langage, expression d’une révolte profonde, une sensibilité exaspérée qui dénonce, débride, puis retourne à la tendresse et au sourire. Sa diction est excellente, son regard vous questionne et vous demande de participer »…

D’elle-même, Fatiha Berezak a pu dire : 

« Avec ma mine de sans le sou

J’ paie pas de mine…

Je suis fille de la mer et des sables de Béni Saf

Je suis fille de la guerre »…

Ou encore :

«  Rien qu’un petit bout de clown 

Dont le rire gonfle la marche

Comme le chant d’un patriote de la vie ».

Ayant été l’un des spectateurs de ses spectacles-poésie, je peux dire qu’en l’écoutant déclamer ses poèmes sur scène, on pense d’abord à une boule de feu dévalant du ciel venue purifier notre société rongée par le déficit chronique d’affection et d’amour de nos jeunes ; déficit aussi important alors que la dette extérieure algérienne !

Dès 1977, elle écrivit son premier recueil de poésie « Dédales » où on peut lire : 

« Manquent à mon corps les caresses de ma mère, les tapes amicales de mon peuple ». Qu’elle aborde la question de la femme (son thème de prédilection), de l’émigration ou de l’actualité (en son temps, la guerre du Golfe à titre d’exemple), elle met tellement de sincérité et de cœur dans ce qu’elle écrit et crie sur scène ce qu’elle appelait « l’anoranimalisation» et le code de  « l’infamie »…

Dans son recueil de poésie « Aquarel », elle puise dans la sagesse de nos parents (« La religion est dans le cœur »). Foin donc des prêches des nouveaux prophètes. Elle disait que « l’invalidité » de l’Algérie l’interpelle. En France, dans la gueule du loup comme aurait dit Kateb Yacine, elle déclamait sur le racisme : 

« Ta gueule ! Blanc bec !

Tu me dois mes aïeux morts

Décorés pour la France 

Invalidentité

Ma langue mutilée ».

Sur l’exil qu’elle a connu :

Y a des quartiers d’ Paris

Qui me rappellent Bab El Oued…

Y a Paris dortoirs

Où l’on réveille les noirs, les bicots, les poivrots…

La quarantaine 

Et toujours en quarantaine l’émigré…

Il est vrai que l’ironie peuple ses vers, ainsi :

Ma valeur ne réside pas… 

Par les mômes que j’aurais eu… Ouf !

Pour rester dans la norm-animalisation…

Vous m’avez décrété mineure

Ma parole est majeure…

Les intellectuels à la chasse aux soutiens-songes

Ferment leur… bic

Dans le « voile islamique », elle écrit :

Je suis musulmane

J’ai le regard savane

Je suis idée-fixe à deux Y…

Je porte le tchador à l’envers

Dans mes guiboles où j’ai l’hiver

Mais que l’on ne s’y trompe pas, Fatiha Berezak était aussi la tendresse et l’amour :

Emmène-moi voir les vagues 

Hautes à embrasser le ciel

Fraîches à désaltérer les sols

Blanches à charmer les dentelles…

Son roman « Homsiq » est une réflexion à mi-chemin entre le récit et le document historique. Un jeu de mots permanent. Une poésie soutenue faisant appel au langage Algérien comme support linguistique de l’imaginaire. Il s’agit de rendre la mémoire à son peuple, libérer l’Histoire des langues officielles et de l’académisme des historiens. Le personnage principal se meut dans un village au mot évocateur : Baroud. Le dialectal se taille la part belle dans un langage subtilement poétique. 

Elle y évoque l’identité usurpée et les souffrances endurées durant la colonisation. Homsiq s’interroge sur le vécu de la nation qui, au lendemain de l’indépendance, ne cesse de vivre au rythme des slogans, de la rachoua et la débrouille. En exil, Homsiq apprend « l’angoisse issue de la même génération, celle des isolés, désinformés, branchés, cherchent leurs racines ».

Au pays, il constate qu’on a reproduit des analphabètes grâce aux « rachitiques de la raison » venus faire fortune dans le « Dallas algérien ». Il pense que « vivre en homme s’arrache. Ecrire juste, c’est écrire sa terre au quotidien ». Homsiq est contre la civilisation de la haine et de la folie destructrice. Et l’exil est une « déchirure qui mène le vivant à la tombe ou à la lumière et la connaissance »…  

Livres de Fatiha Berezak 

Poésie : 

Le regard aquarel 

Le regard aquarel 2 

Le regard aquarel III 

Roman : 

Homsiq

Ammar Koroghli 

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